MONTRÉAL – Nombre de mots : 1696  – Temps de lecture : 8 minutes. Dans un texte intitulé ‘L’AECG porteur d’importants débouchés pour le secteur de l’aéronautique’ publié sur LinkedIn, le 2 mai 2018 et écrit par Julie Perrault, conseillère sectorielle, aéronautique, EDC Exportation et développement Canada, affirme que l’accord de libre-échange passé entre le Canada et la Communauté économique européenne est porteur d’importants débouchés pour le secteur aérospatial canadien.
Dans ce texte, la conseillère de l’agence fédérale qui rappelle que‘le Canada s’est toujours distingué sur le marché mondial de l’aéronautique’ a, grâce à l’Accord économique et commercial global Canada – Union européenne (AECG) signé l’an dernier par le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, ‘encore plus d’occasions d’élargir la portée internationale de ce secteur’.
Elle affirme que ‘Les États-Unis resteront pour un certain temps le principal marché du Canada pour les produits et les services aéronautiques, car c’est là qu’est dirigée plus de la moitié des exportations annuelles dans ce secteur’. En fait, il s’agit là de 58% et oser affirmer que les États-Unis ne resteront le premier débouché des produits aéronautiques canadiens que ‘pour un certain temps’ est cavalier pour ne pas dire irréaliste. Cela relève peut-être même de la pensée magique!
Les chiffres parlent d’eux-mêmes alors qu’en 2016, les États-Unis absorbaient 57,78% des exportations aérospatiales canadiennes tandis que Malte, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne ne s’accaparent de même pas 20%, soit précisément 18,90%, soit moins du tiers de la part américaine.
Quel programme aérospatial américain ne comprend pas des systèmes ou des pièces aérospatiales fabriquées au Canada.
Exportations aérospatiales du Canada 2016
(en milliers de dollars canadiens) |
||
États-Unis | 9,127,201 | 57,787% |
Malte | 713,899 | 4,52% |
France | 705,841 | 4,47% |
Royaume-Uni | 681,882 | 4,32% |
Chine | 480.439 | 3,04% |
Allemagne | 465,113 | 2,94% |
Espagne | 418,438 | 2,65% |
Suisse | 398,269 | 2,52% |
Singapour | 273,412 | 1,73% |
Japon | 241,899 | 1,53% |
Sous-total | 13,506,392 | 85,64% |
Autres pays | 2,263,292 | 14,35% |
Total tous pays | 15,7769.684 | 100,00% |
Source : Statistiques Canada et United States Census Bureau.
Coté importation, les États-Unis sont de loin, les premiers fournisseurs de biens et de services de l’industrie aérospatiale du Canada avec 58,72% du total tandis que la part des principaux pays fournisseurs européens soient le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie, ne totalise que 22,93%.
Importations aérospatiales du Canada 2016
(en milliers de dollars canadiens) |
||
États-Unis | 8,308,867 | 58,72% |
Royaume-Uni | 1,339,533 | 9,46% |
Réimportations Canada | 994,174 | 7,02% |
France | 748,107 | 5,28% |
Allemagne | 654,616, | 4,62% |
Pologne | 466,775 | 3,29% |
Mexique | 362,031 | 2,55% |
Chine | 301,816 | 2,13% |
Japon | 235,267 | 1,66% |
Italy | 144,423 | 1,02% |
Sous-total | 13,555,609 | 95,80% |
Autres pays | 593,967 | 4,19% |
Total tous pays | 14,149,575 | 100,00% |
Source : Statistiques Canada et United States Census Bureau.
Mais encore plus important est le résultat de la balance commerciale du Canada dans le secteur aérospatial. En 2016, alors qu’elle affichait un surplus de 1,6 milliards de dollars canadiens dont un surplus de quelques 868 millions avec les États-Unis, le Canada enregistrait un déficit de 657 millions avec le Royaume-Uni, 189 millions avec l’Allemagne et un maigre surplus de 42 millions avec la France.
Balance commerciale aérospatiale du Canada 2016
(en milliers de dollars canadiens) |
|
États-Unis | 818,334 |
Chine | 178,623 |
Japon | 66,321 |
France | 42,268 |
Allemagne | -189,503 |
Royaume-Uni | -657,651 |
Total | 1,620,109 |
Source : Statistiques Canada et United States Census Bureau.
Toujours selon ses dires, ‘l’AECG solidifiera la relation actuelle entre le Canada et l’Europe dans l’industrie, ce qui est une excellente nouvelle pour le Canada’.
Rappelons qu’en 2016, le secteur aérospatial canadien a généré des ventes de 28 milliards de dollars et soutenu 208 000 emplois.
Au chapitre de la valeur des exportations aérospatiales, le Canada se classe cinquième avec 10,3 milliards de dollars américains, derrière les États-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni comme l’indique le tableau ci-dessous.
Dix principaux exportateurs de matériel aérospatial au monde
|
Exportations
(en milliards de dollars américains) |
Pourcentage du total des exportations aérospatiales mondiales |
États-Unis | $134,6 | 41,0% |
France | $53,4 | 16,2% |
Allemagne | $44,6 | 13,6% |
Royaume-Uni | $21,0 | 6,4% |
Canada | $10,3 | 3,1% |
Singapour | $6,7 | 2,0% |
Japon | $5,1 | 1,5% |
Espagne | $5,1 | 1,5% |
Italie | $4,9 | 1,5% |
Brésil | $4,8 | 1,5% |
Source: The World Factbook, Field Listings: Exports-Commodities,Central Intelligence Agency (CIA). June 20, 2017.
Selon le document d’EDC, une fois la mise en œuvre de l’Accord terminée, le Canada et l’Europe élimineront les droits de douane sur plus de 99 % des biens exportés.
Toujours selon lui, l’Europe offre aujourd’hui aux exportateurs canadiens un avantage concurrentiel considérable sur les entreprises des pays n’ayant pas négocié d’accord commercial préférentiel avec l’Union européenne (UE).
Sur papier,Bombardier profitera de l’envergure et du rayonnement international d’Airbus pour, d’une part, mousser les ventes du C Series et d’autre part, réduire ses coûts de production grâce à la chaîne d’approvisionnement d’Airbus.
Tout naturellement est vantée la récente acquisition par Airbus d’une participation majoritaire dans la Société en commandite Avions C Series de Bombardier ainsi que la signature, l’année dernière, d’un accord de collaboration mutuelle entre Aéro Montréal, le Regroupement des grappes aérospatiales européennes (EACP) et Hamburg Aviation sont des signes avant-coureurs des avantages de ces relations plus étroites. En théorie, les entreprises du Québec auront accès à un réseau de 40 grappes aérospatiales européennes, qui représentent 4 300 entreprises et 430 centres de recherche répartis dans 15 pays.
Tout cela est de la théorie. Faudrait-il que les fournisseurs québécois et canadiens soient choisis de préférence aux fournisseurs traditionnels d’Airbus dont nombre sont localisés dans des pays à bas coût, une façon polie de dire, à bas salaires : Espagne, Maroc, Tunisie, Roumanie, Turquie, Mexique,….
Il faut se souvenir que la plupart des programmes aérospatiaux canadiens et québécois ont connu le succès grâce au marché américain que ce soit le CRJ, le Challenger 600, les turbines de Pratt & Whitney, les trains d’atterrissages d’HerouxDevtek. La liste est longue. Par divers accords, en aérospatiale, les États-Unis et le Canada sont à toutes fins pratiques un marché unique.
Sans parler des exportations des PME, rappelons que Pratt & Whitney Canada qui fournit la motorisation de nombre d’avions d’affaires de Textron Aviation est entré dans le haut de gamme en fournissant le PW800 au nouveau duo de Gulfstream Aerospace, les G500 et G600 qui vont devenir les vedettes du constructeur de Savannah. L’avion de combat de cinquième génération Lockheed Martin F-35 Lightning II dont il est prévu la production de plus de 4000 exemplaires et qui, selon une étude d’Aviation Week & Space Technology, s’accaparera de 58% du marché mondial des avions de combat entre 2018 et 2022 contre 7,3% pour le Typhoon d’Airbus et 6,5% pour le Rafale de Dassault Aviation, deux avions de quatrième génération. La part du F-35 qui n’en est qu’au début de sa carrière, contrairement à ses deux concurrents européens, ne fera qu’augmenter avec la livraison de près de 200 aéronefs par an à l’horizon 2022. En 2017, 66 furent livrés pour un total de 265. En 2018, 85 seront assemblés aussi bien aux installations de Lockheed Martin à Fort Worth qu’à Cameri, en Italie, et Nagoya, au Japon.
Le New Middle Airplane ou NMA de Boeing dont l’entrée en service devrait survenir vers 2025 qui vise le remplacement des Boeing 757 et 767 sur les lignes transatlantiques pourrait offrir de bons débouchés pour les entreprises aérospatiales canadiennes habituées à travailler depuis longtemps avec le numéro mondial de l’aérospatiale.
À lui seul, Boeing se procure annuellement au Canada pour quatre milliards de dollars de biens et services contre à peine un milliard pour Airbus qui a fourni en exclusivité en avions de ligne neufs Air Transat depuis toujours et Air Canada pendant quinze ans (A319, A320, A321, A330, A340-300, A340-500).
L’exposé de madame Perreault ne semble pas tenir compte des politiques européennes favorisant les produits locaux.
Souvenons-nous du refus du gouvernement français sous la présidence de Jacques Chirac de considérer une motorisation Pratt & Whitney Canada pour son tout nouvel avion de transport tactique quadriturbopropulsé Airbus A400M. La France imposa une motorisation européenne avec un moteur de papier d’EuroProp TP-400, un consortium constitué, pour l’occasion, par lafrançaise Snecma, la britannique Rolls Royce, l’allemande MTU Aero Engineset l’espagnole ITP de préférence à une solution basée sur la mise en paire de deux turbines certifiées et éprouvées PT6. Après avoir fait confiance à Pratt & Whitney Canada pour ses jets d’affaires Falcon 2000, 7X et 8X, Dassault Aviation s’était tournée vers un moteur de papier, le Safran Silvercrest, avant de revenir au motoriste de Longueuil à la suite du retard de plus de trois ans du réacteur français.
À l’opposé, les entreprises aérospatiales canadiennes ont accès aux contrats militaires américains. Pensons ici aux turbines PT6 et aux planches de bord CMC équipant les Beechcraft T-6, les simulateurs de CAE pour les C-130J de l’US Air Force, les E-11A de guerre électronique de l’USAF construits sur une plate-forme de Global Express de Bombardier, les E-9A Widget de l’USAF dérivés militaire du Bombardier Dash8-200, les Bombardier VC-143 (Challenger 600) des US Coast Guard, les trains d’atterrissage de seconde monte d’HerouxDevtek sur les B-52, P-3, KC-135,…
Certainement ébloui par le sauvetage du C Series par Airbus qui ressemble plus à une prise de contrôle pure et simple à coût nul qu’à autre chose, certains s’éloignent des faits et prennent leurs rêves pour la réalité. Souhaitons que les industriels ne soient pas dupes.
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Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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