MONTRÉAL – Jeudi dernier, la divulgation de l’abolition de 200 postes aux installations de Mirabel de l’hélicoptériste américain Bell Helicopter Textron et l’appréhension de l’annonce prochaine d’une nouvelle ronde de mises à pieds chez l’avionneur Bombardier lors de la présentation de ses résultats financiers le 17 février font craindre le pire.
Certes, il est vrai que l’industrie aérospatiale mondiale traverse une zone de turbulence à l’exception du marché des avions de lignes de plus de 150 places.
Quant à l’aviation d’affaires, elle ne s’est pas encore remise de la crise financière qui a suivi la chute de Lehman Brothers en octobre 2008. En 2014, les ventes d’aéronefs d’affaires neufs n’ont été que de $24,4 milliards de dollars américains contre $24,7 en 2008, toujours en dollars courants.
Le ralentissement économique des pays du BRIC, Brésil, Russie, Inde et Chine frappe les ventes des jets d’affaires haut de gamme qui, depuis 2008, avaient amoindri l’effondrement de la vente des jets de petit et moyen gabarits.
Le marché de l’hélicoptère civil est touché par le ralentissement de la prospection et des opérations pétrolières et minières dans le monde causé par des cours bas de l’or noir et des matières premières.
Mais il y a plus dans le cas du Québec et par conséquent du Canada.
Forcément, les délocalisations n’aident pas forcément car les entreprises québécoises, Bombardier en tête, ont beaucoup investi et créée des emplois au Mexique.
Entre 1999 et 2014, le Canada a été le deuxième plus important investisseur dans le secteur aérospatial mexicain. Ainsi 791 millions de dollars américains y ont été investis par un total de 6 entreprises soit 40,2% du total contre 816 millions par 52 entreprises américaines. Querétaro où Bombardier s’est installé a recueilli 48,4% du total de ces investissements étrangers durant la même période.
L’industrie aérospatiale mexicaine employait en 2014 21 592 personnes contre 10 757 en 2010 dont 8000 à Querétaro dans 80 entreprises.
Toujours selon les chiffres de PricewaterhouseCoopers, en 2013, le secteur aérospatial mexicain a généré des ventes de 7,1 milliards de dollars américains, le plaçant en quatrième position sur le continent américain après les États-Unis, le Canada et le Brésil. Au niveau mondial, le secteur réalisa un chiffre d’affaires de 719 milliards de dollars américains.
Toutefois, Bombardier Aéronautique, sous le règne de Pierre Beaudoin, s’est aventuré dans trop de nouveaux programmes en même temps : le Learjet 85, les Global 7000 et Global 8000 et le CSeries. Antérieurement, Bombardier était habitué à lancer de nombreuses déclinaisons de modèles existants et ce, avec succès. Mais là , dans le cas du biréacté d’affaires SuperMidSize Learjet 85, Bombardier a lancé un avion totalement nouveau, de surcroit tout composite faisant appel à une technologie nouvelle. L’avionneur de Saint-Laurent a récidivé avec le CSeries, un bi réacté de transport commercial totalement nouveau équipé d’ailes en composite et de tous nouveaux moteurs, les Pratt & Whitney PW1500G Pure Power. Quant aux Global 7000 et Global 8000, ces jet d’affaires à cabine large et à long et à très long rayon d’action sont des versions fortement remaniées du Global XRS munies d’une aile et de réacteurs entièrement nouveaux, les GE Passport.
À l’opposé, une entreprise comme Pratt & Whitney Canada détient un mandat mondial de sa compagnie mère, celui de développer des turbines aéronautiques de petite et moyenne puissances.
Mais plus encore, l’industrie aérospatiale au Québec tout comme au Canada ne peut s’éparpiller et viser tous les marchés.
Suite à l’annonce de l’élimination de 200 nouveaux emplois chez Bell Helicopter Textron Canada, des voix se sont élevées pour réclamer une politique nationale de l’aérospatiale.
L’innovation et les nouveaux programmes sont les moteurs de l’industrie aérospatiale encore plus que dans les autres secteurs de l’économie. Les nouveaux produits doivent offrir des performances améliorées, des coûts d’acquisition et d’opérations plus bas, une empreinte environnementale et sonore réduite que seule l’innovation peut procurer.
En conséquence, le Québec doit viser des axes de recherche et des créneaux spécifiques, moteur d’innovation.
Il est indispensable que le Québec bâtisse sur ses forces : les turbines aéronautiques de petite et moyenne puissances, les simulateurs, les jets d’affaires, les jets de transport régional, les hélicoptères légers et moyens, les trains d’atterrissage, la maintenance d’aéronefs, les FMS, la robotique spatiale. Et surtout ne pas s’éparpiller. Seule l’industrie aérospatiale américaine peut encore couvrir tous les créneaux du secteur aérospatial.
Par exemple, il serait temps pour Bombardier de développer un successeur au Challenger 650 dont les origines remontent au Challenger 600 dont le vol inaugural eut lieu en novembre 1978. Faisant déjà face à la compétition du Dassault Falcon 2000LXS, du Gulfstream G280 construit en Israël, de l’Embraer Legacy 650 et même du Gulfstream G450, le Challenger doit maintenant affronter le Cessna Longitude en cours de développement, le premier jet d’affaires à large fuselage du constructeur de Wichita dont l’entrée en service est prévue pour 2017.
Une fois, les Global 7000 et Global 8000 en service, Bombardier devrait moderniser et remotoriser les Global 5000 et Global 6000 avec les réacteurs GE Passport des Global 7000 et Global 8000. Ainsi le Global 5000 pourrait affronter le Dassault Falcon 5X totalement nouveau, propulsé par une paire de tout nouveaux Safran Silvercrest de 11450 livres de poussée qui devrait entrer en service en 2018 avec deux ans de retard. Un Global 6000 modernisé et remotorisé serait en meilleure posture pour se comparer au Falcon 8X, une version légèrement allongée et remotorisée du 8X et le Gulfstream G600, un avion totalement nouveau propulsé par le PW815GA de Pratt & Whitney Canada certifié en février 2015.
Il faudra un jour que Bombardier songe à remotoriser tout au moins ou mieux à totalement renouveler les CRJ700/900/1000 qui reposent sur un design des années 1970, le Challenger 600 pour mieux affronter les Embraer E-Jet E2 et Mitsubishi MRJ70 et MRJ90 et éventuellement MRJ100.
Un biturbopropulsé de cent places motorisé par une nouvelle turbine Pratt & Whitney Canada serait aussi envisageable si les études de marché confirmaient l’existence d’une demande suffisante.
Tout soutien ou aide gouvernementale inclu dans une politique de l’aérospatiale devrait favoriser l’emploi local en tenant impérativement compte et en tirant profit des avantages comparatifs du Québec en terme de technologie, de main d’œuvre et de coût.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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