MONTRÉAL – Selon Jon Ostrower du quotidien financier américain The Wall Street Journal dans un article mis en ligne jeudi à 19h41, Bombardier (TSX.BBD.B) serait proche d’une entente avec le second plus important transporteur aérien aux États-Unis et au monde, Delta Air Lines (NYSE : DAL) basé à l’Hartsfield Jackson Atlanta International Airport (ATL) pour une commande de 75 CS300 fermes assortis de 50 options.
Si l’entente tient, il s’agira de la commande dont Bombardier avait désespérément besoin pour son monocouloir biréacté de 100 à 130 places CSeries frappé par un développement marqué par les retards et les dépassements de coûts.
Cette nouvelle survient le lendemain de la divulgation de profit de 946 millions de dollars américains au premier trimestre 2016 pour le transporteur d’Atlanta. En 2015, ses profits nets s’élevèrent à 4,526 milliards de dollars.
Suite à l’annonce de mardi concernant Air Baltic, le carnet de commandes de Bombardier compte maintenant 250 commandes fermes assorties de 428 options pour un total de 678.
L’acquisition par United Airlines de 40 Boeing 737-700 le 21 janvier dernier et de 25 supplémentaires, le 8 mars suivant, au détriment du CSeries ne s’inscrit pas dans le même contexte que celui qui entoure le remplacement des McDonnell Douglas MD-88 de Delta Air Lines.
Les liens entre Delta Air Lines et Bombardier s’inscrivent dans la durée et ne datent pas d’hier.
Dès le début des années 1990, Delta Air Lines et ses transporteurs régionaux associés furent de très importants clients des Canadair Regional Jet alors qu’ils firent usage au fil du temps de CRJ100, CRJ200, CRJ700 et CRJ900. Delta fut d’ailleurs le client de lancement du CRJ100 et certainement avec les autres transporteurs américains en assura le succès.
Depuis au moins la mi-2011, Bombardier courtise assidument Delta Air Lines avec son CSeries et Gary Scott, alors responsable du programme, reconnaissait l’importance capitale d’une commande du transporteur d’Atlanta pour la réussite du programme. Delta Air Lines optant pour le Boeing 737-900, un avion de 174 à 204 places, avec une commande de 100 exemplaires, Bombardier dirigera alors ses efforts sur le remplacement de l’imposante flotte de MD-88 de Delta Airlines.
En 2013, le président de Delta Air Lines de l’époque, Richard Anderson, ne considérait plus le CSeries pour le renouvèlement de sa flotte de monocouloirs.
L’arrivée de l’équipe d’Alain Bellemare au début 2015 changea les choses alors que l’objectif de Bombardier devenait de décrocher une ou deux commandes américaines significatives pour établir la crédibilité du CSeries.
La direction de Delta Air Lines manifesta à nouveau de l’intérêt pour le CSeries alors qu’un exemplaire fera escale à l’aéroport d’Atlanta et sera visité par Richard Anderson. Un mois plus tard, ce dernier reconnut avoir de l’intérêt pour le biréacté canadien, tout comme il y a cinq ans.
La différence avec les compétitions précédentes pour Bombardier est l’admiration depuis 2013 de Richard Anderson et de son successeur, Ed Bastian, pour le CSeries et particulièrement son moteur, le Pratt & Whitney PW1500G Pure Power. Contrairement aux compétitions précédentes dont les deux impliquant United Airlines au début de cette année, cette fois-ci, le prix de l’aéronef ne semblera pas le facteur déterminant de la prise de décision. Le constructeur de Seattle aurait alors laissé aller ses 737-700 à un prix unitaire de 22 millions de dollars américains, une remise énorme de 70% sur le prix catalogue.
Le 14 avril, Ed Bastian annonça qu’aucune décision quant au remplacement des MD-88 de Delta Air Lines ne surviendra avant le début du mois de mai 2016.
La menace d’une famille CSeries.
Pour les dirigeants d’Airbus et Boeing, une commande de CSeries par Delta Air Lines risque d’avoir des conséquences bien plus étendues.
Les MD-88 de Delta Air Lines étant configurés pour 149 places en configuration deux classes, l’Airbus A320 avec ses 150 places est l’aéronef s’en rapprochant le plus. Les Boeing 737-700 et 737MAX7 sont plus petits avec leurs 128 places (149 en version dense une classe) et les Boeing 737-800 et 737MAX8, trop gros avec leurs 162 sièges.
D’une part, cette éventuelle commande sauverait le programme CSeries et établirait, à court terme, Bombardier sur le marché des monocouloirs de plus de cent places.
D’autre part, et pire encore, elle permettrait certainement, à moyen terme, l’entrée de Bombardier sur le marché des monocouloirs de plus de 150 places, les plates-bandes d’Airbus et de Boeing,  avec un CS500 de 150 places et un CS700 de 180 places.
Il faut se souvenir que le modèle de base du CSeries étant le CS300, il serait ainsi aisé de le rallonger une première fois pour créer le CS500 et une seconde pour le CS700.
C’est exactement là que réside la menace pour Airbus et Boeing qui ne souhaitent en aucun cas, l’entrée d’un troisième larron sur ce créneau si lucratif qu’est celui des monocouloirs court et moyen courriers de plus de 150 places.
La question est de savoir s’ils pourront convaincre Delta Air Lines de s’en tenir à leurs appareils à un prix des plus réduit.
Mais la direction de Delta Air Lines ne veut elle pas justement favoriser la création d’un troisième fournisseur de monocouloirs à court et moyen rayon d’action ? Serait-elle même prête à financer Bombardier pour le lancement du CS500 ? Car elle en a les moyens financiers. De là , peut-être, le geste de ‘générosité’ de Bombardier qui aurait refusé l’aide d’Ottawa selon une dépêche de Bloomberg de vendredi dernier.
Dans un tel scénario, le brésilien Embraer ne serait même plus de la partie car le constructeur de Sao José dos Campos ne peut rallonger son E-Jet au-delà du E-195-E2 de 130 places.
Il est connu que plusieurs transporteurs aériens rêvent de briser le duopole Airbus – Boeing. Mais ni l’européenne et ni l’américaine n’ont l’intention de voir ce vÅ“u se réaliser sous la forme d’un CS500 qui entrerait de plein pied dans le marché lucratif des Trunkliners. Cela les stimulera à un effort ultime dans cette négociation qui vise au remplacement des MD-88 de Delta Air Lines.
Le sort du CSeries sera déterminé par l’issue de cette compétition. Même Richard Aboulafia, vice-président, analyse, au Teal Group basé à Fairfax, en Virginie, en convient.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
L’aide d’Ottawa imposerait sans doute trop de changements aux règles de gouvernance et à la structure du capital de Bombardier. Avec des commmandes potentielles d’Air Canada et de Delta Bombardier juge qu’elle peut se permettre de refuser l’offre fédérale. Tant mieux si les intentions se transforment en commandes fermes sinon Bombardier pourrait regretter son arrogance.
Mais des gestes plus risqués ont été posés par Boeing et Airbus en décidant de rafraîchir des plateformes datant du début des années 80 dans le cas d’Airbus et du début des années 60 chez Boeing plutôt que de concevoir de nouvelles familles d’avions. À moyen terme les actionnaires de Boeing devront être patients et espérer que le secteur militaire ne connaisse pas de ralentissement.
Excellente analyse et commentaires pertinents sur les implications majeures d’une commande de Delta.
Effectivement, ça serait la cerise sur le sundae que Delta participe au financement du développement du CS500.
Un tel engagement fermerait définitivement le clapet de tous les défaitistes qui prétendent qu’il n’y a pas de marché suffisant pour les avions de 100 à 150 places.