A n’en pas douter, les évènements semblent se précipiter autour de la reprise de l’hélicoptériste de Stratford au Connecticut, Sikorsky Aircraft, selon le Wall Street Journal.
Ainsi vendredi soir dernier, le quotidien financier américain titrait ‘Lockheed Martin in Talks to Buy Sikorsky for More Than $8 Billion‘
Nous nous souviendrons que plus tôt cette semaine, Textron était toujours parmi les repreneurs. Dès l’annonce de la mise en vente de la division de United Technologies lors du tout dernier Salon du Bourget, les noms de Boeing et même d’Airbus circulèrent comme prétendant à la reprise du constructeur des H-60
Textron de Providence au Rhode Island, maison-mère dans le secteur aérospatial de Bell Helicopter, de Textron Aviation qui chapeaute Beechcraft et Cessna Aircraft ainsi que de TRU qui a racheté la montréalaise Mechtronix en novembre 2013, affiche un capitalisation de $12 milliards de dollars américains contre $60 pour Lockheed Martin, première entreprise du secteur de la défense au monde et premier fournisseur de l’US Department of Defense et constructeur entre autres des F-16, F-35, C-130J sans oublier de satellites, des missiles Hellfire, Javelin et Trident, des munitions guidées Paveway, de radars embarqués et terrestres, d’avionique, de systèmes d’armes et de défense antiaérienne THAAD et Patriot
Logiquement, la fusion des gammes de Bell Helicopter et de Sikorsky serait naturelle, la combinaison des deux offrant alors une gamme complète aussi bien du coté civil que militaire. Néanmoins, la chose ne serait pas gagnée avec l’US Department of Justice qui avait déjà bloqué en 1998, le rachat de McDonnell Helicopters par Bell Helicopter. Mais par dessus tout, une telle transaction semble financièrement hors de portée du conglomérat du Rhode Island
Quant à Lockheed Martin, le rachat de Sikorsky serait la première importante transaction depuis l’entrée en poste en janvier dernier de sa nouvelle présidente, Marillyn Hewson mais surtout depuis l’acquisition de Martin Marietta au coût de dix milliards de dollars qui devint réalité le 15 mars 1995. Les numéros deux et trois des fournisseurs du Pentagon ne faisaient alors plus qu’un
Contrairement aux apparences, Lockheed Martin n’est pas étranger au secteur du vol vertical. L’entreprise équipe et modifie les AgustaWestland EH101 Merlin, les Sikorsky MH-60R et MH-60S ainsi que les VH-92A ‘Marine One’. De plus, dans les années 1960, Lockheed s’était essayé avec l’AH-56 Cheyenne commandé à dix exemplaires par l’US Army en 1966 pour remplacer le Bell AH-1 Cobra et dont le vol inaugural est survenu le 21 septembre 1967. Le conflit vietnamien réduisant d’intensité, le Cobra répondant aux besoins et représentant un moindre risque technologique que le Cheyenne, le programme de ce dernier fut annulé par l’US Army le 9 août 1972.
Le rachat de l’icône qu’est Sikorsky Aircraft par Lockheed Martin présente plusieurs avantages. Il élargira la gamme des produits du constructeur de Bethesda, assurera une pérennité à l’hélicoptériste du Stratford et minimisera les risques de pertes d’emplois, les doublons semblant quasi-inexistants entre les deux firmes.
Ayant réalisé son vol inaugural en 1974 et son entrée en service en 1979, le H-60 Hawk trouve toujours preneur. L’US Air Force a choisi le HH-60W comme prochain hélicoptère de recherche et de sauvetage armés et l’US Navy a renouvelé sa confiance dans les MH-60R et MH-60S. Non moins négligeable, le programme H-60 Hawk dont plus de deux milles exemplaires ont été livrés, représente pour de nombreuses années à venir, une manne pour le repreneur grâce à l’énorme marché des pièces et du service après-vente. L’hélicoptère lourd de l’US Marine Corps, CH-53K King Stallion sera le plus important programme de voilure tournante du Pentagon dans les années à venir d’ici la montée en production du remplaçant de l’UH-60 Blackhawk qui se décidera entre le Sikorsky/Boeing SB-1 Defiant et le Bell Helicopter V-280 Valor.
Reste le sort des bi turbines moyen haut de gamme S-76D Spirit prisé pour le transport VIP et S-92 de 19 passagers affectionné sur les plates-formes pétrolières off-shore et par les garde-côtes. Tourné exclusivement vers le marché de la défense, Lockheed Martin ne conservera certainement pas ces deux lignes d’hélicoptères civils.
Quant à Bell Helicopter, un rapprochement avec Sikorsky lui aurait permis d’élargir et de renforcer sa gamme de produits en dépit des risques d’opposition à la transaction de la part des autorités judiciaires américaines. Le biturbine d’attaque Bell AH-1 Cobra est en fin de carrière alors que le convertible Bell/Boeing V-22 Osprey doit tabler maintenant sur les ventes à l’international, estimées à une peu plus d’une centaine, alors que les livraisons à l’US Marine Corps et l’US Air Force sont en diminution, étant passées de 40 à 22 de 2010 à 2015.
Néanmoins, si Sikorsky, une fois dans le giron de Lockheed Martin, se déleste de ses modèles civils, Bell Helicopter resterait le candidat idéal. Certes les Sikorsky S-76D et Bell 412EPi sont de gabarit semblable mais le premier est plus moderne, son vol inaugural remontant à 1977 tandis bien que celui du 412 remonte à 1980, il est toutefois dérivé du 212 ayant volé pour la première fois en 1966.
Quant au Sikorsky S-92, il pourrait trouver sa place au sein de la gamme de l’hélicoptériste texan, au-dessus du 525 Relentless, sa masse maximale au décollage étant de 26 500 livres contre 20 000.
Finalement, les S-76D et les S-92 sont assemblés dans une même unité de production à Coatesville, en Pennsylvanie loin des installations principales de Sikorsky à Stratford au Connecticut.
Ainsi si, comme prévu, Lockheed Martin mets la main sur Sikorsky Aircraft, le géant de Bethesda sortira gagnant du réalignement, souhaité depuis si longtemps, des hélicoptéristes américains, et Bell Helicopter, perdant, surtout si son V-280 Valor n’est pas choisi pour remplacer les H-60 Hawk.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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