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Les entreprises québécoises du secteur aérospatial ne doivent pas craindre de se retrouver en situation de pénurie de main d’œuvre. C’est ce qu’a soutenu monsieur Normand Roy, économiste et conseiller au bureau de la sous-ministre associée d’Emploi Québec, lors d’un petit déjeuner organisé à Montréal par le CAMAQ, le Comité sectoriel de la main-d’œuvre en aérospatiale du Québec, le 12 novembre dernier. Monsieur Roy a d’abord rappelé les différences qui existent entre les situations de rareté de main-d’œuvre et celles de pénurie de main-d’œuvre. Lorsqu’il y a rareté de main-d’œuvre, le coût des salaires payés aux travailleurs spécialisés augmente jusqu’à ce que le point d’équilibre soit atteint. C’est la bonne vieille loi de l’offre et de la demande qui s’applique. Dans ces situations, les entreprises doivent décider s’il est plus rentable d’embaucher des travailleurs additionnels ou d’augmenter la productivité de leurs travailleurs actuels en investissant dans de nouveaux équipements. Lorsqu’il y a pénurie de main-d’œuvre, la question ne se pose pas puisqu’il est impossible de trouver plus de travailleurs, quel que soit le salaire offert. Actuellement, Normand Roy ne voit pas de pénurie de main-d’œuvre se profiler au Québec, même à long terme.
Ces propos contrastent avec une croyance très répandue voulant que l’effet conjugué de la baisse de la natalité et du départ à la retraite massif des baby-boomers entraîne de graves pénuries de main-d’œuvre dans les prochaines années. M. Roy rappelle d’abord que les démographes sont devenus moins alarmistes à ce sujet qu’il y a quelques années. Les phénomènes démographiques ne se produisent pas du jour au lendemain; ils s’étalent sur de nombreuses années, ce qui permet d’en compenser l’effet par une hausse de la productivité ? d’ailleurs inférieure de 15% au Québec, par rapport au reste du Canada, note le conférencier. Il faut également tenir compte de l’augmentation du taux de participation des femmes dans le marché du travail, de l’allongement de l’espérance de vie, du report d’une partie des départs à la retraite et, ce qui est très important, de l’immigration. Tous ces facteurs ont permis de revoir à la baisse les inquiétudes qui ont défrayées la manchette il y a quelques années.
Certaines entreprises affirment avoir des postes vacants qu’elles n’arrivent pas à combler. M. Roy explique qu’il y a environ 300,000 chômeurs au Québec et 60,000 postes vacants, ce qui donne un ratio de 6 chômeurs pour 1 poste vacant. Une autre façon d’analyser la situation est de calculer le ratio de postes vacants par rapport aux postes existants : 1 poste vacant pour 40 à 50 postes. « Les postes vacants ne sont pas un phénomène d’une ampleur colossale par rapport aux emplois qui existent dans l’économie, c’est une réalité relativement marginale. », selon M. Roy. Pour évaluer la gravité de la situation, Statistique Québec mène une enquête annuelle sur le nombre de postes vacants depuis 4 mois ou plus; on a calculé qu’un poste sur 160 était vacant depuis longtemps. Statistique Québec a également cherché à calculer combien ces postes vacants depuis longtemps coûtaient à l’économie sous forme de perte économique comme une perte de contrat ou d’occasion d’affaire. Les entreprises sondées ont déclaré que seulement un poste vacant sur 100 entraînait des pertes quantifiables. Reste évidemment le défi que pose l’appariement entre les postes vacants et l’offre de main-d’œuvre. Les travailleurs disponibles ne sont pas géographiquement là où se trouvent les postes à combler, sans compter la formation et l’expérience qu’exigent ces postes. Mais on ne peut tout de même pas parler de pénurie de main-d’œuvre au Québec, selon Normand Roy. Comment ces constatations générales s’appliquent-elles au secteur de l’aérospatial? Là encore M. Roy se montre rassurant. Les emplois de ce secteur sont plus spécialisés, plus spécifiques et mieux payés que la moyenne des emplois québécois; la mobilité dans ce secteur est aussi plutôt faible. Pour l’instant l’économiste ne note pas de pressions salariales importantes, ce qui indiquerait qu’il n’y a pas pénurie de main-d’œuvre.
Par contre, les entreprises du secteur aérospatial font face à plusieurs défis particuliers. Il y a d’abord les exigences techniques imposées aux nouveaux employés, très élevées; la grande spécificité des emplois offerts, ce qui restreint la mobilité de la main-d’œuvre. M. Roy ajoute à ces deux facteurs la crainte qu’un resserrement éventuel des normes écologiques puisse influencer négativement la santé économique des entreprises du secteur. Il en irait de même de la forte proportion de commandes militaires dans l’industrie, qui teinte négativement son image en plus d’en accentuer le caractère cyclique. Il se produit en effet des fluctuations très importantes dans l’octroi des contrats militaires. L’augmentation de la présence féminine dans l’industrie  ? seulement 22 % des emplois actuels ? constituerait un autre défi important. Le problème fondamental, structurel, selon M. Roy, demeure toutefois le caractère cyclique de l’industrie; chaque ralentissement économique, comme celui de 2009, entraîne des mises à pied importantes qui découragent les jeunes de poursuivre une formation dans le secteur aérospatial. Ces formations durent plus longtemps, coûtent plus cher, sans pour autant garantir une stabilité d’emploi plus grande.
Après l’exposé de M. Normand Roy, l’économiste Maxim Armstrong du Conference Board du Canada et le démographe Yves Carrière, professeur agrégé de l’Université de Montréal, se sont joints à lui dans un débat animé.
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Daniel Bordeleau
daniel.h.bordeleau@infoaeroquebec.net
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Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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