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Le 4 octobre dernier, à Montréal, les pays membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), à l’occasion de leur assemblée générale trisannuelle, ont adopté une proposition visant à établir un mécanisme de type MBM (Mesures Basées sur le Marché) permettant de réduire la croissance des émissions de carbone engendrées par l’aviation civile et éventuellement de commencer à en réduire la quantité. Les 191 états membres de l’OACI devront soumettre des plans de mise en œuvre sur leur territoire respectifs d’ici la prochaine assemblée générale en 2016 et l’entrée en vigueur du nouveau système devrait se faire en 2020. Ce vote a permis d’éviter une relance des mécanismes d’échange de crédits de carbone mis en place par l’Union Européenne depuis 2008 et dont l’entrée en vigueur a été suspendue temporairement l’an dernier. L’accord du 4 octobre a été salué par la plupart des observateurs comme une grande victoire. Ce n’est toutefois pas l’avis de Verki Tunteng, ingénieur et avocat chez Heenan Blakie. Info Aéro Québec lui a demandé d’expliquer ses réserves.
M. Tunteng explique que cette entente est tout à fait conforme à ce que lui et d’autres spécialistes prévoyaient. « On s’est entendu pour continuer des discutions futures devant permettre de définir le cadre d’un système de plafonnement et d’échange des gaz à effets de serre de l’aviation civile et on s’est entendu pour définir ce cadre d’ici 2016. Donc c’est ce qui permet à l’OACI d’affirmer que l’assemblée générale a été un succès à ce niveau. L’OACI a été critiquée depuis plusieurs années pour son manque de progrès dans ce dossier, c’est d’ailleurs pour cette raison de l’Union Européenne a décidé d’inclure les émissions de l’aviation civile dans son système de marché de crédits de carbone. L’accord permet à l’OACI de dire nous sommes passés aux actes et ça permet également à l’Union Européenne d’affirmer que les progrès obtenus au niveau international justifient sa décision de reporter à nouveau l’application de ses mesures à l’aviation civile. »
On peut d’ailleurs se demander si la décision de l’Union Européenne d’approuver l’accord du 4 octobre ne constitue pas le principal progrès réalisé au cours de cette assemblée générale. L’Union Européenne ayant admis que des progrès importants ont été réalisés lors de l’assemblée générale, monsieur Tunteng croit que le risque d’un geste unilatéral de l’Union Européenne est grandement réduit, mais il reste, selon lui, une ombre importante au tableau. L’accord entériné par les délégués interdit aux membres de l’OACI de participer à des marchés régionaux de crédits de carbone comme celui mis en place par l’Union Européenne, et qui s’applique toujours aux vols intra-européens, d’ici la mise en place d’un système mondial. De tels systèmes régionaux pourraient, selon l’OACI, créer des distorsions déstabilisatrices pour le système mondial actuellement en gestation. Ce qui va advenir de la politique européenne actuelle n’est pas encore clair, mais les délégués de l’Union Européenne se sont dits inquiets.
Monsieur Tunteng explique qu’il reste un grand nombre de problèmes en suspens. Il mentionne en premier la situation des pays en voie de développement qui pourraient affirmer que leur industrie aérienne n’a pas contribué au réchauffement climatique mondial et qu’elle ne doit pas être assujettis aux mêmes obligations que celle des pays développés. Dans le cas de ces pays, M. Tunteng croit qu’il faudra élaborer des mécanismes particuliers utilisant des normes basées sur l’intensité relative des émissions de carbone. Ces normes devraient se calculer en pourcentage du PIB contrairement à la norme en quantité absolue qui est proposé pour les pays développés. Le deuxième problème des pays en voie de développement vient du fait que leur industrie aérienne est habituellement de petite taille tout en étant en croissance. De plus les compagnies de ces pays achètent fréquemment les vieux avions provenant des pays développés qui sont très bon marché mais beaucoup plus polluants. Il est donc pratiquement impossible pour ces pays de réduire leurs émissions de carbone qui ne peuvent qu’augmenter d’année en année.
La prochaine étape, selon M. Tunteng, sera la négociation d’ici 2016 des engagements que chaque pays membre de l’OACI est disposé à prendre pour assurer le fonctionnement du nouveau système mondial. Concrètement les gouvernements doivent décider du niveau des émissions de carbone qu’ils accepteraient d’imposer à leurs transporteurs aériens. De plus chaque pays doit décider de la meilleure façon de mettre en place sur leur territoire les mesures basées sur le marché qui s’appliqueront à compter de 2020. Dans le cas du Canada, M. Tunteng croit que le gouvernement fédéral devra entamer des négociations à ce sujet avec les provinces. La règlementation de l’industrie aérienne relève clairement se sa juridiction, mais la mise en place d’un marché de crédits de carbone pourrait relever de la compétence des provinces.
Quant à la probabilité qu’on puisse attacher d’ici 2016, toutes les ficelles des détails en suspens, M. Tonteng n’est pas très optimiste : « Il reste énormément de détails à régler…Nous risquons de reproduire les mêmes défis et problèmes que nous n’avons toujours pas réussis à surmonter avec l’accord de Kyoto et son implantation mais appliqué à l’aviation civile…Ça fait plusieurs années que je suis impliqué dans les discutions sur le climat et on peut difficilement être optimiste face à l’échéancier 2020.» Ajoutons qu’un éventuel accord devra être approuvé par les parlements nationaux dans plusieurs pays, dont les États-Unis. Si les membres du congrès américains sont incapables de s’entendre sur l’adoption d’un budget, peut-on espérer qu’ils acceptent un traité qui ressemblera beaucoup à celui de Kyoto qu’ils ont rejeté massivement il y a quelques années à peine.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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