L’année 2015 a débuté par une nouvelle baisse du prix du pétrole. Le vendredi 9 janvier, le baril de West Texas Intermediate (WTI) a terminé la première semaine de l’année à 48,21 dollars américains à la New York Mercantile Exchange (NYMEX), une chute de 4,60 $ pour la semaine (-8,71%). Rappelons qu’en juillet dernier le prix du WTI était de 108 $. Deux questions se posent maintenant : combien de temps vont durer ces très bas prix et dans quelle mesure les transporteurs aériens, les manufacturiers d’avions et les voyageurs vont-t-ils en profiter?
Plusieurs années de bas prix
Ce n’est pas la première fois que les prix du pétrole chutent. Rappelons que la dégringolade des derniers mois est moins spectaculaire que celle de 2008. À cette époque, la récession avait ramené le prix du WTI de 146 $ US le baril en juillet à 32 $ en décembre. Par la suite, la remontée a été lente, à l’image de la reprise économique; ce n’est qu’en 2011 que le prix du baril de WTI a regrimpé à 110 $, pour ensuite fluctuer entre 80 $ et 105 $ le baril, avant de dégringoler à nouveau au cours des cinq derniers mois.
Un retour en arrière nous permet de jeter un regard sur ce qui s’est passé au cours des décennies, 70, 80 et 90, quand les pays de l’OPEP contrôlaient encore le marché des hydrocarbures, et d’y chercher des leçons… En 1973 et en 1979, l’OPEP décrète des hausses de prix importantes, qui devaient transformer l’économie mondiale. En 1973, les pays producteurs font d’abord passer le prix du baril de pétrole léger à 3 $, puis à 12 $ en 1974, et enfin à 35 $ en 1979. Ces hausses ont pour effet de déclencher, dans tous les pays consommateurs, d’importantes campagnes d’économie d’énergie. Ces premières mesures étaient simples mais très efficaces. Les exemples les plus frappants : la réduction de la vitesse permise sur les autoroutes de 120 Km/h à 100 Km/h, la réduction de quelques degrés du chauffage dans les immeubles, l’apparition des premiers thermostats programmables. Simultanément, de nouveaux gisements de pétrole sont découverts en Mer du nord et en Alaska.
Entre 1980 et 1986, l’OPEP augmente sa production de brut de 6 millions de barils par jour. Le résultat ne se fait pas attendre : la surabondance de pétrole sur les marchés entraîne la chute du prix du baril de 31.82 $ en novembre 1985 à 9,75 $ le baril en avril 1986. Au cours des deux décennies suivantes, ce prix est demeuré inférieur à 32 $, comme l’illustre le graphique suivant.
Source : Wikimedia Commons; Auteur : Alexeykob
Les pays de l’OPEP, qui contrôlent encore aujourd’hui 40 % de la production mondiale, refusent de diminuer leur production afin de soutenir les prix; ces pays veulent d’abord protéger leurs parts de marché. C’est le cas notamment de l’Arabie Saoudite qui accorde des rabais à ses meilleurs clients. D’autres pays ont commencé à augmenter leur production de brut afin de maintenir leurs revenus et équilibrer leurs budgets. C’est notamment le cas de la Russie; l’Irak prévoit également augmenter sa production de 10 % au cours des semaines qui viennent; l’Iran et le Venezuela devront sans doute en faire autant dans un avenir rapproché. Et chaque augmentation de production poussera les prix encore plus bas.
Aux États-Unis, depuis un an, la production est en hausse d’un million de baril par jour, atteignant 9,14 millions de barils par jour. Dans ce cas toutefois, le rythme de production va sans doute s’inverser. Les producteurs de pétrole de schiste, qui ont beaucoup contribué à la surabondance actuelle de l’offre, vont se battre encore pendant quelque temps avant d’être acculés à la faillite. Des fermetures semblent inévitables puisque plusieurs de ces producteurs ont des coûts de production supérieurs à 50 $ le baril, un niveau que plusieurs analystes voient maintenant comme le prix moyen du brut en 2015. Quant à la demande de produits pétroliers, elle n’augmentera pas assez pour éponger l’excédent d’offre. La croissance économique s’accélère aux États-Unis, mais elle demeure faible en Asie et anémique en Europe. Il faudra donc plusieurs années avant que le prix du pétrole ne remonte de façon significative.
Le principal aspect positif de la chute du prix du pétrole est qu’elle devrait stimuler la croissance économique dans les pays qui n’en sont pas producteurs. Aux États-Unis, l’agence de nouvelles Bloomberg cite Mark Zandi, économiste en chef de Moody’s Analytic Inc., qui estime que les consommateurs américains économiseraient 150 milliards de dollars en carburant cette année si le prix moyen du baril pétrole avoisinait les 60 $. Selon lui, cet argent économisé sera principalement dépensé en biens de consommation, donc en voyages d’agrément et d’affaires. Les économistes la banque Goldman Sachs calculent que cela sera suffisant pour engendrer une croissance additionnelle du PIB américain de 0,5 %, même si certaines régions comme le Texas vont plutôt voir leur économie reculer considérablement.
Une bonne nouvelle
A priori, la chute du prix du pétrole constitue une excellente nouvelle pour les transporteurs aériens. L’Association internationale du transport aérien (IATA) estime que le coût du carburant représente 26 % des coûts totaux de l’industrie et que ces achats atteindront 192 milliards de dollars américains en 2015.
La baisse du prix du pétrole enregistrée depuis juillet a contribué à faire augmenter les profits nets après taxes des membres de l’IATA à 19,9 milliards de dollars américains. La hausse des profits se poursuivra en 2015 pour atteindre 25 milliards de dollars américains. Ce qui signifie que la marge de profit des membres de l’IATA augmentera à 3,2%, soit en moyenne 7,08 $ par passager, comparativement à 6,02 $ en 2014 et 3,38 $ en 2013. Ces prévisions se fondent sur un coût du baril de pétrole à 85 $, ce qui semble aujourd’hui très élevé.
L’IATA prévoit une diminution moyenne du prix des billets aller-retour de 5,1 %, en excluant les surcharges et les taxes. Il s’agit toutefois d’une prévision mathématique qui cache des réalités bien différentes d’une entreprise à l’autre. Dans les faits, tout dépendra des politiques de couverture de carburant qui varient considérablement d’une entreprise à l’autre. La plupart des entreprises gèlent une partie ou même la totalité du prix de leur carburant longtemps d’avance au moyen d’instruments de couverture achetés sur les marchés à terme comme le NYMEX à New York ou la bourse ICE à Londres.
Les politiques de couverture
Chez Transat, on se couvre à long terme. Lors de la conférence téléphonique avec les analystes financiers qui a suivi la publication des résultats financiers de son quatrième trimestre, Denis Pétrin, chef de la direction financière de la compagnie, a donné les explications suivantes : Transat commence à geler le prix de son carburant un an d’avance de façon à débuter la saison avec 40 % de ses besoins en carburant couvert sur les marchés à terme. Les achats de produits financiers se poursuivent jusqu’à un mois avant la date de chaque départ, pour atteindre un taux de couverture qui soit voisin du nombre de sièges que la compagnie prévoit vendre, habituellement 90% de la capacité de l’avion.
Comme le faisait alors remarquer l’analyste David Tyerman de Canacord Genuity, cette politique pourrait, dans les mois qui viennent, désavantager Transat face à Air Canada et à Westjet qui ne couvrent pas leurs achats de carburant et qui seront en mesure de bénéficier immédiatement de la baisse du prix du pétrole. Denis Pétrin a répondu qu’à long terme, il est préférable de réduire la volatilité engendrée par les fluctuations du prix du pétrole avec une bonne stratégie de couverture.
Ailleurs dans le monde, les politiques de couverture varient énormément et elles sont en voie de révision partout. Récemment, Air France-KLM a réduit la proportion couverte de ses besoins en carburant à 55%. Jusqu’en 2010, Air France KLM couvrait 70-75% de ses besoins 4 à 5 ans à l’avance, une stratégie qui lui a coûté très cher lorsque le prix du pétrole a baissé lors de la récession de 2008. Lufthansa a pour politique de couvrir 65 % de ses besoins deux ans d’avance. Ryanair couvre 90% de ses achats de carburant mais Easyjet seulement 78% et le International Consolidated Airlines Group (IAG) couvre 79 % de ses besoins.
Ces programmes de couverture sont très avantageux lorsque les prix montent, mais ils deviennent désavantageux lorsque ceux-ci descendent comme c’est maintenant le cas. Les compagnies qui n’utilisent pas de programmes de couverture pourront dès cet été transmettre à leurs voyageurs au moins une partie des économies réalisées au chapitre du carburant, alors que les autres devront enregistrer des pertes si elles veulent demeurer concurrentielles et protéger leurs parts de marché. Le principal risque que courent les compagnies établies est de voir apparaître du jour au lendemain de nouvelles compagnies aériennes qui vont acheter de vieux avions à faible prix et offrir des services de charter à des tarifs plus bas que ceux des grands transporteurs. La plupart de ces nouvelles compagnies ne survivront pas très longtemps, mais à court terme, elles pourraient perturber le marché en augmentant l’offre et en faisant baisser les prix.
Il faut également tenir compte de l’effet des fluctuations de taux de change. Concrètement, la hausse de la valeur du dollar américain réduit un peu l’impact de la chute du prix du pétrole. Effectivement le dollar canadien a perdu environ 10 % de sa valeur par rapport au dollar américain depuis un an. Par contre, au cours de la même période, le prix du pétrole a été coupé de moitié. Récemment une porte-parole d’Air Canada a utilisé l’argument des fluctuations de taux de change pour expliquer que le transporteur ne prévoyait pas diminuer ses tarifs même si le coût du carburant diminuait. Cet argument n’a convaincu personne.
Changement de stratégies pour les transporteurs et les manufacturiers?
Les carnets de commandes de Boeing et d’Airbus comptent maintenant quelque 12,000 appareils d’une valeur voisine de 2,000 milliards de dollars américains. Les deux géants produisent quelque 1350 avions de ligne par année et prévoient augmenter leur production au cours des prochaines années. Quelles conséquences pourraient avoir une chute prolongée du prix du pétrole sur ces énormes entreprises dont le principal argument de vente est l’économie de carburant que permettent leurs nouveaux avions?
Il est évident qu’un pétrole à 50 $ le baril rend beaucoup moins urgent la modernisation des flottes d’avions commerciaux. Certains acheteurs pourraient être tentés de repousser ou même d’annuler l’entrée en service de nouveaux avions. L’exemple de Delta Airlines vient immédiatement à l’esprit. Cette entreprise utilise essentiellement de vieux avions remis à neuf et ce modèle d’affaires a maintenant fait ses preuves. Depuis 3 mois, le prix de l’action de Delta est d’ailleurs passé de 31 $ à 46 $.
Un facteur pourrait toutefois pousser les transporteurs à compléter leurs achats d’avions : il est plus facile et moins coûteux de financer un avion lorsqu’on fait de bons profits. L’aspect négatif est que les avions, comme le carburant, se paient en dollar américains et que ceux-ci deviennent de plus en plus coûteux. La chute du pétrole a fait grimper la valeur du dollar américain par rapport à plusieurs devises, et notamment face à celles des pays producteurs de pétrole comme le Canada. L’euro et d’autres devises sont également en baisse. Dans certains pays, comme la Russie, les transporteurs auront de la difficulté à se payer de nouveaux avions importés.
Certains manufacturiers d’avions, comme Bombardier et Airbus, vont profiter de la chute des devises face au dollar américain. Il s’agit des entreprises dont une bonne partie des coûts, main-d’œuvre ou pièces, sont défrayés dans une devise autres que le dollar américain. Dans le cas de Bombardier, Pierre Beaudoin affirmait lors de la dernière assemblée générale des actionnaires que chaque cent de baisse du dollar canadien se traduisait par 25 millions de dollars de profit additionnel. Comme Bombardier se protège contre les fluctuations de taux change au moyen de contrats à terme, cet impact positif se fera peu sentir en 2014, mais l’effet à plus long terme est prometteur. L’analyste Benoit Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins, estime que si la valeur du dollar canadien demeure à 85 cents américains, Bombardier Aéronautique pourrait économiser 435 millions $ par année au cours des deux ou trois prochaines années et faire augmenter sa marge de profit dans une fourchette de 7 à 9%.
La chute du prix du pétrole est en voie de déclencher une restructuration profonde de l’économie mondiale. A priori, l’ensemble de l’industrie aérospatiale semble bien placée pour profiter de la reprise de la croissance économique prévisible. Des facteurs inconnus viendront-ils bousculer cet optimisme…?
Sources : Dow Jones, Reuter, Bloomberg La Tribune et Wikipedia.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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