La saga du rachat de l’hélicoptériste américain Sikorsky Aircraft s’est conclue en ce lundi matin par la diffusion à 7h35 d’un communiqué de presse de Lockheed Martin et d’un autre d’United Technologies Corporation, maison mère de Sikorsky
Sa mise en vente annoncée par UTC en plein Salon du Bourget en juin dernier, cela n’aura guère nécessité plus d’un mois pour trouver un acheteur à Sikorsky
Nous nous souviendrons que plusieurs prétendants furent envisagé : Lockheed Martin, constructeur des F-16, F-22, F-35 et C-130J mais aussi de radars, missiles, systèmes d’armes, satellites et intégrateur de plusieurs modèles d’hélicoptères ; Boeing et ses CH-47 Chinook, AH-64 Apache et V-22 Osprey en collaboration avec Bell Helicopter; Bell Helicopter avec ses 206, 407, 412, 429 du coté civil et ses vieillissants UH-1 Huey et AH-1 Cobra du coté militaire et même l’européenne Airbus Helicopters.
Néanmoins, très rapidement émergèrent Lockheed Martin et Bell Helicopter
La transaction de 9 milliards de dollars américains devrait être bouclée d’ici la fin 2015 ou au tout début de l’année 2016 sous condition de l’approbation des autorités réglementaires des États-Unis.
Lockheed Martin né de la fusion de mars 1995 entre Lockheed et Martin Marietta déjà numéro un mondial dans la défense et premier fournisseur du Pentagon renforcera son avance sur Boeing avec cette transaction. Lockheed Martin afficha en 2014 un chiffre d’affaire de 45,6 milliards de dollars américains dont 37,8 milliards générés par les ventes au secteur de la défense et 112 000 employés et Sikorsky, 7,5 milliards et 15 264 employés. Boeing en 2014, affiché un chiffres d’affaires de 90,762 milliards de dollars américains dont 30,882 pour la division Defense, Space & Security pour un total de 165 000 employés
La décision de la nouvelle direction d’UTC de se séparer de Sikorsky se justifie par l’impact des coupes budgétaires militaires américaines. En juin dernier, Sikorsky Aircraft annonçait la mise à pieds de 1400 employés sur les douze prochains mois soit 10% de ses effectifs
Ainsi de 2012 à 2014, alors que les ventes de Sikorsky sont passées de 6,791 milliards de dollars américains à 7,451 milliards, le profit net a glissé de 712 à 219 millions
Alors que Sikorsky affiche un taux de profit en 2014 de 2,9% contre 10,5% en 2012, celui de l’ensemble d’UTC est de 15,2% en 2014, Pratt & Whitney 13,8%, UTC Aerospace Systems, 16,6%
(en millions de US$) | Otis | UTC Climate, Controls & Security | Pratt & Whitney | UTC Aerospace Systems | Sikorsky | UTC |
Ventes | ||||||
2014 | 12,982 | 16,823 | 14,508 | 14,215 | 7,451 | 65,979 |
2013 | 12,484 | 16,809 | 14,501 | 13,347 | 6,253 | 63,394 |
2013 | 12.056 | 17,090 | 13,964 | 8,334 | 6,791 | 58,235 |
Profits | ||||||
2014 | 2,640 | 2,782 | 2,000 | 2,355 | 219 | 9,996 |
2013 | 2,590 | 2,590 | 1,876 | 2,018 | 594 | 9,668 |
2012 | 2.512 | 2,425 | 1,589 | 944 | 712 | 8,182 |
Marge bénéficiaire | ||||||
2014 | 20,3% | 16,5% | 13,8% | 16,6% | 2,9% | 15,2% |
2013 | 20,7% | 15,4% | 12,9% | 15,1% | 9,5% | 15,3% |
2012 | 20,8% | 14,2% | 11,4% | 11,3% | 10,5% | 14,0% |
Source: 2014 UTC Annual Report.
Sikorsky Aircraft sera intégrée à la division Lockheed Martin Mission Systems and Training avec laquelle l’hélicoptériste de Stratford travaille sur les programmes d’hélicoptères maritimes Sikorsky MH-60R et MH-60S, les futurs hélicoptères de recherche et de sauvetage de combat HH-60W et de transport présidentiel VH-92.
Lockheed Martin rendait public son intention d’une revue stratégique des activités non militaires de sa division ‘Information Systems & Global Solutions’ et d’une partie aussi de la division ‘Missile and Fire Control’ qui représentent des ventes de 6 millions de dollars et regroupent 17 000 employés
Dans son communiqué, UTC annonçait par la même occasion que l’entreprise utiliserait le fruit de la vente de Sikorsky Aircraft au rachat de 75 millions de ses actions d’une valeur de 8,3 milliards de dollars au cours de la Bourse de New York du 17 juillet 2015
L’achat de Sikorsky Aircraft va renforcer la position dominante de Lockheed Martin comme numéro un mondial dans le secteur de la défense et fournisseur de l’US Department of Defense, distançant le numéro deux, Boeing
Le géant de Bethesda pourra ainsi offrir une gamme encore plus large de solutions au secteur de la défense partout au monde avec ses avions de combat F-16 et F-35, ses avions de transport C-130J Hercules, ses missiles Javelin et Patriot, des bombes guidées Paveway, ses radars embarqués et au sol, ses systèmes de défense aérienne PAC-3, THAAD, MEADS et Aegis, ses systèmes d’armes, ses satellites, ses simulateurs et ses drones
De plus, seul le secteur américain des hélicoptères militaires avait été épargné des fusions d’entreprises qui ont suivi la fin de la Guerre froide. Les États-Unis comptaient encore jusqu’à l’annonce d’aujourd’hui pas moins de quatre hélicoptéristes militaires : Bell Helicopter, Boeing, MD Helicopter et Sikorsky pour affronter la franco-germano-espagnole Airbus Helicopters et l’anglo-italienne AgustaWestland
Coté rationalisation du nombre d’employés et d’installations, peu est à craindre du rapprochement de Lockheed Martin et Sikorsky car les double-emplois ou doublons semblent quasi-inexistants
Reste la question de l’avenir des hélicoptères civils S-76D et S-92. Lockheed ayant abandonné le secteur civil depuis l’arrêt de production de son dernier avion de ligne, le L-1011 TriStar en 1984, elle pourrait être tentée de s’en défaire surtout que la production de ses deux appareils est effectuée dans une usine à Coatesville en Pennsylvanie, distincte de la production militaire de Sikorsky. Bell Helicopter pourrait être intéressé d’intégrer le S-76D qui affiche une capacité et des performances se rapprochant du Bell 412EPi mais dont le vol inaugural remonte à 1976 contre 1966 dans le cas du Bell 212 duquel est dérivé le 412 qui a prit son envol en 1981. Quant au S-92, il serait une addition vers le haut dans la gamme de Bell, sa masse au décollage étant de 6500 livres supérieure à celle du Bell 525 Relentless
Cette fusion va donner des coudées franches à Sikorsky pour continuer le développement, obtenir la certification et lancer la production industrielle de l’hélicoptère lourd CH-53K King Stallion commandés à 227 exemplaires par l’US Marine Corps au coût de plus de 25 milliards de dollars américains.
Elle l’aidera aussi à affronter son prochain défi qui sera la compétition Futur Vertical lift (FVL) visant au remplacement des UH-60 Blackhawk de l’US Army. Sikorsky avec son SDB-1 Defiant y affrontera Bell Helicopter et son convertible V-280 Valor qui y jouera peut-etre bien sa pérennité. Plus de 4000 H-60 ont été construit depuis 1974.
De plus, Sikorsky Aircraft arbore un riche carnet de commandes d’une valeur d’une cinquantaine de milliards de dollars avec les MH-60R et MH-60S destinés à l’US Navy et à des clients internationaux dont l’Arabie Saoudite, le HH-60W dont 112 exemplaires ont été commandés par l’US Air Force, le CH-53K King Stallion commandés à 227 exemplaires par l’US Marine Corps dans l’attente de commandes internationales car son prédécesseur trouva sa place auprès des forces armées israéliennes, allemandes et japonaises sans oublier le VH-92 ‘Marine One’ dont 23 exemplaires seront construits à terme.            .
Textron n’a certainement pas eu les assises financières pour racheter Sikorsky et le fusionner avec sa filiale Bell Helicopter. L’hélicoptériste texan qui peine depuis des années avec sa gamme civile face au succès d’Airbus Helicopters et d’AgustaWestland, voit aussi ses activités militaires sous pression avec les réductions de cadence du V-22 Osprey et les insuccès des UH-1 Huey et AH-1 Cobra dérivés de modèles conçus au temps du conflit vietnamien.
L’action de Lockheed Martin a clôturé à 205.13 dollars américains en hausse de 3.95 dollars ou 1.96% tandis que celle de UTC a fini la journée à 110.48 dollars en baisse de 26 cents ou 0.23%. Textron a vu son action se maintenir à 43.73 dollars, une baisse infime de 8 cents.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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