L’annonce du remplacement de Pierre Beaudoin par Alain Bellemare à la tête de Bombardier a créé de grandes attentes mais elle laisse de nombreuses questions sans réponses. À court terme, la mission du nouveau PDG sera de compléter les programmes de certifications du CSerie et du train à grande vitesse Zefiro puis de lancer rapidement leur production. Le plus grand défi sera toutefois de vendre ces deux produits en nombre suffisant pour redresser les finances de la compagnie.
Un pessimisme persistant
Ce n’est toutefois pas de cette manière que la majorité des analystes et des commentateurs voient les choses. Plusieurs de ces experts estiment que le processus de certification du CSeries va dérailler à nouveau et que le coût des nouveaux avions va gonfler au-delà des 5,4 milliards de dollars US annoncé en catimini le 12 février dernier en marge de la publication des résultats financiers du quatrième trimestre.
Les difficultés rencontrées par les Boeing B-787 et par l’Airbus A-380 seraient là pour illustrer qu’un programme de certification mal engagé ne peut aller que de mal en pis, un problème réglé en appelant forcément un autre. Qu’un avion puisse obtenir son certificat de navigabilité sans imprévus, comme on vient de le voir avec l’Airbus A-350, tiendrait de l’exception plutôt que de la règle. Donc les analystes et les commentateurs parient contre le CSeries. L’arrivée d’Alain Bellemare n’a pas beaucoup réduit leur niveau de pessimisme pour le proche avenir.
Des ventes rapides d’actifs
Ce que tout ce monde espère d’Alain Bellemare, ce sont des ventes d’actifs rapides et importantes. Et évidemment, on ressort sans cesse l’idée que les Chinois vont forcément racheter le CSeries. Certains croient également que Learjet sera vendu et peut-être même Bombardier Transport.
La direction de Bombardier a encouragé ces spéculations en écrivant une phrase particulièrement nébuleuse dans son communiqué de presse du 12 février dernier. On y affirme que «Pour compléter [son] plan de financement, la Société étudiera d’autres mesures, dont la possibilité que certaines activités d’affaires participent au regroupement qui s’opère au sein de l’industrie, afin de réduire sa dette.»
Cette phrase des plus vagues ouvre tout grand la porte à toutes les interprétations possibles et on pourrait même y faire passer un Zeppelin! Ventes d’actifs, acquisition, partenariat, etc., tout devient possible. Pressé de questions, Pierre Beaudoin a donné l’exemple de la fusion des manufacturiers d’équipement ferroviaire chinois CNR et CSR pour former une entreprise dont les ventes avoisineront les 20 milliards de dollars US, soit deux fois plus que celles de Bombardier Transport. Pierre Beaudoin ne l’a pas dit, mais on peut penser que la perte du contrat du métro de Boston aux mains de CNR illustre bien le péril qui menace Bombardier transport.
Bombardier transport en ébullition
Le secteur du transport ferroviaire est celui où l’expression «participer au regroupement qui s’opère au sein de l’industrie» prend tout son sens. Ce secteur manufacturier est encore passablement fragmenté, mais les choses semblent sur le point d’évoluer rapidement. L’Europe compte trois fabricants majeurs de matériel ferroviaire : Bombardier Transport, Alstom et Siemens. Il faut ajouter quelques compagnies de taille intermédiaire comme l’espagnole CAF et l’italienne AnsaldoBreda.
Traditionnellement, ces entreprises étaient bien implantées sur leurs marchés intérieurs et elles faisaient occasionnellement de petites incursions dans les marchés voisins. Alstom et Bombardier se partageaient le marché français; Siemens et Bombardier régnaient sur le marché allemand et AnsaldoBreda s’accrochait au marché italien. La mondialisation et les traités de libre-échange entraînent progressivement le démantèlement de ces chasses gardées où les équipements n’étaient pas toujours vendus au meilleur prix possible.
Ajoutons que l’Europe présente actuellement un potentiel exceptionnel. La France a commencé à remplacer ses plus anciens TGV, l’Allemagne devra en faire autant avec ses trains à grande vitesse ICE et l’Italie est au milieu d’un vaste programme de rajeunissement de l’ensemble de son réseau ferroviaire. Il y a donc de quoi faire saliver non seulement les Chinois mais également les Coréens et les Japonais
Dans ce contexte, Bombardier transport doit revoir sa stratégie d’affaires rapidement. Le malheur est que Bombardier n’a pas les moyens d’acheter quoi que ce soit, ce qui ne lui laisse que la négociation de partenariats comme option. Si elle veut en plus réduire son endettement, elle devra forcément vendre quelque chose. Elle a le choix puisque ses activités se sont extrêmement diversifiées : trains à grande vitesse, trains régionaux et trains de banlieue; métros, tramways, monorail; équipement de signalisation, moteurs électriques, bougies, systèmes de batteries, etc.
Les partenariats ne sont pas une chose nouvelle pour Bombardier Transport. Sa filiale chinoise participe à quatre co-entreprises qui fabriquent du matériel ferroviaire en Chine. La création de la plus récente, Bombardier-NGU Signalling Solutions Company, qui se spécialisera dans les systèmes de communication, de signalisation et de surveillance intégrés, a été annoncée le 10 février dernier. Le même modèle d’affaires pourrait sans doute être transposé en Europe. De plus, Bombardier Transport pourrait certainement vendre certaines activités moins rentables ou ayant moins de potentiel de croissance.
Possibilités réduites dans le secteur de l’aéronautique
Les perspectives de regroupement et de partenariat au sein de l’industrie aéronautique sont nettement moins bonnes. Du côté des avions commerciaux, le gâteau se partage à part presqu’égales entre deux géants, Boeing et Airbus. Il ne reste que quelques miettes insignifiantes pour Bombardier. L’entreprise chinoise Comac et la russe United Aircraft Corporation (UAC) veulent également s’inviter à la table pour le dessert, mais rien n’indique qu’on leur fera une place. Fort heureusement ces deux entreprises seront sauvées par leurs gouvernements qui en sont propriétaires.
Dans ce contexte, les options de Bombardier Avions commerciaux sont plutôt réduites. Une co-entreprise avec Comac en vue d’un développement conjoint du CSeries et du C-919 est une possibilité. Les deux entreprises travaillent ensemble depuis plusieurs années déjà sur l’ARJ-21 et sur le C-919, mais sans que cela se traduise par des commandes importantes pour le CSeries. Pousser le partenariat plus loin pourrait-il enfin ouvrir le marché chinois au CSeries? La chose reste à voir, mais ce qui est certain, c’est que la Chine a commandé très peu de CSeries jusqu’à maintenant.
Les perspectives ne sont pas meilleures pour les autres produits de Bombardier Avions commerciaux. Les Chinois montreront sans doute peu d’intérêt pour les avions régionaux de Bombardier, les CRJ 700 et 900, puisque ceux-ci font concurrence à l’ARJ-21-700, certifié en décembre dernier au terme de 12 ans d’efforts considérables. La même observation vaut pour le Q-400 de Bombardier qui fait concurrence au MA-600 chinois.
Chez Bombardier Avions d’affaires, il n’y a qu’une seule possibilité : vendre Learjet et surtout son Lear-85. Encore une fois, les Chinois pourraient tenter leur chance, mais ils devront se montrer plus persuasifs que lors de leur tentative d’achat de Beechcraft en 2013. Il y aura sans doute d’autres acheteurs pour l’avionneur de Wichita. De grands fonds d’investissements américains pourraient y voir un intérêt. Parmi les candidats étrangers aux poches assez profondes, on peut penser à Honda, qui aurait bien besoin de faire quelques acquisitions pour constituer une véritable famille autour de son Hondajet. Le malheur est que la compagnie japonaise semble réfractaire aux acquisitions et aux partenariats. Elle préfère développer ses produits à l’interne même si la route pour y arriver est aussi longue et difficile qu’un sentier menant au sommet du mont Fuji.
La nouvelle direction de Bombardier va devoir faire preuve d’imagination tout autant que de rapidité afin de lever les capitaux nécessaires à la survie de l’entreprise. Vendre certaines activités est sans doute inévitable, mais la chose doit se faire de façon ordonnée, ce qui constituera un grand défi pour le nouveau tandem Beaudoin-Bellemare.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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