Le mercredi 24 juillet au matin, dans un communiqué de presse de Bombardier, la nouvelle tomba :‘Le vol inaugural de l’avion CSeries de Bombardier aura lieu au cours des prochaines semaines’.
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En une cinquantaine de lignes dont la moitié exclusivement consacrée à l’état d’avancement de la certification du CSeries, les communautés aéronautique et financière apprenaient qu’il faudrait encore patienter au moins un mois pour voir décoller le dernier né de Bombardier Aéronautique.
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Promis au quatrième trimestre 2012, le premier vol du CSeries fut reporté une première fois à la fin  du mois de juin 2013 avant d’être repoussé au début de l’été d’un autre mois.
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A la veille du Salon du Bourget qui ouvrit ses portes le 17 juin dernier, nous espérions encore en ouverture du Salon, l’annonce accompagnée d’une vidéo du vol inaugural du CSeries.
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Nous nous étions trompés, sans en être pour autant déçus.
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Airbus vola la vedette par l’envol de son nouveau gros porteur de 314 places, l’A350XWB, le 14 juin, vidant ainsi plusieurs conférences de presse pré-salon d’un bon nombre de journalistes descendus à Toulouse, assister au très publicisé évènement. Sept jours plus tard, le premier A350XWB parcourait les 350 miles nautiques séparant Blagnac de Paris pour survoler l’aéroport du Bourget lors de la première journée ‘grand public’ du Salon.
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Devant des milliers d’employés, d’invités de marque et de nombreux journalistes, l’A350XWB s’éleva dans le ciel toulousain, dix jours après la mise en route de ses réacteurs, le 2 juin. Dans le cas de l’A380, deux semaines s’étaient écoulées.
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Concernant le Boeing 787, les choses se compliquèrent. Les responsables de l’avionneur de Seattle annoncèrent le 15 juin 2009 en plein Salon du Bourget, l’imminence du premier vol du 787. Il ne devint réalité que six mois plus tard, le 15 décembre 2009. La mise en route des moteurs avait eu lieu le 21 mai de la même année soit presque sept mois avant le vol inaugural initialement prévu pour aout 2007, soit avec un retard de 28 mois.
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Mais la complexité technique et les ruptures technologiques du CSeries comme de l’A350XWB ne sont en aucune mesure comparables à celles du 787. Presque sept mois s’écoulèrent entre la mise en route des moteurs du 787 et son vol inaugural contre seulement douze jours dans le cas de l’A350XWB.
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Le 18 juillet 2013, les moteurs du premier véhicule d’essai en vol (FTV1) du CSeries furent mis en route deux jours après celle du générateur de puissance auxiliaire ou APU.
La validation de l’ensemble des systèmes et l’intégration des logiciels sembleraient être source de soucis.
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L’analyse du contenu du communiqué de presse du 24 juillet stipulant que ‘le premier vol devrait avoir lieu au cours des prochaines semaines’, nous fait comprendre  que le FTV1 ne se soulèvera pas du sol avant la fin du mois d’aout. Au mieux.
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De toute évidence, les premières livraisons du CSeries accusent déjà huit mois de retard. Deux ou trois mois de plus ne sont pas la fin du monde. Par contre, ces retards supplémentaires pourraient s’avérer un tracas pour des transporteurs ayant avoir défini leur modèle d’affaires en fonction des performances du CSeries. Pensons ici à Porter qui attend l’autorisation de la ville de Toronto pour poser ces CSeries à l’aéroport Billy Bishop et à l’anglaise, Odyssey Airlines, qui souhaite offrir aux gens d’affaires à partir de l’aéroport London City, des liaisons avec des capitales financières dont New York. Quant aux autres clients du CSeries, tout se jouera en fonction de leur patience et des offres d’Airbus et de Boeing bien que le CSeries se range dans une catégorie à part.
Il est vrai que dans le cas de deux clients du CSeries, Republic Airways et Swiss qui appartiennent respectivement à Republic Holdings et Lufthansa, opérant des avions de la famille A320 d’Airbus, les choses pourraient se compliquer. Des retards continus ou des problèmes techniques persistants pourraient les pousser à se tourner vers un avion connu et éprouvé en dépit de ses couts directs d’exploitation plus élevés.
Néanmoins, les carnets de commandes des familles A320 et 737 sont déjà chargés, obligeant les deux avionneurs à augmenter sans cesse les cadences de production de manière à honorer les déluges de commandes obtenues depuis les lancement des A320Neo et 737MAX.
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Le cas du Boeing 787 est significatif et rassurant car avec un premier vol prévu initialement en aout 2007 pour une mise en service un an plus tard, Boeing engrangea en 2004 56 commandes, en 2005, 235, en 2006, 157 et en 2007, 369 pour un total de 817. Un fort ralentissement des commandes assorti d’annulations se traduisit par des commandes nettes de 93 en 2008, -59 en 2009, -4 en 2010, 13 en 2011, -12 en 2012 et 82 au 30 juin 2013. Le carnet de commandes du 787 a néanmoins atteint 930 le 30 juin 2013 au lendemain du Salon du Bourget. Grâce à ses ruptures technologiques qui se sont traduites en performances exceptionnelles et en réductions importantes des couts directs d’exploitation, le Boeing 787 a bien traversé les sévères turbulences causées par ses retards de livraison et sa suspension de vol du début de l’année provoquée par l’incendie de ses batteries lithium-ion.
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A l’aube de son vol inaugural, le CSeries décliné pour l’instant en deux modèles, le CS100 et le CS300, ne compte que 177 commandes fermes accompagnées de 211 options.
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Nous sommes loin des 832 Boeing 787 ou des 616 Airbus A350XWB en commande ferme au moment de leur vol inaugural mais pas si loin des 265 Airbus A320. Ceci n’a pas empêché la famille du monocouloir d’Airbus de dépasser le cap des 9500 commandes et options lors du dernier Salon du Bourget.
A son premier vol en mai 1991, le CRJ de Bombardier ne comptait que 13 commandes. Plus de 1600 s’y ajouteront ultérieurement.
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Coté boursier, le report du vol inaugural du CSeries n’a pas eu une grande répercussion sur le cours de l’action de l’avionneur de Saint-Laurent avec un recul de 6 cents mercredi pour clôturer a $5.01 et finir la semaine à $ 4.90.
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Pour mémoire, l’action de Bombardier (BBD-B.TO) a fluctué de $2.15 au troisième trimestre 2004 à $8.72 au second trimestre 2008.
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A titre comparatif, l’action de Boeing (BA) dégringola d’une centaine de dollars à la mi-2007 à un creux de $30.10 au premier trimestre 2009 pour ensuite remonter.
Son premier vol prévu pour aout 2007, le 787-8 réalisa sa sortie d’usine en juillet 2008 alors que l’action passa d’une centaine de dollars à environ $60. Entre le ‘roll out’ du 787 et son premier vol, le 15 décembre 2009, l’action de Boeing descendit à $30.10 au premier trimestre 2009 avant de remonter à $50.00. Au lendemain de la première livraison, le 26 septembre 2011, elle s’établissait à $ 62.01. Ensuite, elle se valorisa malgré quelques replis pour atteindre $106.96 en ce vendredi, une majoration de $30.00 depuis le début de l’année 2013.
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A une époque où la complexité technologique des aéronefs s’avère de plus en plus élevée et où les responsables du marketing semblent avoir pris le pas sur les ingénieurs pour des questions de lutte commerciale, les retards seront monnaie courante.
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Dans un tel contexte, il est plus facile pour les acheteurs d’accepter les retards de mise en service d’un nouvel avion à condition qu’il offre, à la fois, des performances exceptionnelles et une intéressante réduction des couts d’exploitation…
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Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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