Transport électrique et aviation
Un commentaire de Daniel Bordeleau
L’électrification des transports n’a pas fait l’objet de grands débats au cours de la campagne électorale même si elle est au cœur des politiques du Parti québécois; de toute façon, les grands débats ont été très rares au cours de cette campagne. Une des explications est que cette politique semble faire concensus au sein de tous les partis. L’idée a été lancée par Jean Charest il y a quelques années, développée par Pauline Marois, accentuée par Françoise David et approuvée par François Legault. Elle n’en mériterait pas mois d’être discutée un peu plus et le monde de l’aéronautique peut y apporter sa contribution.
Aéro Montréal
La première ministre du Québec, madame Pauline Marois, a parfois affirmé que l’industrie du transport électrique doit s’inspirer du modèle que constitue l’industrie aérospatiale et plus précisément de la grappe aérospatiale, Aéro Montréal. Il est toujours plaisant de servir de modèle surtout que, dans le cas présent, les éloges sont tout à fait mérités.
Aéro Montréal est un modèle d’organisation et d’efficacité dont la nouvelle grappe des transports électriques pourrait s’inspirer. Son succès découle de trois facteurs tous importants. Il y a d’abord un conseil d’administration qui regroupe quelques très grandes entreprises qui sont des leaders mondiaux dans leur domaine ainsi que des entreprises moyennes et des plus petites qui sont en forte croissance. La grappe regroupe 212 entreprises dont les ventes annuelles dépassent les 12 milliards de dollars et qui emploient 42,500 personnes. Depuis sa fondation en 2006, le conseil d’administration d’Aéro Montréal a constamment été composé de dirigeants d’entreprises qui avaient une vision claire des objectifs à atteindre et des moyens à mettre en œuvre pour y arriver. Ce conseil puissant a été très bien secondé par une présidente directrice générale, madame Suzanne Benoit, qui a su mettre sur pied une équipe légère mais extrêmement efficace. Et finalement Aéro Montréal a bénéficié de ressources financières importantes puisque son budget annuel avoisine les 3 millions $. Aéro Montréal mérite tout à fait d’être cité en exemple mais il faut également se rappeler que le succès de l’industrie aérospatiale québécoise a également demandé près d’un siècle de travail acharné puisqu’il se fabrique des avions à Montréal depuis que la Canadian Vickers a lancé son hydravion Le Vedette en 1925.
Les systèmes de roulage électriques
Une des grandes nouveautés du dernier salon du Bourget a été la présentation du système de taxiage électrique mis au point par les compagnies Safran et Honeywell. Ce système, qui est présentement testé sur un Airbus A 320, permet aux avions de se mouvoir au sol grâce à des moteurs électriques, ce qui réduit considérablement la pollution autour des aéroports. Cette innovation sera commercialisée à compter de 2016 par une filiale commune appelée EGTS International (Electric Green Taxi System International) et Air France en sera le premier client. La très discrète compagnie WheelTug, dont le siège social est situé à Gibraltar, prévoit pour sa part commercialiser un système similaire mais installé sur le train d’atterrissage avant dès cette année. La compagnie affirme avoir vendu 785 de ces systèmes dont 4 à Air Transat qui les fera installer sur des Boeing 737NG.
Le système EGTS comporte deux moteurs de 50 kw sur chacun des trains d’atterrissage principaux et qui sont alimentés en électricité par l’unité de puissance auxiliaire (APU). Ce dispositif permet d’effectuer toutes les manœuvres au sol (avancer, reculer ou tourner) en utilisant uniquement l’APU comme source d’énergie, ce qui réduit considérablement les quantités de CO2 émises avant le décollage puisque la turbine de l’APU ne consomme que 100 kg de carburant à l’heure comparativement à 600 pour les deux moteurs principaux de l’avion qui eux ne sont allumés que quelques minutes avant le décollage. Safran et Honeywell estiment que, pour un monocouloir qui effectue des vols courts, l’économie de carburant peut se chiffrer à 4 % par cycle et ce en dépit du poids additionnel de 300 kg des deux moteurs électriques.
Le marché pour les systèmes de roulage électrique est très important. Safran et Honeywell prévoient que 12000 monocouloirs seront livrés entre 2016 et 2030 et ils espèrent que 80 % d’entre eux seront équipé de leur EGTS. Le système sera offert en option pour les nouveaux avions seulement, mais par la suite il sera possible de l’installer également sur les avions existants. Les longs courriers et les gros avions d’affaires pourraient s’ajouter à la liste des clients potentiels.
Un système de roulage électrique est le genre de technologie que le Québec devait développer en priorité. Plusieurs acheteurs de CSeries, d’avions régionaux et d’avions d’affaires Global de Bombardier souhaiteront commander ce genre d’option. De plus le Québec compte le troisième plus important manufacturier de trains d’atterrissage au monde, Héroux Devtek, et un excellent concepteur de moteurs électriques, TM4, une filiale d’Hydro Québec. Cette entreprise s’est d’abord fait connaître par son moteur-roue développé au cours des années quatre-vingt par l’ingénieur Pierre Couture de l’IREQ. Ce moteur a été un échec commercial mais par la suite, TM4 a mis au point une gamme d’excellents moteurs plus conventionnels dont la puissance varie de 10 kW à 660 kW. Certains de ces moteurs, comme le puissant SUMO, équipent des autobus électriques fabriqués en chine. Pourrait-on ressusciter le Moteur-roue de Pierre Couture? C’est loin d’être certain car il faudra d’abord faire la preuve que ce moteur-roue peut supporter le choc produit par l’atterrissage d’un avion d’une soixantaine de tonnes. Mais même sans moteur-roue, le projet de roulage électrique demeure très intéressant pour les entreprises québécoises.
La mise au point d’un système de roulage électrique est un projet ambitieux. Safran et Honeywell ont annoncé leur projet il y a trois ans déjà et ils y ont assigné 200 ingénieurs. Pour que le projet décolle, de gouvernement Québecois va devoir prendre l’initiative et offrir des incitatifs financiers appropriés aux compagnies intéressées. En retour, la mise au point d’un système de roulage électrique efficace pourrait se traduire par la création d’un grand nombre d’emplois permanents de haut niveau et par une augmentation substantielle des exportations québécoises.
Les tracteurs de pistes
Il faudra plusieurs décennies avent que tous les avions soient équipés d’un système de roulage électrique. Entretemps, les tracteurs de pistes demeureront essentiels. Ces tracteurs lourds et massifs qui circulent au ras du sol demeurent indispensables pour reculer les avions, les éloigner de leur porte de départ et les orienter vers la piste. Ils sont très puissants, mais ils parcourent très peu de distance en une journée. Lors du dernier salon du Bourget, le groupe IAI, Israël Aerospace Industries, a présenté son système Taxibot. Il s’agit d’un tracteur de piste partiellement robotisé qui pourra être contrôlé par le pilote à partir du cockpit de l’avion. La compagnie Lufthansa, qui en sera le premier client, collabore aux essais de certification en fournissant du personnel et un Boeing 737. Les premières livraisons sont prévues pour le deuxième trimestre de cette année.
C’est un autre produit dont une version entièrement électrique pourrait être développée au Québec. L’IREQ, le laboratoire de recherche d’Hydro Québec, a mis au point une batterie au Titanate qui est très lourde mais qui se recharge très rapidement et qui pourrait être parfaite pour ce genre d’utilisation. On pourrait également utiliser la batterie aluminium-air que la société Alcoa veut développer avec son partenaire israélien Phinergy. TM4 pourrait proposer une motorisation basée sur son impressionnant moteur Sumo.
L’avion du futur
L’avion entièrement électrique ne se généralisera pas avant plusieurs décennies, mais on en voit déjà apparaître les précurseurs. Le premier de ces appareils à dépasser le stade expérimental est l’Airbus E-Fan, un petit avion-école entièrement électrique qui a effectué son premier vol le 11 mars dernier à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Cet appareil a été conçu par la compagnie charentaise Aéro Composites Saintonge et Airbus Group Innovations. L’avion mesure 6,7 mètre de long et possède une envergure de 9,5 mètres. Les batteries lithium-polymer sont logées dans les ailes. Airbus Group espère le commercialiser d’ici 5 ans.
La compagnie Boeing, dans le cadre du programme de recherche SUGAR (Subsonic ultra green aircraft research) lancé par la NASA, a dessiné un avion comportant des ailes possédant un très grand allongement (aspect ratio) et qui prévoit également la mise au point d’un moteur hybride sur lequel la compagnie GE a entamé des recherches. La turbo-soufflante de ce moteur serait propulsé par un cœur à haute puissance conventionnel auquel elle serait reliée par un système d’engrenage durant les phases du décollage et de la montée jusqu’à l’altitude de croisière. Par la suite ce cœur serait débranché et la turbo soufflante serait actionnée par un moteur électrique jusqu’au moment de l’atterrissage. Il en résulterait une économie de carburant importante. Toutefois l’utilisation d’un tel moteur nécessitera des batteries beaucoup plus puissante que celles qui existent aujourd’hui.
Le Québec possède une grande expérience dans le développement de nouvelles technologies de batteries et c’est une expertise qui pourrait être mise à profit par l’industrie aéronautique. Les nouveaux avions consomment de plus en plus d’électricité et les batteries actuelles peinent à remplir leur rôle. Le champion en ce domaine est certainement le Boeing 787 dont les problèmes à ce chapitre sont bien connus. Le circuit électrique du Dreamliner est le talon d’Achille du Dreamliner.
Ce qu’il faut savoir, c’est que le 787 est l’avion de ligne le plus électrique jamais construit. Tout ce qui pouvait être électrifié l’a été. Mentionnons le démarrage des moteurs, le système de freinage et le dégivrage des ailes etc. Les 6 alternateurs de l’avion produisent près de 1,5 mégawatt d’électricité, ce qui permettrait d’alimenter près de 400 maisons. Par comparaison, l’Airbus A-350 produit deux fois moins d’électricité que son homologue américain. Chacun des réacteurs du 787 entraîne 2 alternateurs de 250 kVa chacun ; les deux derniers alternateurs, de 225 kVa chacun, sont activés par l’unité de puissance auxiliaire (APU). Cette énergie est envoyée dans un réseau électrique qui comporte plusieurs postes de distribution et deux batteries lithium-Ion. Or ces batteries se sont avérées peu fiables causant même deux incendies à des appareils appartenant aux compagnies Japan Airlines et All Nipon Airways. Boeing a modifié la conception du boîtier de ces batteries, ce qui réduit le risque qu’un court-circuit se transforme en incendie. Cette solution est toutefois peu satisfaisante dans la mesure où elle s’attaque aux conséquences du problème sans régler le problème lui-même. C’est ce qui explique que Bombardier pour son CSeries et Airbus pour son A350 ont choisi de conserver les batteries nickel-cadmium traditionnelles.
Le monde de l’aviation a de toute évidence besoin d’une nouvelle batterie plus légère et plus puissante. Le Québec possède un manufacturier de batteries, Blue solution Canada, et un institut de recherche, l’IREQ, qui pourraient s’attaquer à ce problème. Blue Solution Canada, autrefois Bathium Canada, possède une technologie Lithium-métal-polymère plus sécuritaire que la technologie basée sur le lithium-ion. Les batteries qu’elle fabrique à Boucherville sont utilisées pour propulser la Bue car, la voiture utilisée par le système d’autopartage de la région Parisienne et qui est maintenant vendue au grand public. Cette batterie est également utilisée comme batterie stationnaire dans les immeubles. La tension de la batterie est de 400 volts, ce qui est beaucoup trop pour être installée sur les avions actuels qui utilisent des batteries de 32 volts ; toutefois une version mieux adaptée aux besoins de l’aviation pourrait être développée. Le manufacturier d’aluminium Alcoa pourrait lui aussi mettre au point une nouvelle batterie destiné à l’aviation. Sa technologie qui utilise l’oxygène de l’air et de l’eau pour produire de l’électricité à partir de plaques d’aluminium est prometteuse, mais elle demandera encore beaucoup de recherches additionnelles.
La politique du transport électrique ne doit pas se limiter à ce vieux rêve qui est de faire rouler tout le monde en véhicule électrique; cet objectif très coûteux ne pourra pas être atteint avant quelques décennies. Par contre il y a des produits électriques qui peuvent être développés en quelques années seulement et à un coût modéré. Leur mise en production se traduirait par la création de centaines d’emplois. Les produits que nous venons d’évoquer seraient exporté dans une proportion de plus de 90 % et ils contribueraient puissamment à améliorer notre balance du commerce extérieure
Daniel Bordeleau
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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