Quelles sont les nouvelles technologies qui pourraient améliorer la sureté du transport aérien à un coût raisonnable? Comment convaincre les voyageurs d’accepter un renforcement des mesures de contrôle sans les dissuader de prendre l’avion? Et jusqu’à quel point les nouvelles technologies peuvent-elles permettre de contrer la menace terroriste qui augmente d’année en année? Ces questions sont au cœur des réflexions de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui a inauguré, le 21 octobre dernier à son siège social de Montréal, un symposium de trois jours sur le thème de la sureté aérienne et de l’innovation. Ce symposium regroupait 356 experts, principalement des dirigeants d’organismes nationaux, responsables de la sureté des aéroports, ainsi que des dirigeants d’entreprises privées œuvrant dans le secteur de la sureté aérienne. Le Canada était représenté par monsieur Angus Watt, président de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA).
Dans son discours d’ouverture, le président du conseil de l’OACI, monsieur Olumuyiwa Benard Aliu, a insisté sur les défis importants qui attendaient les délégués et il s’est dit convaincu que ce séminaire permettrait de trouver des pistes pour améliorer la sureté aussi bien au sol que dans les airs. Monsieur Siim Kallas, vice-président de la Commission européenne, a ouvert les travaux en posant clairement le problème : il faut accroître la sureté du transport aérien, qui fait face à des menaces terroristes grandissantes, tout en réduisant les contraintes imposées aux voyageurs et en respectant leur vie privée. De plus, il faut améliorer l’efficacité et la rapidité des opérations afin de diminuer le temps d’attente des passagers aux aéroports. Monsieur Kallas affirme qu’il faut atteindre ces objectifs malgré un contexte de restrictions budgétaires devenu pratiquement universel.
Monsieur John S. Pistole, administrateur de la Transportation Security Administration (TSA) des États-Unis, qui supervise la sureté de 450 aéroports, affirme : «Nous devons innover, parce que nous savons que c’est ce que font les terroristes. Nous n’avons qu’à regarder l’histoire des 20 dernières années pour constater à quel point a évolué la menace terroriste.» Selon monsieur Pistole, cet objectif peut être atteint même dans un contexte de restrictions budgétaires, comme l’a démontré son organisme. Il précise que depuis dix ans, son agence a accru son efficacité tout en réduisant son personnel de 7%, ce qui lui a permis de retourner au Congrès une partie de ses budgets. Monsieur Pistole insiste sur la nécessité d’améliorer les échanges d’informations entre les membres de l’OACI et de mieux analyser cette information afin d’identifier plus rapidement les voyageurs qui pourraient constituer un risque pour la sureté. Le programme de pré-vérification des voyageurs lancé il y a un an par la TSA serait d’ailleurs un succès. Par ailleurs, M. Pistole insiste sur l’urgence de perfectionner les technologies actuelles afin, notamment, d’améliorer la détection des armes non métalliques. Plus tard, un représentant suisse à la conférence, M. Florian Schmid, directeur du CASRA (Center for Adaptive Security Research and Applications), a d’ailleurs insisté sur les dangers que présentent les armes produites au moyen des nouvelles techniques d’impression 3D, dont les plans peuvent être téléchargés dans Internet.
Ces discours d’ouverture ont été suivis d’une première table ronde présidée par madame Patricia Hayes, directrice général de l’aviation au ministère du Transport du Royaume-Uni. Le premier exposé, présenté par M. Kevin Shum, secrétaire adjoint au ministère du Transport de Singapour, a clairement pris position en faveur d’un recours massif aux nouvelles technologies, comme son pays a choisi de le faire. Selon M. Shun, les plus prometteuses de ces technologies sont celles qui font appel à des analyses biométriques, effectuées notamment au moyen de scanners corporels. Afin de minimiser les réticences des voyageurs envers ces technologies très invasives, les utilisateurs doivent donner des garanties de confidentialité très strictes. De plus il faut convaincre les voyageurs de s’habituer à être fouillés par des machines robotisées plutôt que par des humains. Monsieur Shun ne cache pas que le coût d’implantation de ces nouvelles technologies est très élevé. Les systèmes actuels de sureté représentent 10 % du coût de construction d’un nouvel aéroport, et cette proportion va inévitablement augmenter.
Le président de l’ACSTA (Administration canadienne de la sûreté du transport aérien), M. Angus Watt, a par la suite indiqué que son organisme n’investissait pas autant que Singapour dans les nouvelles technologies et qu’il préférait d’abord les mettre à l’épreuve dans son laboratoire d’Ottawa et attendre qu’elles aient fait leurs preuves avant de les acheter. Une de ses préoccupations est plutôt d’harmoniser le fonctionnement des systèmes de sureté canadiens avec ceux de la TSA aux États-Unis. Ce pays constitue en effet la principale destination des 150,000 personnes qui montent chaque jour dans un avion au Canada. Monsieur Watt a décrit certaines des technologies installées ou à l’essai au Canada et il a insisté sur le rôle essentiel joué par le Centre de contrôle des opérations de sureté situé à Ottawa. Il a précisé que les aéroports canadiens sont surveillés par près de 1800 caméras de télévision, toutes reliées à ce centre de contrôle et il en va de même des appareils de radioscopie des bagages et des nouveaux scanners corporels. Monsieur Watt a insisté sur le fait que l’utilisation de ces appareils est strictement encadrée par le Parlement canadien et par le Commissariat à laprotection de lavie privéedu Canada (CPVP). Le Commissariat a d’ailleurs demandé à l’ACSTA de mieux protéger l’identité des personnes examinées à l’aide des scanners corporels, ce qui a amené l’agence à modifier les logiciels de ces appareils et à procéder à des modifications dans les procédures d’utilisation.
Monsieur Watt a aussi expliqué le fonctionnement du nouveau système QMS que son agence mettra prochainement à l’essai à l’aéroport de Vancouver. Ce système vise à automatiser la collecte de l’information (billet d’avion, passeport, carte d’embarquement, etc.), sa distribution à tous les employés qui doivent y avoir accès et sa vérification avant l’embarquement. En arrivant à l’aéroport, les passagers devront scanner eux-mêmes leurs documents de voyage et les faire valider par le système informatisé. Ces informations seront transmises instantanément aux opérateurs des appareils de radioscopie, qui n’auront d’ailleurs pas à les scanner une deuxième fois comme c’est actuellement le cas. Par la suite, les systèmes de surveillance de l’aéroport pourront suivre pas à pas la progression de chaque passager vers le lieu de son embarquement. Monsieur Watt soutient que ce processus d’embarquement sera à la fois plus rapide et plus efficace que le système actuel.
Ces nouvelles technologies ne sont toutefois pas sans faille, comme l’a expliqué Philip Baum, directeur exécutif de Green Light Limited, une entreprise de consultants en sécurité basée à Londres. Monsieur Baum explique que même les meilleures technologies doivent être complétées par une analyse des risques fondée sur des techniques qui s’inspirent du profilage, mais qui se concentrent principalement sur l’analyse du comportement des voyageurs et la détection de signes de stress. Selon lui, on ne pourra jamais repérer toutes les armes et tous les explosifs que des terroristes cherchent à embarquer sur des avions de ligne. Monsieur Baum trouve d’ailleurs paradoxal l’emphase qu’on met sur la technologie depuis l’incident de Lockerbie en décembre 1988. Cet événement a justement montré les limitations des technologies puisque les bagages du Vol 109 de la Pan-Am Airlines avaient été passés aux rayons X avant le départ, ce qui n’a pas empêché des terroristes d’y embarquer une bombe. Monsieur Baum rappelle que l’imagination des terroristes est plus rapide que le développement des nouveaux appareils de détection. Il conclut : «Pouvons-nous mettre en place un système où les employés responsables de la sûreté pourront prendre des décisions basées sur leurs intuitions? Ma réponse est un oui sans équivoque.» La chose doit toutefois être encadrée afin de ne pas tomber dans une forme de profilage qui utiliserait de façon aveugle des critères de sexe, de race, de couleur ou de religion. Monsieur Baum conclut que ce n’est pas parce qu’un ordinateur affirme ne pas avoir trouvé de menaces que nous devons conclure bêtement qu’il n’y a aucune menace.
Cette première journée a permis de montrer l’ampleur des problèmes de sûreté auxquels le transport aérien mondial fait face. Elle a donné le ton aux débats des deux journées suivantes. Le délégué canadien, Angus Watt, a bien résumé l’objectif de l’OACI : il est plus facile d’emprunter une bonne idée à ses amis et de l’adapter à ses besoins que de réinventer la roue.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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