MONTRÉAL – Nombre de mots : 1145 – Temps de lecture : 8 minutes.
Une fois encore, l’industrie aérospatiale canadienne réclame de l’argent d’Ottawa. Suivant l’aéronautique mondiale depuis plus de cinquante ans et la canadienne, de plus près depuis trente ans, je ne vois là rien de nouveau. L’histoire se répète.
Dans le passé, ce message était porté soit par le président de l’AIAC (Association des industries aérospatiales du Canada ou Aerospace Industries Association of Canada) ou soit celui de Bombardier, et même parfois, par celui de Pratt & Whitney Canada, de loin l’entreprise aérospatiale investissant le plus en recherche et développement au Canada.
Cette fois-ci, le porte-voix n’est nul autre que Philippe Balducchi, le président d’Airbus Canada, le rejeton canadien du constructeur subventionné franco-germano-espagnol, l’entreprise qui s’est vu gratifier par le gouvernement Libéral de Philippe Couillard, pour pas un sou, du monocouloir biréacté de 100 à 130 places CSeries et des installations y étant attachées. C’est lors d’une entrevue à l’émission RDI-Économie du Réseau de l’Information de Radio-Canada, qu’il exposa son plaidoyer en faveur de fonds fédéraux.
En subventions, il est vrai qu’Airbus s’y connaît ayant reçu des sommes d’argent public colossales depuis avant même sa création en 1970, sans compter tous les contrats obtenus sans appel d’offres en France, en Allemagne et en Espagne depuis. Le programme A380 engloutit au minimum 20 milliards de dollars américains d’argent public pour la production de 251 appareils.
Tout récemment, le 9 juin 2020, le gouvernement français annonçait le financement du développement remplaçant du bireéacté monocouloir Airbus A320 ainsi que de celui de l’Airbus Helicopters H125 sous le couvert d’une aide à l’industrie aérospatiale française. En fait, les seuls bénéficiaires des 15 milliards d’Euros annoncés sont l’avionneur Airbus, l’électronicien Thales et l’équipementier Safran.
Mais il est ainsi facile de comprendre l’empressement du PDG d’Airbus Canada de se mettre en avant et de souhaiter que le gouvernement du Canada imite celui de la France. Il souhaiterait certainement être le premier à mettre les mains dans l’assiette au beurre, comprenez ici l’argent que sera forcé de verser le fédéral au secteur aérospatial canadien. Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau qui, depuis le début de la pandémie, distribue aux quatre vents l’argent que remboursera la prochaine génération, ne pourra rester sourd aux appels au secours de l’industrie aérospatiale du Canada, du gouvernement du Québec mais aux pressions du Bloc Québécois et au fumé des prochaines élections.
Monsieur Balducchi aspire certainement à faire financer par Ottawa, le développement du CS500 si attendu au Québec ainsi que celui d’une version VIP du CS100 ou du CS300 même si le contenu canadien de tous les membres de la famille CSeries, devenue A220, est très faible et qu’il n’augmentera certainement pas avec les mesures de réduction de coût de l’avionneur européen.
Car il faut bien le reconnaître, avec la déconfiture de Bombardier et son réalignement sur les jets d’affaires, il ne reste plus beaucoup de programmes aérospatiaux ‘Canadian’.
Dans ce contexte, Ottawa pourra peut-être canaliser son aide vers :
-CAE de Saint-Laurent, au Québec, pour le développement d’une nouvelle génération de simulateurs et de visuel
-Pratt & Whitney Canada de Longueuil, au Québec, pour le développement de nouvelles turbines aéronautiques
-Bombardier de Saint-Laurent, au Québec, pour enfin trouver un remplaçant à son antique Challenger 650 dont les origines remontent aux années 1970 avec le Challenger 600 financé par Ottawa à hauteur de 1,2 milliard de dollars de l’époque.
-Bell Helicopter Textron Canada de Mirabel, au Québec, pour le développement d’un successeur au Model 412 qui puisse enfin reprendre le marché des biturbines de moyen tonnage au Leonardo AW139. D’ailleurs, Bell Helicopter était associé au début du programme avec AgustaWestland alors que l’AW139 était connu comme le AB139, ‘A’ pour Agusta et ‘B’ pour Bell.
-Viking Aircraft de North Saanich, en Colombie-Britnnique, pour l’électrification du Twin-Otter et l’hybridation du Q400.
Néanmoins, l’industrie aérospatiale canadienne doit aussi comprendre que de moins en moins de pays développeront et construiront en propre des aéronefs et le Canada tombe dans cette catégorie.
Déjà plusieurs pays, se sont retirés de la construction d’aéronefs et plusieurs de ceux qui le font en sont capables que par l’engloutissement de quantité énormes de fonds publics dans un but de fierté nationale : Corée du sud, Japon, Turquie,……
Au chapitre de la conception et de la fabrication de turbines aéronautiques, très peu de pays en sont capables : les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Canada, la Russie et la Chine. En ce qui a trait aux suites avioniques, seuls les États-Unis, la France et la Russie sont capables de leurs conceptions et de leurs fabrications.
Finalement, contrairement à ce qui s’est réalisé depuis des années sous la férule des responsables du gouvernements du Québec et de ceux d’AéroMontréal, il serait temps de se détourner de la France quand il s’agit de faire la chasse aux investissements étrangers au Québec. J’étais là lors des annonces mirifiques des entreprises françaises depuis Sextant Avionique au début des années 1990 puis MessierDowty, TechSpace, Turbomeca,…beaucoup de promesses et peu de résultats. Faut-il blâmer la faible maitrise de la langue anglaise des responsables québécois?
Le Québec ferait mieux de tabler sur des valeurs sûres et établies ici depuis longtemps comme Pratt & Whitney Canada, le seul concepteur et constructeur de turbines aéronautiques au Canada dont les turbines propulsent des centaines de différents modèles d’aéronefs aux quatre coins du monde, Bell Helicopter Textron Canada, CMC Electronics, RTI Claro, GE Aviation qui font partie de grandes entités américaines et d’embarquer les industriels québécois sur les futurs programmes aérospatiaux américains.
L’octroi bientôt des contrats de remplacements des McDonnell Douglas F-18 Hornet, des Airbus CC-150 Polaris et des Lockheed CP-140 Aurora (P-3 Orion) de l’Aviation royale canadienne (ARC ou RCAF) est une occasion en or pour le Canada de se rapprocher des équipes des Boeing F-18E/F Hornet, KC-46A Pegasus et P-8A Poseidon et un peu plus de celle du Lockheed Martin F-35 Lightning II.
Les entreprises aérospatiales québécoises doivent se regrouper, se renforcer avant de pouvoir faire partie intégrante des importants programmes aérospatiaux américains.
L’exemple parfait est en l’équipementier HerouxDevtek de Longueuil qui a réussi à embarquer ses trains d’atterrissages sur plusieurs programmes militaires américains de premier ordre : les chasseurs bombardiers Boeing F-18E/F, les drones de ravitaillement Boeing MQ-25A, les avions de transport tactiques Lockheed Martin C-130J Super Hercules et les hélicoptères lourds de transport Lockheed Martin CH-53K King Stallion.
Du côté de l’aviation civile, les industriels aérospatiaux québécois devraient être incités, aidés et soutenus à s’intéresser au programme de remplacement du Boeing 737, le FSA ou Future Single Aisle. Là aussi, HerouxDevtek a réussi à remporter le contrat de fournitures des trains d’atterrissages de la nouvelle génération des biréactés gros porteur à long et très long rayon d’action Boeing 777X soit les 777-8 et 777-9. Il s’agit des trains d’atterrissages les plus gros au monde.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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