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Dassault Aviation, dans un court communiqué reçu en fin de journée le mercredi 18 décembre 2013, faisait part de ses regrets quant au choix des autorités brésiliennes annoncé par le ministre de la défense, Celso Amorim, de l’avion de combat suédois Gripen.
Rappelant les quinze ans de présence de Dassault Aviation et de ses partenaires, la Snecma et Safran réunis dans le groupe d’intérêt économique Rafale International, le communiqué souligna, sans ambages, la présence d’équipements tierce sur le Gripen et notamment américain, son moteur General Electric F414.
À la grande surprise de tous, après douze ans, les autorités brésiliennes ont finalement opté pour le Gripen JAS39E dans le cadre de la compétition FX-2. Ainsi 36 appareils seront acquis au coût de 4,5 milliards de dollars américains, ce coût incluant le soutien et les pièces de rechange initiales, l’entraînement, les simulateurs de vol, les transferts de technologie et la coopération industrielle.
La ratification du contrat devrait se réaliser avant décembre 2014. Dès lors, le premier appareil sera livré 48 mois plus tard et le dernier d’ici 2023.
Ce fut en 2008 que les forces aériennes brésiliennes, Força Aérea Brasileira ou FAB, avaient retenu le Dassault Rafale, le Saab Gripen et le Boeing F-18E/F Super Hornet. En octobre 2009 les trois constructeurs déposèrent leurs propositions et dès janvier 2010, la FAB présenta ses analyses et recommandations. Depuis le dossier reposait au bureau de la présidence sous Luiz Inacio Lula da Silva Lula puis sous Dilma Rousseff.
À plusieurs reprises, poussant même les constructeurs à l’exaspération, la décision fut reportée notamment en raison de coupes budgétaires.
L’une des principales exigences des Brésiliens était un transfert de technologie total afin de pouvoir à un certain point fabriquer les avions sur place et développer une industrie de la défense.
Lula était favorable au Rafale tandis que Rousseff penchait en faveur du Super Hornet jusqu’aux révélations d’espionnage de la NSA à l’encontre du Brésil mises au jour par Ed Snowden.
Le scénario de la Suisse qui eut lieu à la fin 2011 se répéta alors qu’en fait le prix semble avoir été le facteur déterminant du choix du Brésil.  La Suisse a commandé 22 Gripen E au montant de $3,3 milliards, commande sujette à l’approbation de la population suisse par le biais d’un referendum populaire qui se tiendra en mai 2014.
En même temps, la flotte brésilienne vieillissait. Les Northrop F-5E/F brésiliens les uns acquis neuf en 1974 et les autres d’occasion auprès de l’US Air Force en 1988, modernisés par Embraer et devenus alors des F-5EM/FM devront être retirés en 2025 tandis que les douze Mirage 2000C/D également d’occasion achetés en 2005 de la France sont actuellement mis au rancart.
Le jour même de l’annonce des brésiliens en faveur du Gripen, l’agence suédoise d’acquisition de matériel militaire FMV choisissait de moderniser les 60 JAS Gripen C en service au sein des forces aériennes suédoises en Gripen E pour $2,51 milliards.
Un prototype du Gripen E construit à partir d’un Gripen D d’entraînement vole déjà et a accumulé 300 heure de vol tandis que le premier Gripen E de production est en cours d’assemblage. Deux autres Gripen E rejoindront le programme d’essai.
La popularité grandissante du Gripen pose problème à Dassault, EADS, Boeing et Lockheed Martin avec respectivement leurs Rafale, Typhoon, F-18 Super Hornet et F-16 Fightning Falcon dont chacun a absolument besoin des marchés d’exportation pour compenser le déclin des commandes nationales. Les marchés comme le Brésil, dans le passé, un peu boudés, prennent tout à coup de l’importance.
Ces avionneurs se cantonnaient naguère aux importants et lucratifs marchés des pays membres de l’OTAN, du Japon, de la Corée du sud ou d’états se sentant menacés comme les ÉAU ou l’Arabie Saoudite, tous acheteurs d’avions de combat de première ligne.
Si les adversaires éventuels des clients potentiels ne sont pas équipés d’avions de combat de première ligne ou de défense antiaérienne sophistiquée, la nécessité d’acquérir des Rafale, des Eurofighter, des F-18 ou même des F-16 tombe et surgit alors le Gripen. Il est évident que les premiers sont plus sophistiqués, plus furtifs, volent plus vite et plus loin, emportent plus d’armement et sont équipés de radars plus performants mais aussi bien plus couteux à l’achat et à l’usage.
Les besoins du Brésil tournant principalement dans la défense de ses vastes frontières qu’il partage en bon terme avec ses voisins et dans la protection des vastes ressources naturelles de l’Amazonie et des réserves pétrolières offshore, le choix du Gripen devint envisageable.Â
Le partenaire principal de Saab au Brésil sera Embraer et le Gripen deviendra le premier avion supersonique construit au Brésil. Les exigences de transfert de technologie ont pour but avoué de permettre à l’industrie brésilienne de concevoir et construire ses propres chasseurs dans un futur pas si lointain.
Le Gripen, ‘grifon’ en suédois est un monoréacté léger entré en service en 1996 dans les forces aériennes suédoises. Vendu à plus de 250 exemplaires, il vole actuellement au sein des forces aériennes de la Suède, de la Hongrie, de l’Afrique du sud, de la Thaïlande et de la République Tchèque.
Cette commande de 36 Gripen pourrait être la première de plusieurs qui mèneraient à terme à l’acquisition de plus de cent appareils.
En fait en dépit des allégations de représailles aux agissements de la NSA, le Brésil a choisi l’avion de combat le moins cher à l’achat et à l’usage. Le Brésil, vedette sud-américaine des pays du BRIC, a vu sa croissance grandement ralentir depuis deux ans et s’est engagé dans des dépenses de taille pour la tenue de la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques en 2016.
Dassault Aviation qui tente depuis des années de vendre son Rafale à l’export misait beaucoup sur le Brésil en dépit des propos tenus par le ministre français de la défense au lendemain du rejet du chasseur bombardier français. À l’international, seul l’Inde a opté pour le biréacté français bien que le contrat final portant sur l’acquisition de 126 Rafale n’ait pas encore été signé. L’état français a, en septembre dernier, réduit, une fois encore, sa commande totale de Rafale à  225 alors que le 121ième exemplaire était livré à l’Armée de l’air.
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Quant à Boeing, une commande brésilienne lui aurait permis de maintenir plus longtemps la ligne d’assemblage du F-18E/F à ses installations de Lambert International Airport de Saint-Louis au Missouri.
L’avionneur américain a annoncé l’amorce du processus de fermeture de la ligne dès le mois de mai 2014 pour un arrêt de la production en 2016 si aucune nouvelle commande ne se concrétise. Vendu à 698 exemplaires à l’US Navy et 12 à la RAAF, le Super Hornet a été livré à 580 exemplaires au rythme de 48 par année. Après des revers en Inde, en Suisse et au Brésil, Boeing vise toujours le Canada et les Émirats Arabes Unis.
En dépit du rejet du Super Hornet par la FAB, Boeing s’est engagé à soutenir Embraer dans le développement et la vente du bireacté de transport tactique militaire KC-390 qui se pose en concurrent du Lockheed Martin C-130J Super Hercules.
En décembre dernier, Boeing et Saab ont rendu public une entente par laquelle ils développeront en commun un tout nouveau jet supersonique d’entrainement qui reprendra des éléments du Gripen pour le remplacement des plus de 500 biréactés supersoniques Northrop T-38 de formation avancée de l’USAF construits entre 1961 et 1972. L’appel d’offres couvrant l’acquisition de 350 appareils devrait être émis en 2016 pour une entrée en service du nouvel aéronef en 2023 ou 2024.
Le Gripen aurait été depuis longtemps le préféré de la FAB par son coût d’acquisition de $70 millions pièce soit moins de la moitié de celui du Rafale ou du Super Hornet mais aussi par son coût horaire d’opération quatre fois moindre et les plus grandes possibilités de retombées industrielles et technologiques.
Y aurait-il finalement une place sur le marché pour des chasseurs bombardiers légers à petit budget du type du Gripen, un créneau naguère occupé avec tant de succès par le biréacté léger supersonique Northrop F-5 vendu à 2400 exemplaires?
Au début des années 1980, Northrop avait proposé une version améliorée du F-5, le F-20G Tigershark et General Dynamics, une version ‘légère’ du F-16A Block 10, le F-16/J79, tous deux propulsés par le moteur du F-4 Phantom II, le J79 de General Electric. Ces deux monoréactés ne trouvèrent jamais preneur, les acheteurs potentiels leur préférant les F-16, F-18 et Mirage 2000.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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