MONTRÉAL – Nombre de mots : 1022 – Temps de lecture : 6 minutes.
Dans l’opposition, la Coalition Avenir Québec (CAQ), maintenant au pouvoir, a critiqué, avec raison, l’aide éhontée accordée par le gouvernement provincial Libéral de Philippe Couillard, en octobre 2017, à Bombardier. Mais maintenant qu’elle est aux commandes de l’État québécois, la CAQ se dit prête à aider le ‘fleuron’ québécois.
Après des années de choix douteux de la part de sa direction dont celui catastrophique du lancement du CSeries, Bombardier a eu recours à une aide massive de la part du contribuable québécois et, dans une moindre mesure, du contribuable canadien en 2017 et 2018. En 1978 du temps où Canadair était une société de la Couronne, le gouvernement fédéral de Pierre-Elliot Trudeau versa plus d’un milliard de dollars de l’époque (trois milliards de dollars de maintenant) pour le développement du bizjet biréacté Challenger 600. La générosité du fédéral se continua sous le gouvernement de Brian Mulroney qui vendit pour une bouchée de pain Canadair et son Challenger à la québécoise Bombardier pour $300 millions avec garantie de retour au vendeur.
Mais maintenant installé au pouvoir, le gouvernement CAQiste de François Legault ne peut résister aux sirènes pour ne pas dire aux appels désespérés de Bombardier.
Les milliards de dollars versés par les Libéraux en 2017 n’ont pas empêché le démembrement de Bombardier : don du CSeries à l’européenne Airbus, vente du programme Q400 à Viking Aircraft et de Bombardier Business Aircraft Training à CAE et enfin celle de la division ‘Transport’ à la française Alsthom.
Tout cela pour garder la division ‘Avions d’affaires’, la plus exposée aux fluctuations de l’économie. Nous nous souviendrons qu’après des années de croissance démentielle de la décennie précèdent la chute de Lehman Brothers à l’automne 2008, l’industrie de la construction d’avions d’affaires s’est effondrée pour ne jamais se remettre. La valeur des livraisons d’avions d’affaires était de US$24,772 milliards en 2008 contre US$23,514 milliards en 2019, soit en dollars 2020, US$29,449 milliards en 2008 contre US$23,514 en 2019. De surcroît, la valeur des livraisons d’avions d’affaires pour 2020 devrait plonger comme cela fut le cas au lendemain de la crise financière de 2008. En 2011, la valeur des livraisons tomba à US$19,041 milliards.
L’argument présenté par l’analyste fétiche de Radio-Canada, Mehran Ebrahimi, sur l’heure du midi vendredi, voulant que les ventes d’avions d’affaires allaient grimper par peur du virus est illusoire. Certes, il y a actuellement une augmentation de la demande de charter de la part de ceux qui ne veulent pas se retrouver dans des avions de lignes mais surtout qui peuvent se le permettre. Mais cette situation n’est que temporaire. Rappelons que le moindre vol en avion d’affaires coûte au bas mot $5000 l’heure de vol. la facture d’un aller-retour Montréal-Teterboro (YUL-TEB) en banlieue de New York se facture à $15000, un Montréal-Fort Lauderdale (YUL-FLL) à $32000. N’abordons même pas les vols en avions d’affaires à cabine large et long et très long rayon d’action pour des vols Montréal-Paris (YUL-LBG) ou Montréal-Tokyo (YUL-NRT/HND).
Au lendemain du ’11 septembre’, une augmentation des ventes de bizjets fut anticipée, les responsables de l’industrie prévoyant que les dirigeants d’entreprises se rueraient vers l’aviation d’affaire par souci de sécurité. Tout le contraire se réalisa.
La gamme Learjet de Bombardier n’est plus que l’ombre d’elle-même avec plus que deux modèles. Les Learjet 70 et 75 ne font plus le poids sur le créneau des jets d’affaires légers face à ceux de Cessna et d’Embraer. En 2019, Learjet a livré 12 appareils contre 133 en 2000. En 2019, Embraer a remis à leur propriétaire 51 Phenom 300 et 15 Legacy 450 et Cessna, 34 Citation CJ3+, 37 Citation CJ4+ et 33 Citation XLS+. Les Learjet 70 et 75 sont deux orphelins face à la gamme des jets de léger et de moyen gabarit de Cessna qui compte cinq modèles.
La gamme Challenger de Bombardier se fait vieillissante particulièrement le jet d’affaires à cabine large et long rayon d’action, Challenger 650 dont les origines remontent au Challenger 600 dont la certification date de 1980. Vingt furent livrés en 2019. Même le jet SuperMidSize Challenger 350, la déclinaison la plus récente du Challenger 300 entré en service en 2004, n’est pas jeune. Même si le Challenger 350 se vend bien et se retrouve en premier position sur son marché, avec 56 livraisons en 2019, il fait face à une concurrence grandissante avec le Cessna Citation Longitude dont la mise en service a eu lieu au quatrième trimestre 2019 avec 19 premières livraisons. En 2019, sur le même créneau, Embraer a livré 13 Legacy 600 et 5 Legacy 650 et Gulfstream, 33 G280 construits en Israël et aménagés aux États-Unis.
La gamme des jets à cabine large et long et très long rayon d’action, Global, qui vise le haut et très haut de gamme, sera la plus touchée selon plusieurs experts, ce marché étant généralement porté par les extrêmement riches de Russie, de Chine et du Moyen-Orient et par un cours du pétrole élevé. En 2019, Bombardier a livré 54 Global et Gulfstream, 114 jets à cabine large et long et très long rayon d’action (G500, G600, G550, G650 et G650ER).
Le monde de l’aérospatiale a bien changé depuis les belles années de Bombardier.
Une vague de fusions et de rachats a déferlé aussi bien parmi les avionneurs que chez les motoristes, électroniciens qu’équipementiers. Ont été absorbé McDonnell Douglas, Martin Marietta, Grumman, Sikorsky, Goodrich, Esterline, Zodiac, UT Aerospace Systems, Rockwell Collins,…
Il ne reste plus que des géants dans la construction d’aéronefs : Boeing, Airbus, LockheedMartin, Leonardo et pour l’instant, Embraer. D’autres font partie de plus grandes entités : Sikorsky chez Lockheed Martin, Bell Helicopter, Cessna et Beechcraft chez Textron, Dassault Falcon chez Groupe Dassault, Gulfstream chez General Dynamics,…
Il n’y a plus de place pour des avionneurs de la taille de Bombardier et d’Embraer dans le marché aérospatial du 21ième siècle. L’exception est Dassault Aviation qui, en dépit de ses excellents produits, est soutenu par l’État français à coup de commandes d’avions de combat Rafale sans appel d’offres (RFP) et contrats de développements comme celui du Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) ou Future Combat Air System (FCAS).
Pour Bombardier et Embraer, le salut réside dans sa reprise par un plus gros joueur aérospatial ou par les Chinois.
Continuer à verser des fonds publics dans Bombardier est aussi illusoire que cela le fut en faveur du programme CSeries.
Faut-il encore renflouer Bombardier ? Non. Mais toutefois le gouvernement du Québec le fera quand même.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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