MONTRÉAL – Il y a deux semaines, Pratt & Whitney Canada (PWC) et sa maison mère, United Technologies Corporation (UTC), annonçaient le remboursement anticipé aux gouvernements fédéral et québécois d’une demi-douzaine de prêts sans intérêts totalisant 1,309 milliard de dollars canadiens. Selon des informations fournies par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations du Québec, certains de ces prêts n’arrivaient à échéance qu’en 2033 et 2039. Le ministère précise que cette décision constitue un fait sans précédents dans ses anales.
En examinant les faits attentivement, il est possible de trouver des raisons financières à ce geste. Toutefois, et en dépit des affirmations de la compagnie, il subsiste des inquiétudes importantes au sujet de l’avenir de certaines des usines de Pratt & Withney Canada.
Les aspects financiers
La nouvelle de ce remboursement anticipé a été rendue publique suite au dépôt, le 6 janvier dernier, d’un formulaire 8-K par United Technologies Corporation, auprès de la Securities and exchange commission des États-Unis (SEC). Le court texte intégral, de cette déclaration est reproduit intégralement à la fin de cet article.
Le document explicatif fourni par Pratt & Whitney Canada explique que le total des montants remboursés au gouvernement fédéral s’élèvera à 1,163 milliard de dollars canadiens. Un montant de 146 millions sera également remboursé au gouvernement québécois. Les deux remboursements coûteront donc à PWC 1,309 milliards de dollars canadiens. Ces remboursements, en quatre versements annuels, commencent ce mois-ci.
Le taux de change auquel ces remboursements sont effectués semblent l’élément le plus intéressant de cette transaction. Converti en dollars américains, les remboursements à Ottawa et à Québec coûteront un total de 965 millions de dollars américains à PWC. Le taux de change utilisé pour le calcul de de ces montants est de 0,738 cents américains par dollars canadiens. Le même montant de 1,309 milliards de dollars canadiens remboursé à un taux de change de 0,90 cents coûterait 212 millions de plus à PWC.
Cette économie peut à elle seule justifier ce remboursement sans précédent. Également, UTC comptabilisera une provision de 870 millions $US à ses résultats du quatrième trimestre de 2015. Il faut ajouter à cela que deux de ces prêts, accordés en 2006 et en 2008, sont remboursables au moyen d’une redevance sur les ventes. L’entente met fin à ces versements également.
L’aspect inquiétant
Là où cette entente soulève des inquiétudes, c’est lorsqu’on lit les deux dernières phrases de la déclaration d’UTC à la SEC.
«Pratt & Withney Canada a également accepté de maintenir ses engagements d’effectuer certaines opérations d’assemblage, d’essais et de fabrication au Canada et au Québec…»
Le problème vient de ce que cette formulation est vague et générale ; elle ne spécifie pas que toutes les activités actuelles sont à l’abri de fermetures ou de déménagements à l’extérieur du pays. Lorsqu’on jette un coup d’œil du côté de la concurrence internationale, la menace devient claire.
Depuis 30 ans, Pratt & Whitney Canada bénéficiait d’un quasi-monopole sur les turbopropulseurs de taille petite ou moyenne avec ses moteurs PT6 et PW100. Ces moteurs ont été mis au point à Longueuil au Québec où PWC possède son principal centre de recherches. Le PT6, qui est maintenant assemblé à Lethbridge en Alberta, vient d’ailleurs de fêter son cinquantième anniversaire. Malheureusement ce ciel sans nuages commence à se couvrir pour les turbopropulseurs de Pratt & Withney Canada.
Il y a quelques mois, le géant américain GE a annoncé le développement d’un nouveau turbopropulseur, désigné sous le nom de ATP (Advanced turboprop), dont la puissance pourra être ajustée de 1,300 à 2,000 SHP. C’est un peu plus gros que le PT6 de PWC dont la puissance varie de 740 à 1970 SHP et un peu plus petit que le PW 100 dont la puissance varie de 1,787 à 3,058 SHP. Le nouveau moteur de GE vise donc le centre du marché de PWC. Il pourrait convenir à de gros avions d’affaires comme le Pilatus PC 12 et à plusieurs avions régionaux, comme les ATR actuels.
La menace tchèque
Le nouveau moteur de GE sera développé et fabriqué à l’usine Walter en République tchèque. GE a racheté, en 2008, cette entreprise vieille de près d’un siècle dans le but avoué de concurrencer PWC. Cette nouvelle était doublement mauvaise pour la compagnie canadienne. Walter, qui a maintenant accès aux plus récentes technologies mises au point par GE, possède toute l’expertise nécessaire pour mettre au point un dangereux concurrent pour les moteurs de PWC. Et, pire encore, la Tchéquie est un pays où les coûts salariaux sont beaucoup moins élevés qu’au Canada.
Pour faire face à cette menace, PWC doit moderniser ses moteurs actuels, ce qui est déjà en cours, et réduire ses coûts de fabrication. C’est là que les choses deviennent inquiétantes. Maintenant que PWC n’a plus d’obligations contractuelles à l’endroit des gouvernements canadien et québécois, elle est beaucoup plus libre de délocaliser certaines de ses activités comme la fabrication des PT6, des PW100 ou d’un de leurs successeurs.
Il faut également comprendre que dans le monde des moteurs d’avions, la menace ne vient pas de pays comme le Brésil, le Mexique ou la Chine. Pour l’instant elle vient principalement d’Europe de l’Est comme le montre l’exemple de Walter. Pratt & Whitney Canada possède également un pied à terre dans cette région. En 1992, PWC a créé une filiale à part entière en Pologne, Pratt & Withney Kalisz. Cette entreprise emploie 1500 personnes et fabrique 2000 pièces et composantes comme des engrenages, des pièces de compresseurs, des pompes pour l’huile, etc. Si PWC devait délocaliser des activités, l’usine de Kalisz serait en première ligne pour les récupérer.
Cette éventualité ne semble pas inquiéter le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations du Québec. Jean-Pierre D’Auteuil, son responsable des relations avec les médias, a répondu à une question écrite que :
«P&WC consent à maintenir tous ses engagements en vertu des deux conventions de prêt avec Investissement Québec, dont notamment, ne pas vendre la propriété intellectuelle développée dans le cadre des projets financés, ne pas vendre ou déménager une partie substantielle de ses actifs. Le non-respect d’un de ses engagements entraînerait des pénalités.»
Les réponses à ces questions pourraient se faire attendre pendant quelques années. Le nouveau moteur ATP de GE ne tournera pas avant 2018 et il faudra par la suite qu’il soit certifié. Pratt & Withney possède donc quelques années pour mettre au point sa riposte. L’éventuelle mise au point d’un nouveau moteur pouvant succéder aux PT6 et PW100 se fera sans doute au Canada car les centres de recherches sont difficiles à délocaliser. Par contre rien ne garantit clairement que la production de ces nouveaux moteurs se fera ici.
Le texte de la déclaration d’UTC
The Pratt & Whitney Canada Corp. subsidiary (“PWC”) of United Technologies Corporation (“UTC”) has entered into a series of amendments to certain research and development support arrangements previously entered into with Canadian federal and provincial government agencies.
These amendments were signed on December 30, 2015. As a result of these amendments, UTC’s Pratt & Whitney business unit recorded a pre-tax charge of approximately USD $870 million in the fourth quarter of 2015. Under the amendments, PWC will make four annual payments commencing in January 2016 to fully settle and terminate PWC’s contractual obligations to pay royalties to these agencies contingent upon future engine deliveries and company sales. The four payments, which include previously accrued amounts, will total approximately USD $965 million in the aggregate.Â
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PWC has also agreed to maintain its commitments to perform certain assembly, test and manufacturing operations in Canada and Quebec; and to spend approximately USD $8 million per year in support of innovation and research and development through initiatives with post-secondary institutions and key industry associations in Canada and Quebec over a fourteen year period. The aggregate amount of the four payments and the amounts PWC has agreed to spend in support of innovation, research and development initiatives is approximately USD $1.08 billion. (Le souligné est de nous).
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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