La France célèbre les 50 ans de ses Forces Aériennes Stratégiques (FAS). Cinquante ans, c’est aussi l’âge de ses ravitailleurs sans lesquels plus aucune opération ne pourrait être conduite.
En 1962, John Kennedy est président des Etats-Unis et son homologue français est le général de Gaulle. Après s’être un peu fait prier, les Etats-Unis acceptent de vendre à la France douze avions ravitailleurs Boeing C-135F (C pour cargo, F pour France) pour équiper les FAS alors en création. Malgré la sourde opposition américaine, la France ambitionne de se doter de l’arme atomique pour garantir son indépendance. Et en attendant la fabrication des Sous-marins lanceurs d’engins à propulsion nucléaire, le Mirage IV de Dassault sera le premier à porter la bombe. Le Mirage IV est certes un avion remarquable, mais il manque d’autonomie stratégique pour accomplir sa mission de bombardement. La crédibilité de l’outil nucléaire français ne peut donc passer que par un ravitaillement en vol offrant l’allonge nécessaire aux Mirage, au moins pour un aller simple… Après avoir envisagé la création d’un ravitailleur français sur une base de Caravelle, le choix des Boeing est donc entériné.
Un demi siècle plus tard, où en est on ?
BASE AÉRIENNE D’ISTRES -FRANCE – Les douze avions originaux ne sont plus que onze, un appareil étant perdu au décollage de l’atoll de Hao, le 30 juin 1972, victime de la corrosion marine. En 1995, trois KC-135 ont été achetés d’occasion aux Etats-Unis, portant la flotte à quatorze avions. Deux différences essentielles distinguent le C-135FR du KC-135 : les seconds sont équipés d’un plancher en bois qui interdit le chargement de conteneurs dans la cabine. Et ils ne sont pas non plus équipés des nacelles en bout d’aile permettant le ravitaillement simultané de deux chasseurs. Pour cette dernière raison, les KC-135 sont utilisés avant tout pour les missions d’entraînement, laissant aux C-135FR la priorité pour les missions de combat. Tous les avions ont toutefois été remotorisés avec des CFM-56 à partir de 1985, le nouveau réacteur offrant 40% de puissance supplémentaire par rapport au J57 qu’il remplace. Les Boeing sont aujourd’hui réunis au sein du Groupe de Ravitaillement en Vol (GRV) 2/91 Bretagne installé sur la base d’Istres, dans le sud de la France. Et depuis le 1er septembre, ce GRV est réuni avec son escadron de soutien technique au sein de la 31ème escadre aérienne de ravitaillement et de transport stratégiques.
Cinquante ans après la création des FAS, les Boeing sont toujours fidèles au poste. Mais dans l’intervalle, tous les avions de combat de l’armée de l’Air sont devenus ravitaillables en vol. Or le nombre des ravitailleurs, dimensionné pour le seul ravitaillement des Mirage IV, est resté désespérément stable. Certes les capacités ont augmenté avec la remotorisation et l’ajout des nacelles. Mais le GRV est devenu au fil des ans un spécialiste du jonglage avec les disponibilités. Il faut des avions pour l’entrainement, pour l’alerte nucléaire, un appareil pour l’alerte Morphée (évacuation de blessés graves avec un équipement médical d’urgence), un avion pour appuyer la Permanence Opérationnelle (police du ciel et protection du territoire national) et bien entendu plusieurs appareils pour les opérations en cours : deux appareils sont actuellement détachés à N’Djamena (Tchad) pour intervenir au Sahel et un troisième à Al Dhafra dans le cadre des missions sur l’Irak. En 2013, au plus fort de l’opération Serval au Mali, jusqu’à cinq avions étaient stationnés à N’Djamena. Pour faire face à cet engagement, il avait fallu ralentir très fortement l’entrainement des équipages en métropole. Et à la longue liste qui précède s’ajoutent bien évidemment les avions rendus indisponibles par les périodes d’entretien et les rénovations en cours. Les ravitailleurs français affichent en moyenne 30.000 heures de vol au compteur. C’est beaucoup plus que les avions de l’US Air Force (20.000 heures en moyenne), ce qui fait que les Français sont bien souvent les premiers à constater des faits techniques liés au vieillissement des appareils. Il faut aujourd’hui compter 32 heures de maintenance par heure de vol.
Pour ce qui concerne les rénovations, un chantier de modernisation de l’avionique est en cours pour mettre les avions en conformité avec la réglementation OACI. La France gère la rénovation des onze C-135FR, tandis que le travail est réalisé par Boeing sur les trois KC-135. L’armée de l’Air annonce être aujourd’hui à mi chemin de ce chantier de longue haleine. Un premier KC-135 rénové est rentré des Etats-Unis alors qu’un deuxième vient tout juste d’y partir. Ce coup de jeune donné à l’avionique doit permettre d’offrir quelques années de vie supplémentaire à l’avion, ce qui permet aux FAS de poursuivre une réflexion sur de futures missions qui pourraient lui être confiées. Profitant de son ubiquité, pourquoi ne pas en faire un véritable centre de commandement volant pour les théâtres d’opération les plus éloignés ? Faire du ravitailleur une station de réception des images de la nacelle Reco NG est également une piste évoquée : l’avion permettrait un premier traitement à chaud et une dissémination rapide des images obtenues vers les clients finaux via une liaison satellite.
Une chose semble certaine : pour garder une capacité constante, le premier Boeing ne pourra être retiré du service qu’avec l’arrivée du premier Airbus MRTT, c’est à dire en 2018, si tout va bien… Il faudra ensuite attendre 2025, au mieux, pour voir la livraison du dernier MRTT. Le Boeing le plus jeune aura alors plus de soixante ans… Précisons enfin que l’armée de l’Air table sur la commande de quatorze MRTT, mais aucune personne censée ne mettrait sa tête à couper sur ce chiffre !
Frédéric Lert est journaliste et photographe indépendant, spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense depuis une vingtaine d'années. Etabli à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, Frédéric Lert collabore à la presse française et anglo saxonne et il est l'auteur d'une v
Commentaires