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MONTRÉAL –  Avec le vol inaugural en ce vendredi 5 mai 2017, du biréacté monocouloir Comac C919, la Chine a bien l’intention de faire son entrée dans le club sélect des constructeurs d’avions de ligne de plus de cent places.
Néanmoins, il ne s’agit de la première tentative de l’Empire du Milieu de se lancer dans la construction d’avions de ligne.
Sous la présidence de Richard Nixon, la Chine acheta dix Boeing 707-320 et quarante moteurs Pratt & Whitney JT3D et conçu un ersatz de 707, le Shanghai Y-10 construit à trois exemplaires.
Plus récemment a pris le ciel l’ARJ21 d’AVIC, l’autre constructeur aéronautique étatique chinois, un monocouloir biréacté de 100 places à réacteurs à l’arrière, une pâle copie du Trunkliner, une version autorisée du McDonnell Douglas MD-90-30 dont seulement deux des quarante exemplaires prévus furent construit en Chine dans les années 1990. Le biréacté d’AVIC est un avion basique qui vise le marché domestique et celui de ses voisins peu exigeants.
En 2008, Airbus inaugura une usine d’assemblage destinée à la famille de biréacté monocoloirs A320 à Tianjin, en Chine. Airbus aidera Comac dans son aventure d’où la ressemblance entre le monocouloir biréacté de 150 places européen et le dernier-né des jets civils chinois, le Comac C919.
Aujourd’hui, après de très nombreux retards et huit ans après le lancement de ce programme, la chinoise Commercial Aircraft Corp. of China ou Comac, un groupe sous contrôle étatique, a procédé au vol inaugural de son dernier-né, le monocouloir biréacté C919 qui avec une capacité de 158 à 174 passagers et d’une portée de 5.555 km, est le plus gros avion de ligne chinois jamais construit depuis le Y-10. D’une durée d’une heure et vingt minutes, ce moment de gloire de l’industrie aéronautique chinoise depuis l’aéroport Shanghai Pudong International se fit sous les applaudissements de milliers d’invités et les caméras de la télévision d’état.
Le 2 novembre dernier, le prototype du C919 portant le numéro 101 et arborant la livrée bleue et verte réalisa sa sortie d’atelier ou roll out des installations de la Comac situées à l’aéroport international de Shangai devant plus de 5000 invités dont le vice Premier ministre Ma Kai et fut retransmise à la télévision nationale.
Estimés au début à 9 milliards de dollars américain, le développement de ce jet avoisinerait les 20 milliards financés entièrement par l’état chinois qui caresse l’ambition que l’Empire du milieu devienne bientôt une puissance aéronautique en destinant le C919 au marché mondial contrairement au Y-10 et ARJ21.
Lancé en 2008 avec pour objectif un vol inaugural en 2014, le C919 devrait être certifié par les autorités chinoises en 2020 puis, peu après, entrer en service au sein du transporteur chinois Chengdu Airlines.
Viser l’énorme marché des monocouloirs de plus de 150 places.
Comac vise avec son C919, pas moins qu’un tiers du marché chinois des monocouloirs et un cinquième du marché mondial des Single Aisle avec un objectif de vente de 2300 appareils en vingt ans. Le constructeur chinois prévoit construire annuellement de 20 à 50 C919 dans un futur rapproché et 150 à l’horizon 2020. À cette époque, Airbus produira 60 A319/320/321 par mois à la mi-2019 et Boeing, 52 737 en 2018 puis 60.
Le C919 a récolté quelques 570 commandes provenant de 23 clients dont 21 chinois mais aussi 10 de la thaïlandaise City Airways et 20 de l’américaine GE Capital dont le bras GE Aviation est un important fournisseur de systèmes du biréacté chinois.
Avec une capacité de 158 à 174 passagers et un rayon d’action de 5555km, le C919 ne se pose pas en concurrent du CSeries dans ses versions actuelles, les CS100 et CS300 accueillant respectivement 108 et 130 passagers.
Le C919 se rapproche bien plus par sa capacité des Airbus A320 et Boeing 737-800. Avec six rangées de sièges, l’avion chinois accueille de 156 à 174 passagers contre de 150 à 180 pour l’A320 et de 160 à 189 pour le 737-800.
En fait, avec son C9191, le but avoué de Pékin est de concurrencer les familles de monocouloirs biréactés occidentaux Airbus A320 et Boeing 737 vendus respectivement à 8019 et 13964 aéronefs en date d’avril 2017. Ainsi 7434 membres de la famille A320 ont été livrés depuis avril 1988 et 9486 de la famille 737 depuis février 1968.
Il est peu probable que le C919 puisse percer hors de Chine et de quelques pays satellites. Néanmoins, il privera Airbus et Boeing d’un certain volume de ventes sur ces deux mêmes marchés.
Ainsi si le COMAC C919 ne semble pas représenter à court ou moyen terme une grande menace pour le duopole constitué par Airbus et Boeing, il le sera encore moins pour le CSeries de Bombardier.
Le C919 un avion ‘Made in China’ ?
Pour sûr, le Comac C919 est assemblé en Chine mais la quasi-majorité de ses systèmes sont occidentaux. D’ailleurs, beaucoup d’équipementiers américains se posèrent la question sur la pertinence d’équiper un avion qui pourrait devenir un concurrent à ceux de leur meilleur et plus gros client.
Le C919 fait en effet appel aux équipementiers occidentaux comme Honeywell, Safran, Parker, Liebherr, Zodiac, Aircelle, Hamilton Standard, Rockwell Collins, Crane et d’autres, sans oublier CFM International, la filiale commune de la française Safran et de l’américaine General Electric dont le moteur Leap équipe le C919 mais aussi en monte double sur la version motorisée de l’A320, l’A320neo et, en monte exclusive, celle Boeing 737,  le 737 MAX.
La Chine n’est pas la seule dans cette position. Très peu de pays conçoivent et construisent des réacteurs d’avions : les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et le Canada. Seuls les États-Unis et la France sont en mesure de fournir une suite avionique complète pour des avions de ligne. Dans le cas des trains d’atterrissage de grand gabarit, seuls les États-Unis, la France et le Canada équipent les avions de plus de cent cinquante places. D’ailleurs, la majorité des systèmes des avions d’Embraer et de Bombardier sont d’origine américaines, françaises ou britanniques.
Le contenu chinois du Comac C919 se résume aux structures : fuselage, caisson de voilure central, ailes, volets, ailerons, tous en aluminium.
Une volonté politique acharnée de devenir une puissance aéronautique.
De toute évidence, Pékin affiche clairement son intention de jouer dans la cour des grands et de devenir une puissance aéronautique, tout comme l’Europe à la fin des années 1960 avec Airbus. En ayant fait appel à des équipementiers occidentaux reconnus, Pékin souhaite sauter les étapes mais surtout pouvoir certifier son C919 auprès des autorités aéronautiques américaines (FAA) et européennes (EASA).
La Chine vise un marché porteur, celui des biréacté monocouloirs de 150 à 200 où évoluent exclusivement l’américain Boeing avec son 737 ‘The Little Giant’ dont la première déclinaison le 737-100 a pris son envol le 9 avril 1967 et l’européen Airbus avec son A320 qui a effectué son baptême du ciel le 22 février 1987. En termes d’unités, ce marché représente plus de 70% des ventes des appareils de plus de 100 places. Rappelons le carnet de commande du 737 est de 4478 appareils, celui de la famille A320 de 5547   avions, pour un total de 10025 aéronefs.
Une menace prise au sérieux par Airbus et Boeing.
La Chine a déjà su imposer le choix du C919 à ses transporteurs nationaux qui représentent l’essentiel du carnet de commande du biréacté chinois.
Avec un marché intérieur énorme, la Chine représentera la rampe de lancement du C919 au détriment des Boeing 737 et Airbus A320 dont 1300 exemplaires y sont en service. Les diplomates de l’Empire du Milieu pourront le suggérer aux compagnies aériennes de voisins peu argentés mais aussi à celles des pays africains où la Chine exerce une forte influence diplomatique et commerciale.
Le C919 pourra ainsi atteindre ses objectifs de ventes de 2300 appareils sur vingt ans mais surtout de priver Boeing et Airbus de marchés importants qui permettent de rallonger les séries et réduire les coûts unitaires.
Et tout comme Airbus fit dans les années 1970 avec son A300, Comac pourra élargir son offre d’avions de ligne dont le gros porteur qui devrait naitre de l’accord avec le russe UAC sur la conception d’un appareil gros-porteur, bi-couloir de 250 à 350 sièges, aux clients du C919 vers le milieu de la prochaine décennie.
La stratégie de la Chine ne fait que reprendre celle d’Airbus du début des années 1970 alors que les américains Boeing, McDonnell Douglas et Lockheed assumaient 90% de la production occidentale d’avions de ligne.
Tout comme Airbus, COMAC peut compter sur un état ‘aux poches profondes’, des commandes nationales et par-dessus tout une volonté politique. Dans le cas d’Airbus, ce fut celle de faire voler en éclat le triumvirat américain et pour la Chine, de briser le duopole Boeing – Airbus.
Il est sûr que Comac devra certifier son C919 par les autorités chinoises, ce qui pourrait prendre jusqu’à trois ans puis par la FAA et l’EASA afin de pouvoir proposer son biréacté sur les marchés américains et européens.
La certification est un art complexe que très peu de pays maitrisent.
Par la suite, il faudra à l’avionneur chinois établir un réseau international de service après-vente et d’entretien ainsi que de pièces de rechange mais surtout convaincre les compagnies aériennes occidentales de la disponibilité opérationnelle du biréacté chinois mais aussi les passagers occidentaux mais rare sont les passagers qui comme moi qui choisissent la marque et le modèle de l’avion dans lequel il voyage. Le brésilien Embraer a réussi cet exploit en moins de vingt ans en passant de l’assemblage de kit de mono et bi moteurs à piston Piper à la conception et la construction de ses avions de transport régional Bandeirante, Brasilia, ERJ et E-Jets et de celles de ses jets d’affaires Phenom, Legacy et Lineage.
Certains experts avancent qu’il faudra une vingtaine d’années avant que la Chine devienne un acteur majeur du secteur.
Entretemps, la présence du C919 exercera des pressions à la baisse sur les prix des 737 et A320. D’ailleurs, le président de l’irlandaise à bas coûts Ryanair, Michael O’Reilly, se serait servi de la menace de passer commande de C919 pour réduire le prix de ses derniers 737.
Pas si simple de briser le duopole Boeing – Airbus.
Suffira-t-il à Comac, comme le fit Airbus dès la commande de 1977 de la sixième plus importante compagnie aérienne à l’époque, l’américaine Eastern Airlines d’Airbus A300 qui incluait la location de quatre appareils au loyer mensuel symbolique d’un dollar, de casser les prix pour lancer le C919 et l’aéronautique civile chinoise sur le marché mondial.
Cela ne sera pas si simple car Boeing et Airbus ont les moyens de refroidir les ardeurs chinoises en proposant les monocouloirs 737 et A320 depuis longtemps amortis.
Mais les deux constructeurs occidentaux ont un atout imparable : la technologie.
Les chinois ont besoin des équipementiers américains, français, britanniques et allemands pour réaliser le C919, un avion de ligne tout à fait classique dont seulement 12% de l’appareil est en composite.
Imaginez la difficulté pour ne pas dire l’impossibilité pour COMAC ou AVIC de produire un appareil du niveau du Boeing 787 Dreamliner dont les nombreuses technologies et caractéristiques révolutionnaires se retrouveront bientôt dans le successeur du 737.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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