Les 1750 suppressions d’emplois dont 1000 dans la région de Montréal, annoncées par Bombardier jeudi dernier peuvent être attribuées, au moins en partie, au ralentissement des ventes d’avions d’affaires à cabine large et long et très long rayon d’action Global 5000 et Global 6000 dont le prix unitaire est respectivement de 50 et 62 millions de dollars américains. Faire plaisir à  la Bourse, certes, peut aussi avoir motiver la nouvelle direction de l’avionneur de procéder à ces abolitions de postes qui plaisent toujours aux investisseurs.
Nous nous rappellerons que le marché de la vente d’avions d’affaires neufs a beaucoup souffert de la chute de Lehman Brothers survenue en octobre 2008, en plein salon annuel de la National Business Aircraft Association (NBAA) et des crises financière et économique qui s’en sont suivies.
En 2014, ce secteur retrouvait à peine, et ce, en dollars courants, son niveau d’activités de 2008 soit un chiffre d’affaires annuel de 25 milliards de dollars de 2015 soit 22,7 milliards de 2008.
L’industrie de la construction d’avions d’affaires est restée à flot grâce à la montée en puissance des bizjets à cabine large à long et très long rayon d’action dont les prix s’échelonnent de 50 à 68 millions de dollars américains pièce.
Ce marché inventé par Gulfstream au début des années 1990 avec l’introduction du Gulfstream V dont le vol inaugural eut lieu en 1995 et son entrée en service en 1997, a attiré Bombardier avec son Global Express lancé en 1993 et Dassault Aviation avec le Falcon 7X lancé en 2001.
Répondant principalement au début aux besoins des grandes corporations dont les responsables doivent parcourir des distances de plus de 5000 miles nautiques, ces jets d’affaires de haut de gamme auront aussi la faveur des individus dont certes, un certain nombre a besoin de parcourir de grandes distances et d’autres simplement séduits par la taille de la cabine ou le statut social associé au type d’appareil. Une étude avait démontré qu’une bonne proportion de ses aéronefs effectuait des vols de moins de quatre heures et demi.
Beaucoup d’acheteurs du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) à la tête de fortunes immenses, amassées généralement récemment et rapidement ne suivent pas la voie normale d’achat d’un jet d’affaires, sautent souvent les étapes et portent leur choix sur les plus gros et naturellement les plus chers bizjets. Ils ne gravissent pas les échelons de la gamme d’avions d’affaires. Souvent la taille du jet d’affaires choisi sera proportionnelle à l’égo du propriétaire.
Depuis 2008, les livraisons des avions d’affaires à large cabine et long et très long rayon d’action ont augmenté.
En 2001, 98 jets à large cabine et long et très long rayon d’action furent livrés, 160 en 2008 et 224 en 2014.
Chez Bombardier, 27 Global ont été livré en 2001, 51 en 2008, 51 en 2009, 49 en 2010, 53 en 2011, 54 en 2012, 62 en 2013, 80 en 2014 et 17 au premier trimestre 2015 autant qu’au même trimestre de l’an dernier.
Idem chez Gulfstream, 71 Large Cabins (350/450/500/550) en 2001, 88 en 2008, 75 en 2009, 75 en 2010, 78 en 2011, 83 en 2012, 121 en 2013, 117 en 2014 et 25 au premier trimestre 2015 une baisse de 8.
Et Dassault Aviation, 21 Falcon 7X en 2008, 32 en 2009, 41 en 2010, 31 en 2011, 37 en 2012, 43 en 2013, 27 en 2014 mais aucun au premier trimestre 2015, un recul de 3.
La montée en cadence de la production de cette catégorie d’avions d’affaires a permis de compenser pour l’effondrement de celui des jets légers et moyens.
En 2008, Learjet livra 74 jets légers et moyens, Cessna, 450, Eclipse, 161, Embraer, 2, Gulfstream, 68 et Hawker, 160, pour un total de 915 appareils.
En 2015, Learjet a mis en service 34 jets légers et moyens, Cessna, 159, Eclipse, 12, Embraer, 95, Gulfstream 33 et Hawker, aucun, la production de tous les modèles ayant été arrêtée, pour un total de seulement 333 jets.
Quant à Learjet dont les appareils sont assemblés à Wichita au Kansas, qui livra 133 jets en 2000 et seulement 34 en 2014, il n’est plus l’ombre de lui-même surtout au lendemain de la suspension du développement du Learjet 85. Contrairement à Cessna et même Embraer, Learjet n’a plus de gamme à offrir.
Néanmoins, les effets du ralentissement économique et de la baisse de la devise nationale dans les pays du BRIC commencent à se faire sentir sur les ventes de jets d’affaires de haut de gamme.
Très vraisemblablement, ces marchés émergents se rétabliront dans le futur avec la remontée des cours du pétrole, une reprise économique en Chine, en Inde et au Brésil et une libéralisation de la circulation aérienne accompagnée d’une amélioration des infrastructures aéroportuaires en Inde et en Chine.
Entretemps, Bombardier devrait tabler sur sa gamme Challenger, les Challenger 350 et Challenger 605 assemblés aux installations de Dorval, qui dispose déjà d’une forte flotte en Amérique du nord et en Europe de l’ouest, les deux régions qui semblent redevenir l’Eldorado des constructeurs d’avions d’affaires. Cessna Aircraft de Wichita au Kansas avec ses tout nouveaux Citation Latitude et Citation Longitude vise ce marché des SuperMidSize et des jets à large cabine capables de vols transcontinentaux et transatlantiques.
Ce créneau a représenté 190 livraisons en 2008 et 150 en 2014 dont 103 Challenger 300/350 et Challenger 605 en 2008 et 90 en 2014.
Dans l’aviation d’affaires, l’innovation et l’introduction de nouveaux produits sont les moteurs de la croissance. Les exemples récents sont nombreux: les Cessna Citation Mustang et Citation CJ4, le Challenger 350, le Falcon 7X et le Gulfstream G650.
L’oublier peut-être fatal car les acheteurs d’avions d’affaires sont sensibles aux nouvelles suites avioniques améliorant la sécurité du vol, aux équipements de communications satellites destiné à la téléphonie et à l’internet et aux systèmes de divertissement en cabine à la fine pointe de la technologie. Je l’ai constaté pendant mes années de consultation en achat d’avions d’affaires. Une amélioration des performances et de la fiabilité alliées à une réduction des coûts d’opération directs réduits et du temps d’immobilisation de l’appareil dû à l’entretien ne sont réalisables que par l’introduction de nouveaux modèles conçus autour de nouveaux moteurs, systèmes et matériaux.
Bombardier devrait songer à harmoniser les Global 5000 et 6000 sur les Global 7000 et 8000 en les modernisant et les remotorisant avec les mêmes réacteurs GE Passport ainsi qu’à entreprendre le renouvellement du Challenger 650 par un design totalement nouveau développé autour d’un réacteur de nouvelle génération.
La gamme Global serait alors prête à affronter les nouveaux venus de Gulfsftream, les G500 et G600 qui entreront en service respectivement en 2018 et 2019 et de Dassault Aviation, le Falcon 8X en 2016.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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