L’annonce d’une réduction de la cote de crédit de Bombardier par l’agence de notation Standard & Poor’s ainsi que la publication d’une mise en garde par l’agence Fitch ont eu l’effet d’une bombe chez les observateurs qui suivent l’action de la compagnie. Pourtant, certains investisseurs avaient anticipé cette mauvaise nouvelle puisque le cours de l’action de Bombardier a fortement chuté au cours des dernières semaines. Le vendredi 23 septembre, l’action de catégorie B a terminé la journée à 1,60 $, loin des 2,15 $ enregistrés le 31 août dernier. Dans ce contexte, une aide fédérale serait la bienvenue, mais rien n’indique que les parties soient proche d’un accord, bien au contraire.
Ce que disent les agences
Vendredi matin, l’agence Standard & Poor’s a réduit la cote de crédit de Bombardier d’un cran, la réduisant de B à B-, le dernier niveau avant de tomber dans les titres hautement risqués qui reçoivent la note CCC. L’analyste Aniki Saha-Yannopoulos explique que son agence s’inquiète de la faiblesse de la demande dans les marchés des avions d’affaires et des avions commerciaux ainsi que des nouveaux retards à prévoir dans la mise en production du C Series. L’analyste rappelle que Bombardier a dû réduire de 15 à 7 le nombre de C Series qu’elle pourra livrer cette année en raison des problèmes de fabrication des moteurs qu’éprouve Pratt & Withney. En conséquence, l’analyste prévoit que Bombardier ne pourra pas améliorer son niveau de liquidités au cours des deux ou trois prochaines années.
“The downgrade primarily reflects our view of the company’s increased
sensitivity to protracted weakness in its end markets and future delays to its C-Series program,” said S&P Global Ratings credit analyst Aniki
Saha-Yannopoulos.
We expect relatively soft overall demand in the company’s business and
commercial jet segments to limit improvement in cash flow generation over the next two to three years. In addition, we continue to estimate the company will generate large free cash flow deficits over this period–notably related to its C-program. We acknowledge Bombardier‘s sizable liquidity position, which provides flexibility to fund its significant capital expenditures compared to cash flow over the next few years. However, we believe the company remains exposed to weaker-than-expected market conditions in its key end market, or further delays in its C-Series program that could precipitate higher than expected cash flow deficits and limit its financial flexibility. Furthermore, we view a material mprovement in the company’s highly leveraged credit measures, which are potentially unsustainable over the longer term, as unlikely at least through 2018.
Extrait du communiqué de presse de Standard & Poor’s
L’agence de notation Fitch a, pour sa part, maintenu la cote de crédit de Bombardier, mais comme
elle craint une diminution des liquidités, elle y a ajouté une perspective négative. Fitch fait remarquer qu’aucune émission d’obligations n’arrive à terme l’an prochain, mais que Bombardier devra refinancer des obligations d’une valeur de 1,4 milliards de dollars américains en 2018.
C’est en effet le principal problème de Bombardier qui doit refinancer à un taux acceptable trois séries d’obligations d’une valeur de 2 milliards de dollars américains d’ici le mois d’avril 2019.
Les échéances sont les suivantes :
Pour obtenir un taux d’intérêt intéressant lors de ces renouvellements, Bombardier doit maximiser ses revenus tout en réduisant ses dépenses, ce qui lui permettra d’augmenter son niveau de liquidités. Malheureusement, la demande est faible aussi bien pour le C Series que pour les avions d’affaires ; le secteur du transport est également au ralenti comme l’indique la diminution des revenus de Bombardier Transport au cours du premier semestre. À défaut de pouvoir augmenter les revenus de façon significative, la seule solution pour Alain Bellemare, le président de Bombardier, sera de couper encore plus dans les dépenses. Ça se présentent mal pour l’emploi et la R&D…
Le négociations fédérales
Le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Singh Bains, déclarait récemment, une fois de plus, que les discussions se poursuivaient en vue de l’octroi d’une aide fédérale à Bombardier. Le ministre expliquait qu’il souhaitait obtenir des garanties quant au maintien des emplois, le maintien du siège social et le maintien des programmes de recherche et développement au Canada.
Il y a quelques mois, lorsque les négociations ont débuté, les rumeurs affirmaient que le gouvernement fédéral exigeait que Bombardier apporte des changements à son système d’actions à droit de vote multiples. Ces actions, de catégorie A, permettent à la famille Bombardier de conserver le contrôle de la compagnie grâce aux 10 droits de vote que chacune comporte. Pour les banquiers et les gestionnaires de fonds qui travaillent sur Bay street, et dont certain habitent dans la circonscription du ministre Bain, il s’agit d’un irritant important.
Le ministre semble maintenant avoir compris que cette demande était à la fois dangereuse et contradictoire avec certaines de ses autres demandes. C’est le cas du maintien du siège social au Canada qui ne posera pas de problème tant que la famille Bombardier conservera le contrôle de la compagnie grâce à ses actions multivotantes. Le déménagement du siège social ne pourrait se produire que dans le contexte d’une vente de l’ensemble de l’entreprise à un investisseur étranger, surtout si celui-ci décidait de démanteler la compagnie. En effet, la somme de la valeur de chacune des quatre composantes de Bombardier est probablement supérieure à la valeur actuelle du tout.
Emploi et R&D
Pour remplacer cette stratégie, le ministre semble s’être replié sur deux autres demandes qui ont peu de chances d’être acceptées par la compagnie : l’emploi ainsi que la recherche et le développement.
Selon Bombardier, 1500 personnes travaillent actuellement à l’usine de Mirabel à la mise au point et à l’assemblage du C Series. Ce nombre ne va pas augmenter à court terme. Il pourrait même diminuer une fois que le CS 300 sera entré en service. Avec l’équipement et les travailleurs actuels, Bombardier peut augmenter sa production jusqu’à une centaine d’appareils par année. Par la suite, la production pourrait être accrue à 150 avions par année si les ventes le justifient. Il faudrait alors que Bombardier ajoute un peu d’équipement et un certain nombre de travailleurs. Mais ça ne se produira pas avant quelques années.
Entre temps, l’entrée en service du CS 300 permettra à Bombardier de mettre à pied une partie de l’équipe d’ingénierie actuelle. Le seul scénario qui pourrait se traduire par la création de nouveaux emplois serait le développement d’une version plus longue du C Series, un CS 500 par exemple. Malheureusement ce projet nécessiterait des investissements qui voisinent le milliard de dollars, ce que Bombardier ne peut pas se permettre actuellement.
À Toronto, il en va de même pour le Global 7000 qui devrait effectuer son premier vol d’ici la fin de l’année et qui doit entrer en service en 2018. Une fois cette échéance passée, l’équipe d’ingénierie risque d’être réduite considérablement. Bombardier pourrait évidemment moderniser certains de ses autres avions d’affaires, comme les Global 5000 et 6000, ce qui permettrait de protéger une partie des emplois actuels. Toutefois le marché actuel de l’aviation d’affaires demeure anémique et il n’est pas certain que ce soit le bon moment pour procéder à ce type d’investissement. Si les ventes ne se redressent pas, nous pourrions au contraire assister à de nouvelles vagues de mises à pied aussi bien à Toronto qu’à Montréal, Belfast et Wichita.
Une aide fédérale pourrait grandement faciliter le redressement des finances de Bombardier. Toutefois, dans le contexte économique actuel, il est difficile d’imaginer comment il sera possible de concilier les besoins financiers de Bombardier avec les objectifs politiques du gouvernement fédéral.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
Je crois que le souci d’Ottawa de maintenir les emplois concerne d’abord et avant tout l’usine de Downsview en Ontario. Car Bombardier pourrait vouloir déménager la production du Global et du Q400 afin de vendre les terrains qui valent aujourd’hui plusieurs centaines de millions de dollars, avec ou sans usine. Pour ce qui est de la R&D, l’équation est très simple. Bombardier a besoin du milliard qu’il réclame du fédéral pour développer le CS500, un point c’est tout. C’est que le modèle compact de la gamme C Series, le CS100, est un avion peu concurrentiel qui appartient à une catégorie particulière qui n’a d’intérêt que pour les opérateurs recherchant des performances exceptionnelles sur courtes pistes, possiblement situées à haute altitude et/ou dans des régions désertiques, et avec une grande autonomie. Ce modèle devient cependant plus attractif dès qu’il fait partie d’une famille d’avion. Pour l’instant on ne peut lui associer que le CS300, un modèle intermédiaire de cette catégorie (100-150 places). Ce qui manque à la gamme C Series est le modèle sedan, c’est à dire le CS500. Je ne peux cependant pas expliquer le long délais imposé par le gouvernement fédéral autre que par le désire d’Ottawa de faire l’acquisition de C Series à des fins militaires et/ou comme avion VIP. Cela nécessitant une longue préparation expliquerait le long délais. Mais je n’ai aucune certitude à cet effet. Ce n’est que pure spéculation de ma part. La seule certitude que j’ai est que le développement du CS500 doit être entrepris le plus tôt possible. Mais cela ne peut se faire sans l’aide d’Ottawa.