MONTRÉAL – Nombre de mots : 1329 – Temps de lecture : 5 minutes.
Y étant présent, je me souviens très bien du lancement en grande pompe lors du Salon NBAA-BACE à Las Vegas, au Nevada, le 21 octobre 2013, du Dassault Falcon 5X et de son tout nouveau moteur le Snecma Silvercrest. C’était là , pour le motoriste français un pied-de-nez aux motoristes anglo-saxons, Pratt & Whitney, Pratt & Whitney Canada, GE Aircraft Engines, Honeywell, Williams et Rolls Royce, qui dominent le secteur de l’aviation d’affaires.
Le motoriste français Snecma, une des composantes du groupe Safran, est connu pour ses turbopropulseurs qui ont équipé tous les avions militaires de Dassault, le Mystère IIC avec l’Atar 101D, le Super Mystère avec l’Atar 101G, l’Étendard IV avec l’Atar 8B, le Super Étendard avec l’Atar 8K-50, le Mirage III avec l’Atar 09C, le Mirage IV et le Mirage F1 avec l’Atar 9K-50, Mirage F-1, le Mirage 2000 avec l’Atar M53-P2 et le Rafale avec le M88-2. Mais il est peut-être encore plus aussi pour sa participation avec l’américaine General Electric dans CFM International qui produit le CFM56 lancé pour la remotorisation des Douglas DC-8-70 et propulsant les Boeing KC-135R mais surtout des milliers de Boeing 737 Classic, Next Generation et Max et d’Airbus A318/319/320/321 ainsi que l’infructueux et éphémère Airbus A340.
Certainement emportée par la folie portée le secteur de la construction d’avions d’affaires qui s’arrêta brusquement en octobre 2008 avec la chute de Lehman Brothers et la crise financière qui s’en suivit, la direction de Safran décida de s’y lancer, en octobre 2006, avec une toute nouvelle turbosoufflante, la Silvercrest.
D’une poussée comprise entre 3,6 et 5 tonnes, la turbosoufflante Silvercrest visait la propulsion des jets d’affaire SuperMidSize et haut de gamme d’une masse totale au décollage comprise entre 20 et 26 tonnes.
En mai 2012 lors du salon de l’aviation d’affaire européen, EBACE, tenu chaque année à Genève, en Suisse, Textron Aviation a été le premier constructeur aéronautique à opter pour le moteur français afin de propulser son tout nouveau Cessna Citation Longitude, un jet d’affaires au prix de 27 millions de dollars américains prévu alors entrer en service en 2017.
Lors de l’édition 2013 de la grande messe annuelle de l’aviation d’affaires qu’est le NBAA BACE en octobre à Las Vegas, au Nevada, Dassault Aviation à son chalet au statique au Henderson Executive Airport (HSH), par la voix de son président Éric Trappier qui annonça la décision de motoriser son tout nouveau Falcon 5X. Ceci était l’aboutissement de plusieurs années de rumeur autour du lancement d’un SuperMidSize, SMS, par l’avionneur de Bordeaux afin de concurrencer les Bombardier Challenger 300, Gulfstream G200, Hawker 4000 et Embraer Legacy 600. Au prix de 45 millions de dollars américains, le Falcon 5X, un biréacté SuperMidSize offrira la cabine la plus large alors sur le marché et, conçu et construit en France, devra être le plus français des avions civils avec cette motorisation Safran. Le motoriste français y ayant investi 600 millions de dollars américains, promet un gain de consommation de carburant de 15 % et une réduction de moitié des émissions de moitié des émissions de gaz à effet de serre avec son nouveau réacteur.
Le Silvercrest prenait alors son envol et tout semblait indiquer que la Snecma allait réussir son entrée dans le secteur de la motorisation de jets d’affaires tout comme elle l’avait fait dans celui des avions de ligne monocouloirs en collaboration avec General Electric.
En novembre 2015, au salon NBAA-BACE tenu au Las Vegas Convetion Center, Cessna présenta la version définitive de son futur Citation Longitude qui se positionnera entre le Citation Latitude et le Citation Hemisphere, dévoilé au même salon. Du même coup, Textron Aviation annonça abandonner la motorisation Silvercrest pour son Cessna Citation Longitude au profit d’un moteur éprouvé, le Honeywell HTF7700L. À titre de cadeau de consolation, le constructeur de Wichita dévoilait que le Silvercrest propulsera son tout nouveau jet d’affaires à cabine large et long rayon d’action qu’il vient alors de lancer au même salon, le Cessna Citation Hemisphere.
Mais la descente aux enfers du Silvercrest ne s’arrêtera pas là .
Au prix de plusieurs années de patience, Dassault Aviation pour qui le mot retard ne fait pas partie de son vocabulaire, engage, le 13 décembre 2017, le processus de résiliation du contrat la liant à Safran pour son réacteur Silvercrest qui aboutira à la fin du programme Falcon 5X.
Aux installations de Dassault Jet Services, le 28 février 2018, devant une aéropage de journalistes et analystes dont moi-même, Dassault Aviation lançait en grandes pompes par la voix d’Éric Trappier et d’Olivier Villa, directeur général des avions civils, le Falcon 6X qui allait remplacer le 5X équipé d’une paire de turbosoufflantes Pratt & Whitney Canada PW812D. Cette fois-ci, cela en était fini pour le Silvercrest chez Dassault Falcon. Avec une entrée en service prévue du 6X en 2022, Dassault Aviation aura dans l’aventure Silvercrest perdu cinq années car initialement, la première livraison d’un Falcon 5X devant survenir en 2017.
Dernière tuile pour le motoriste français lorsqu’en avril 2018, Textron Aviation annonçait la suspension du programme de développement de son Cessna Citation Hemisphere, son pdg, Scott Donnelly, ne rendant pas étranger à cette annonce les problèmes du Silvercrest.
Au prix de 35 millions de dollars américains, le Cessna Citation Hemisphere, équipé de deux Silvercrest d’une poussée de 12000 livres, devait marquer l’entrée du constructeur de Wichita fondé en 1927 dans le marché des bizjets à cabine large et long rayon d’action, la chasse gardée des Gulfstream, Dassault et Bombardier.
Devant effectuer son vol inaugural en 2019, le Cessna Citation Hemisphere, le premier jet totalement nouveau de Cessna depuis vingt ans, aurait affiché un rayon d’action de 4500NM à une vitesse de croisière maximale de Mach 0.90. En 2009, face à la montée des effets de la crise financière de l’année précédente, la direction de Cessna avait abandonné sa première tentative d’incursion dans le marché des jets d’affaires haut de gamme avec la mise en veilleuse de son Citation Columbus construit autour du moteur PW810 de Pratt & Whitney Canada.
Une fois, ces deux derniers-nés, les Citation Latitude et Citation Longitude entrés en service, le grand constructeur de Wichita sera certainement tenté de relancer son Citation Hemisphere afin d’offrir à son importante base d’utilisateurs de ses jets d’affaires d’accéder à ce créneau supérieur.
Il est fort probable que les ingénieurs de Textron Aviation opteront pour la turbosoufflante PW800 de Pratt & Whitney Canada de Longueuil, en banlieue sud de Montréal.
Comme l’illustre le tableau ci-dessous, Textron ne pourra que se diriger vers le PW800. Le tout-nouveau GE Passeport offre des poussées supérieures à celles requises pour le Citation Hemisphere alors que le Honeywell HTF7700L, entré en service sur le Challenger 300 de Bombardier, né Continental, au début en 2001, n’est pas assez puissant.
GE Passport 20 | Pratt & Whitney Canada PW800
PW814GA-PW815GA |
Honeywell
HTF7700L |
Safran Silvercrest | |
Longueur | 132,5 pouces
3370mm |
105,8-130,44pouces
2690-3313mm |
92,4 pouces
2,347mm |
74 pouces
1900mm |
Diamètre | 52,0 pouces
1,300mm |
50,0 pouces
1,300mm |
34,2 pouces
870mm |
42,5 pouces
1,080mm |
Poids | 4,554lb
2,066kg |
3,135lb
1,422kg |
1,2514-1,534lb
687-696kg |
2,290lb
1,040kg |
Poussée | 17,745-18,920lbf | 15,429—16,011lbf | 6,944-7,338lbf | 11,450lbf |
Clients | Bombardier Global 7000
Bombardier Global 800 |
Gulfstream G500
Gulfstream G600 |
Bombardier Challenger 350
Cessna Citation Longitude Gulfstream G280 Embraer Legacy 450 Embraer Legacy 500 |
Falcon 5X Annulé
Cessna Citation Longitude Annulé Cessna Citation Hemisphere Annulé |
Il est bon de rappeler là qu’en matière de motorisation aérospatiale très peu de pays conçoivent et produisent des turbines. Vraiment très peu.
Les États-Unis avec Honeywell, Pratt & Whitney, General Electric, Williams International et Allison, devenu propriété de la britannique Rolls Royce en novembre 1994, le Royaume-Uni avec Rolls-Royce, la France avec la Snecma et Turbomeca, tous deux au sein du groupe Safran et le Canada, avec Pratt & Whitney Canada, filiale du conglomérat géant américain United Technologies.
Et il ne faut surtout pas oublier que sans nouveau moteur, il n’y a pas de nouvel aéronef!
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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