OUTREMONT – Nombre de mots : 1451 – Temps de lecture : 8 minutes.
La saga du choix par le gouvernement Trudeau du remplacement des antiques Lockheed CP-140 Aurora de la Royal Canadian Air Force (RCAF) ou Aviation royale canadienne (ARC), en fait des Lockheed P-3 Orion modifiés et équipés de l’électronique du Lockheed S-3 Viking et rebaptisés à la Canadian, se termine enfin et, en prime, se termine bien.
Au début des années 1980, le gouvernement du Canada passa commande de 21 CP-140 soit 18 CP-140M et 3 CP-140A
Le Boeing P-8A Poseidon a été finalement choisi dans le cadre du programme Canadian Multi-Mission Aircraft (CMMA) ou Projet d’aéronef multimissions canadien (AMC).
Nous nous rappellerons que le 7 juin 2017, le gouvernement du Canada annonçait, dans sa politique de défense ‘Protection, Sécurité, Engagement’, que le Canada fera enfin l’acquisition d’une capacité d’AMC afin de remplacer la flotte d’avions CP-140 Aurora. Puis, le 10 février 2022, fut publiée une demande de renseignements à l’intention de l’industrie.
Le 27 mars 2023, sera rendue public une déclaration sur le site Web de SPAC annonçant que le P-8A était le seul appareil actuellement offert répondant à toutes les exigences opérationnelles concernant l’AMC, et que le Canada avait présenté une lettre de demande au gouvernement américain.
Enfin, trois mois plus tard, le 27 juin 2023, surviendra la publication d’un avis au Congrès des États-Unis visant à informer ses membres ainsi que le public de l’éventuelle vente d’avions P-8A au gouvernement du Canada.
Il faut dire qu’avec les Libéraux au pouvoir, les achats de matériel militaire sont un exercice pénible et laborieux. Tel père, tel fils car il en fut de même sous le gouvernement de Pierre-Elliot Trudeau, père de Justin Trudeau, lors du remplacement des Lockheed F-104 Starfighter de la RCAF et leur remplacement par des McDonnell Douglas F-18A/B Hornet. En 1977, le gouvernement canadien annonça son intention de trouver un remplaçant à ses F-104 dans le cadre de la compétition ‘New Fighter Aircraft’ (NFA) pour n’annoncer son choix en faveur du F-18 qu’en 1980.
En toute logique Libérale, le processus de remplacement des F-18 des Forces armées canadiennes par des Lockheed F-35A Lightning II par le gouvernement de Justin Trudeau fut tout aussi laborieux.
Sous le gouvernement Conservateur de Steven Harper, les achats des avions de transports tactique Lockheed Martin C-130J Hercules, d’avions de transport stratégique Boeing C-17A Globemaster III et d’hélicoptères de moyen tonnage Boeing CH-47F Chinook se firent en douceur, dans les délais et dans les coûts. N’eut été la malheureuse élection des Libéraux de Justin Trudeau en octobre 2015, Steven Harper aurait conclu depuis longtemps l’acquisition par le Canada des F-35A.
Pour mémoire, souvenons-nous qu’en campagne électorale en septembre 2015, le candidat Justin Trudeau avait promis que le Canada n’achèterait jamais de F-35. En 2017, à la suite du différend entre Boeing et Bombardier sur la question des énormes aides gouvernementales versées au programme CSeries, Justin Trudeau devenu premier ministre jura de ne plus faire affaire avec Boeing.
Quoiqu’il en soit, Justin Trudeau, à des années de ses déclarations bassement électoralistes revient à la raison en choisissant le F-35A et le P-8A. en revanche, son choix du ravitailleur en vol Airbus A330MRTT ne répond à aucune logique.
En ce qui concerne le remplacement des CP-140, quoiqu’il en soit et quoiqu’en pensent Bombardier et ses suppôts, le choix du Boeing P-8A Poseidon s’imposait.
Aucun appareil en service ou dans les cartons des bureaux d’études ne s’approchent du P-8A en matière de capacité d’emport intérieure et extérieure, de volume encore disponible en cabine ainsi que de sophistication des systèmes de détection et des systèmes d’armes. J’ai pu le constater en personne lors de ma visite en avril 20223 de la chaîne d’assemblage du P-8A aux installations de Boeing à Renton et à la base de l’US Navy, NAS Whidbey Island, tous deux dans l’État de Washington.
À la fin des années 1980, plusieurs offres furent présentées à l’US Navy pour le remplacement du P-3 Orion dans le cadre du programme Long Range Air ASW-Capable Aircraft (LRAACA). Boeing proposa une version MPA de son avion de ligne 757, McDonnell Douglas, une de son MD-90 et Lockheed, le P-7A, une version augmentée et améliorée du P-3. Deux ans, plus tard, le programme fut annulé.
Lors du Salon du Bourget de 2017, les gens de Gulfstream n’avaient personnellement présenté leur projet de MPA basé sur le G550 accompagné de drones. Rien n’a suivi depuis.
Quant à la France, au lieu d’opter pour le P-8A, une solution clef en main adoptée avec justesse par Berlin au grand dam de Paris, songe au Falcon 10X ou à l’Airbus A320 pour remplacer ses Breguet Atlantic2 ou ATL2. En 1982, pour ne pas acheter américain, la France rejeta le Lockheed Martin P-3 Orion et relança la production de l’Atlantic dont le vol inaugural remontait au 21 octobre 1961 pour en faire l’Atlantic2.
Après le retrait de l’Allemagne du programme franco-allemand Maritime Airborne Warfare System (MAWS), Paris a décidé à lancer son propre programme.
Par conséquent, la Direction générale de l’armement (DGA) a notifié fin décembre 2022 à Airbus Defence and Space et à Dassault Aviation, deux études d’architecture de système de patrouille maritime futur (Patmar) sur la base d’un de leurs avions : l’A320neo pour Airbus Defence and Space et le Falcon 10X pour Dassault Aviation.
Quant aux demandes du premier ministre du Québec, François Legault et de son ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon pour la tenue d’un appel d’offres, il faut en rire.
Québec a-t-il émis un RFP pour l’achat des jets du gouvernement ? Non. Québec a-t-il émis un RFP pour acheter l’Airbus H145 de la Sureté du Québec ? Non. De plus, je n’ai entendu personne se plaindre lorsqu’Ottawa a opté sans appel d’offres pour le ravitailleur en vol Airbus A330MRTT. Il est vrai que son concurrent n’était que le Boeing KC-46A Pegasus, commandé par des forces aériennes à la réputation bien plus grande que la Royal Canadian Air Force : l’US Air Force, Heyl Ha Avir (l’armée de l’air d’Israël) et la Japan Air Self-Defense Force (JASDF) et opérationnel au sein de l’US Air Force.
Pas un mot ne fut prononcé sur cette appel d’offres par nos chers politiciens ainsi que par nos journalistes et éditorialistes à la recherche de scandales.
Quant aux entreprises aérospatiales québécoises, il ne faut pas croire qu’elles se rangent toutes dernière Bombardier. Mais qui oserait s’exprimer ouvertement au Québec qu’il n’est pas aisé d’être fournisseur de Bombardier. C’est la loi de l’Omerta. Je le sais puisqu’il y a plus de vingt ans, j’avais réalisé une étude pour le gouvernement sur les relations entre Bombardier et ses fournisseurs. Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs me confièrent que cela n’était pas facile et préféraient travailler avec Boeing ou Lockheed Martin.
Bombardier a eu l’habitude d’avoir tout ce qu’il voulait des gouvernements depuis longtemps. Et par la voix de son pdg, Éric Martel, l’entreprise croyait voir ses désirs réalisés. Heureusement, ce ne sera pas le cas, cette fois-ci
Lorsqu’en 1986, Bombardier a acheté Canadair dans lequel le gouvernement Trudeau père avait englouti $1,2 milliard ($3 milliards actuels) pour développer le jet d’affaires Challenger 600, l’entreprise québécoise n’a payé que $120 millions avec option de retour au vendeur en cas de non-satisfaction.
Le rachat en 1992 de De Havilland de Toronto fut du même ordre alors que Bombardier paya à Boeing $51 millions, une chanson pour une entreprise dans laquelle l’avionneur Américain avait investi des centaines de millions de dollars avant de jeter la serviette devant un syndicat hostile très antiaméricain.
Rappelons-nous des sommes d’argent public englouties dans le développement du CSeries avant de le donner à Airbus.
Bombarder devrait revenir de ses émotions, il ne fait pas le poids devant Boeing et son expertise en Special Mission Aircraft (SMA). Le constructeur montréalais doit se mettre au travail pour relancer sa gamme vieillissante de bizjets. Le Challenger 3500 né Challenger 300 a effectué son vol inaugural en 2001 alors que le Challenger 650, dernière déclinaison du Challenger 600 qui s’est envolé pour la première fois en 1978.
Bombardier doit se concentrer sur le marché des bizjets car la concurrence aligne des bizjets bien plus avancés que les siens : les Gulfstream G400, G500, G600, G700 et G800 et les Dassault Falcon 6X et 10X.
Je ne m’en fais pas pour Bombardier car Ottawa et Québec cèderont aux desiderata du constructeur de Saint-Laurent et trouveront les moyens de financer avec l’argent des contribuables son projet de Global 6500 MPA de papier. Au moment de sa mise en service, il sera une génération en arrière, les drones ayant pris une grande partie des tâches des MPA.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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