Qui se souvient de la naissance de la compagnie BRP en 2003? Qui se souvient que ces trois lettres sont un acronyme pour «Bombardier Recreative Product»? Le scénario de 2003, qui a mené à la création de BRP, pourrait-il se reproduire en 2015? Une manœuvre du même genre sera-t-elle nécessaire pour sortir Bombardier de l’ornière dans laquelle elle s’est enlisée avec le CSeries?
Les années 2002 et 2003 ont été très difficiles pour Bombardier. En 2003, les revenus de la compagnie s’établissaient à 23,7 milliards $ et l’exercice financier se soldait par une perte de 615,2 millions $ ou 0,47 $ par action. En janvier 2003, un nouveau président-directeur général très musclé, Paul Tellier, est entré en fonction avec la mission de redresser le bilan du conglomérat montréalais quel qu’en soit le prix. Et ce prix s’est avéré élevé.
Le 3 avril 2003, monsieur Tellier annonçait son plan de redressement en affirmant haut et fort : «Nous allons rétablir notre crédibilité auprès des investisseurs». Le plan d’action de monsieur Tellier comprenait plusieurs éléments qui avaient pour but de «raffermir le bilan en augmentant le fond de roulement».
Parmi les mesures concrètes décidées par monsieur Tellier:
La décision de vendre la Division des produits récréatifs a eu un impact émotif très important sur la famille Bombardier. Le désir de conserver l’héritage historique de Louis-Joseph Armand Bombardier est sans doute le facteur principal qui a amené la famille à participer au rachat de la division et à créer BRP. Cette décision a toutefois été payante en raison notamment du succès commercial de son véhicule Spider et du lancement d’une première émission publique d’actions en mai 2013. À la suite de cette émission, le Groupe Beaudier détenait 34,9% des actions et 48,2% de l’ensemble des droits de vote; Bain Capital détenait 26,9% des actions et 37,1% des droits de vote; la Caisse de dépôt et placement du Québec détenait 5,1% des actions et 7,1 % des droits de vote; le public détenait 33,1% des droits de vote et 7,6% des droits de vote.
Un plan de sauvetage pour 2016
La situation financière de Bombardier est très délicate, elle présente ce que les gens d’affaires appellent des défis importants. Même si le CSeries entre en service comme prévu avant la fin de l’année et même sans nouveaux dépassements de coûts, il restera encore à vendre suffisamment de CSeries pour redresser les finances de Bombardier. La majorité des analystes financiers et aéronautiques qui suivent Bombardier sont pessimistes et personne à l’extérieur de la compagnie ne prédit un accroissement important des commandes. Mais personne dans ce groupe n’avait vu venir la chute actuelle du prix du pétrole non plus, comme quoi les meilleurs analystes se trompent parfois…
Dans ce contexte, l’année 2016 s’annonce difficile. Bombardier devra en effet refinancer des emprunts totalisant 1,6 milliards de dollars américains. Une forte hausse des ventes et des livraisons du CSeries aiderait beaucoup à améliorer les flux de trésorerie et à redorer l’image de Pierre Beaudoin comme PDG, mais ce ne sera peut-être pas suffisant pour convaincre les prêteurs de consentir des taux d’intérêts acceptables. Il reste le scénario BRP. Plusieurs étapes préparatoires ont été franchies récemment. La cure minceur entamée l’an dernier va permettre des économies substantielles en 2015. La Division aéronautique a été scindée en trois compagnies distinctes, ce qui pourrait permettre de vendre l’une d’elle. On peut toutefois dès le départ éliminer la vente de Bombardier Aérostructures, trop nouvelle pour être mise en vente et pour laquelle il serait difficile de prévoir un chiffre d’affaires ou une marge de profits.
De très nombreux analystes affirment que c’est Bombardier Avions Commerciaux qui sera vendu, et on ramène sans cesse les Chinois comme acheteurs. Cette stratégie est sans doute la pire et la plus coûteuse qu’on puisse imaginer. Le CSeries a coûté près de 5 milliards de dollars américains. Bombardier pourrait-il au moins récupérer le montant de son investissement? Les Chinois sont-ils suffisamment désespérés pour acheter au coût de 5 milliards $ une compagnie qui peut certes leur apprendre comment faire certifier leurs avions sur les marchés occidentaux mais dont, au final, la production fait concurrence aux avions actuellement fabriqués ou en cours de développement en Chine? Et vendre Bombardier avions commerciaux moins que 5 milliards $ laisserait à Bombardier une partie des dettes du CSeries sans avions en contrepartie.
Vendre Bombardier Transport n’est pas une bonne idée non plus. Cette compagnie est encore en convalescence et son nouveau président, Lutz Bertling, a encore beaucoup de travail à faire pour en compléter le redressement financier. En même temps que l’annonce de la suspension du Lear 85, Bombardier a également révélé que la marge de profit de Bombardier Transport allait être de 4 % en 2014 au lieu des 5 % prévus en début d’année. Le marché du transport ferroviaire devient de plus en plus difficile comme le montre la récente perte du contrat pour les voitures du métro de Boston. Ce qui inquiète dans cet échec, ce n’est pas que Bombardier ait perdu le contrat; on ne peut pas gagner à tous les coups. Par contre l’écart entre les soumissions de Bombardier et celles de ses concurrents laisse pantois. La soumission de Bombardier était de 1,08 milliard de dollars américains alors que celle de son concurrent coréen, Hyundai Rotem, était de 720,6 millions et que la soumission gagnante, déposée par la société chinoise CNR, n’était que de 566 millions. Comment peut-on expliquer un tel écart de prix? Lutz Bertling va devoir réviser sa liste de prix à la baisse s’il veut rester en affaires, et ça ne va pas aider les marges de profits…
Vendre Bombardier Avions d’Affaires
Il reste la perle du groupe, Bombardier Avions d’affaires, qui peut être vendue rapidement et à un prix très élevé. Cette division possède un potentiel exceptionnel. Sa gamme d’avions sera complètement renouvelée avec l’entrée en service des nouveaux Global 7000 et 8000 et les années qui suivront s’annoncent fastes. Il faut savoir que les gens très riches qui achètent des avions d’affaires de 60 millions $ chacun ne sont pas de nature très fidèle. Ce qui compte pour eux, c’est d’avoir l’avion le plus récent, le plus gros, le plus cher et le plus prestigieux. Et ces acheteurs changent d’avion à tous les 5 ou 6 ans peu importe le nombre d’heures de vol au compteur. Lorsque les nouveaux avions Global entreront en service, son concurrent, le Gulfstream 650 aura déjà 5 ans et ses premiers clients seront prêts à le délaisser au profit des nouveaux avions de BAA. Les Global 7000 et 8000 devraient permettre à BAA de reconquérir le titre de plus important manufacturier d’avions d’affaires au monde, que Gulfstream, lui a ravi.
Très peu d’analystes pensent que Bombardier projette de se départir de sa principale source de profits. Pourtant si l’on repense au scénario BRP de 2003, il est tout à fait possible que les actionnaires principaux aient en réserve un scénario BAA, ou peut-être BBA pour Bombardier Business Aircraft. Si l’on se fie au précédent de 2003, le Conseil d’administration créerait un comité composé d’administrateurs indépendants aidés de conseillers externes pour superviser le processus de vente et rechercher le meilleur acheteur. Les candidats seraient sans doute nombreux mais, comme en 2003, il y a fort à parier que le groupe vainqueur serait composé d’un grand fond d’investissement américain, du Groupe Beaudier et de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Évidemment, si ce devait être le cas, ce groupe ne bénéficierait d’aucun passe-droit et il devrait payer le juste prix du marché.
Si l’on change de point de vue, la question centrale devient : Que souhaite l’actionnaire principal de Bombardier, la famille Bombardier-Beaudoin? Poursuivre la stratégie actuelle, qui est de mettre sur pied un concurrent valable au duopole Boeing-Airbus, ou retirer progressivement ses billes du jeu en rachetant la portion la plus profitable de l’entreprise, les avions d’affaires, quitte à laisser se débrouiller le reste de la compagnie.
Un actionnaire principal mystérieux
Beaucoup de gens oublient que Bombardier n’est pas tout à fait une compagnie normale. Quatre actionnaires, J.R. André Bombardier, Janine Bombardier, Claire Bombardier-Beaudoin et Huguette Bombardier-Fontaine, contrôlent 54,33% de tous les droits de vote grâce à leurs actions de catégorie A comportant chacune 10 droits de votes. Les grandes décisions stratégiques sont prises par ces quatre actionnaires auxquels il faut ajouter Laurent Beaudoin, le mari de Claire Bombardier, Pierre Beaudoin, leur fils, Joanne Bissonnette, la fille de Janine Bombardier, qui siège au conseil d’administration de Bombardier, et Jean-Louis Fontaine, le mari d’Huguette Bombardier, qui siège aussi à ce même conseil d’administration. On ne sait rien des discussions certainement très animées qui ont lieu entre ces personnes. Le secret au sein de la famille est sans faille et au cours des années nous n’avons même jamais eu droit à de vagues rumeurs.
D’autre part, on assistera sous peu à un changement de garde au sein du bloc familial. André Bombardier, les quatre filles de Louis-Joseph Armand Bombardier et leurs maris ont tous plus de 70 ans. Ce sont leurs enfants, maintenant dans la cinquantaine, dont Pierre Beaudoin, qui prennent progressivement la direction du groupe. Ce sera à eux de décider de l’avenir de Bombardier.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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