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 Le premier vol du CS100 et la confirmation que l’envol du CS300 devrait s’effectuer dans environ un an nous amènent à nous questionner sur la lenteur des ventes des deux avions de la CSeries et sur la stratégie à long terme de Bombardier. En date d’aujourd’hui, le carnet de commandes de Bombardier compte 177 ventes fermes et 211 options d’achat ou achats conditionnels comme celui de Porter Airlines. C’est peut-être suffisant comme l’affirme la direction de Bombardier, mais ce n’est certainement pas une performance à couper le souffle. Pourquoi les ventes des CSeries trainent-elles de l’arrière alors que celles des Airbus A 319-320-321 explosent, que celles des Boeing B 737 MAX sont excellentes et que celles des E-jets E2 modernisés d’Embraer décollent en flèche? Face au Boeing 737 et aux Airbus A320, de vieux avions maintes fois modernisés depuis leur premier vol au milieu des années 80, le CSeries offre pourtant l’avantage des plus récentes technologies. Les raisons sont sans doute nombreuses, mais la principale est probablement que les transporteurs importants veulent d’abord acheter des familles d’avions et que les CSeries, au nombre de deux, ne constituent pas encore une famille fonctionnelle.
Westjet et Delta
Prenons l’exemple de Westjet qui possède une flotte composée de quatre avions à hélice Q400 fabriqués par Bombardier et d’une centaine de monocouloirs Boeing. Récemment, la compagnie de Calgary a envisagé d’acheter le CSeries avant de se raviser et d’acquérir plutôt 25 Boeing 737 MAX 7 et 40 737 MAX 8. Le 737 MAX 7 peut transporter jusqu’à 126 passagers en configuration 2 classes; c’est exactement le marché que vise le CS300 de Bombardier. Le 737 MAX 8 par contre est plus gros : il peut transporter 162 passagers. Le problème, c’est que Bombardier n’offre pour l’instant aucun avion dans ce créneau. Ajoutons que Westjet a toujours été partisan d’une flotte homogène, composée depuis toujours d’avions Boeing. C’est un moyen de réduire les coûts d’entretien et de formation du personnel, qui peut passer facilement d’un MAX 8 à un 7 ou à un 9.
L’approche de Delta est différente puisque cette compagnie fuit systématiquement les nouveaux avions et cherche d’abord des appareils dont la technologie est éprouvée, au prix le plus bas possible. Pour y arriver, Delta met en concurrence Boeing, Airbus et des avions légèrement usagés. Au début du mois de septembre, la compagnie d’Atlanta a annoncé l’achat de 30 Airbus A321 conventionnels et a pris des options sur 40 autres appareils. Bombardier espérait beaucoup vendre son CSeries à Delta, un client depuis 20 ans. La compagnie montréalaise était d’autant plus optimiste que Delta a commandé 40 CRJ900 et pris des options sur 30 autres appareils en décembre dernier. Malheureusement, le CS300 était trop petit, et probablement trop cher pour Delta. Les A-321 commandés par Delta comporteront 148 sièges en classe économique et 20 en première classe. Quant au prix, il est connu qu’Airbus est disposé à faire nombreuses concessions financières pour bloquer les avions de Bombardier.
Le CS100 une erreur?
Les deux exemples précédents ne sont que les derniers d’une longue série où l’on voit un transporteur délaisser les plus petits membres d’une famille d’avions au profit des plus grands. Dans le cas du CSeries, Bombardier n’a vendu que 63 CS100, mais elle a eu plus de succès avec le CS300 qui a recueilli 114 commandes fermes. Un coup d’œil aux carnets de commandes d’Airbus et de Boeing révèle un phénomène semblable. Airbus a vendu près de 2400 monocouloirs NEO, dont à peine 45 A319 NEO. Chez Boeing les commandes fermes de Max voisinent les 1500 appareils dont seulement 30 MAX 7, le plus petit membre de la famille. De plus, ni Boeing ni Airbus ne prévoient moderniser leurs avions plus petits, les 737-600 et les A318. Bombardier aurait peut-être mieux fait de développer d’abord un 150 places en configuration deux classes suivi d’un 130 places et d’un 190 places.
La direction de Bombardier aéronautique n’est pas forcément à blâmer puisque cette décision a été prise il y a longtemps, à une époque où les ventes d’avions de 100 places semblaient encore prometteuses. On peut également penser que le CS100 devait servir de pont entre les avions régionaux de Bombardier et ses nouveaux avions de ligne. Quoi qu’il en soit la compagnie montréalaise doit corriger le tir rapidement. Au cours des dernières années, cette idée, souvent évoquée par les journalistes et par les analystes, a toujours été écartée du revers de la main par la direction de Bombardier. Selon elle, le marché pour les avions de 100 à 150 places est suffisant pour assurer le succès du CSeries.
Bombardier voulait peut-être également rassurer le gouvernement chinois et le convaincre qu’elle n’entrerait pas en concurrence avec ses avionneurs. En effet, une de ces entreprises, COMAC, développe un avion un peu plus gros que le CSeries, dont la capacité variera de 150 à 200 places, le C919. On espérait sans doute que les transporteurs chinois, également propriété du gouvernement de Pékin, commanderaient un grand nombre de CSeries. Lors du salon du Bourget en juin dernier, Bombardier est allé jusqu’à signer une entente, en complément des lettres d’intention précédentes, en vertu de laquelle il aidera COMAC à développer, certifier et commercialiser le C 919. Sauf que la commande chinoise de CSeries se fait toujours attendre…
Un CS500 et un CS900
La solution au problème de Bombardier réside probablement dans l’annonce que deux modèles plus gros s’ajouteront à la famille CSeries. Un CS500 qui pourrait accueillir environ 150 passagers en configuration standard de deux classes et un CS900 de 190 places. En configuration économique ou haute densité, ce dernier pourrait transporter plus de 200 passagers. Évidemment, ces deux nouveaux avions n’entreraient pas en service avant plusieurs années, mais le signal serait lancé, ce qui permettrait aux compagnies aériennes de planifier le renouvellement de leur flotte sur une longue période. Elles pourraient ainsi commencer à acheter des CS100 et des CS300 en sachant qu’au besoin, elles pourront compter sur des versions plus grandes.
Pour Bombardier l’opération est simple. Les avions modernes peuvent être allongés moyennant un investissement relativement modeste. Tous les avions récents, sauf l’Airbus A380 pour lequel il n’y a pas suffisamment de demande, ont d’ailleurs été allongés à plus d’une reprise. L’exemple du CRJ de Bombardier est révélateur. On est parti d’un avion de 50 places, qui a effectué son premier vol en 1991, qu’on a étiré progressivement pour atteindre 100 places en 2008. Les usines sont également conçues pour produire plusieurs formats d’avions sur les mêmes lignes d’assemblage. C’est déjà le cas de l’usine actuelle des CRJ à Mirabel et ce sera certainement le cas de la nouvelle usine hautement automatisée, présentement en construction, destinée à l’assemblage des CSeries.
Notons que récemment, la rhétorique de la direction de Bombardier a évolué et qu’on est moins catégorique que par le passé quand il est question d’allonger le CSeries. Lors de la conférence de presse qui a suivi le premier vol du CS100, Mike Arcamone, président de la division des avions commerciaux de Bombardier, expliquait, en réponse à une question d’Info Aéro Québec : «Pour l’instant on se concentre sur la mise au point des CS100 et CS300. Nous nous sommes également consacrés à mettre au point l’option d’augmenter la capacité du CS300 à 160 passagers. Pour l’instant ce sont nos priorités, mais on va continuer à étudier le marché et on verra ». L’élément clé dans cette réponse, c’est : «on va continuer à étudier le marché et on verra». Il semble que la question à se poser n’est plus de savoir si les CSeries seront allongés ou pas, mais plutôt quand l’annonce en sera faite.
Daniel Bordeleau
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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