24 Juillet 2014
La direction de Bombardier a annoncé à 16 h 32, mercredi le 23 juillet, une restructuration en profondeur de sa division Bombardier Aéronautique. L’attachée de presse du siège social a ajouté que cette transformation entraînera l’élimination de quelque 1 800 emplois, soit 4,8 % des 37 400 employés que compte cette division. Guy Hachey, l’actuel président de la division aéronautique, qui a 59 ans, a immédiatement pris sa retraite, après 6 ans à la tête de la division. La nouvelle structure doit commencer à fonctionner le premier janvier prochain.
Cette nouvelle constitue un cataclysme dont il est encore difficile de mesurer l’ampleur. C’est certainement la transformation la plus profonde depuis 2004 alors que la division des produits récréatifs, maintenant BRP, a été vendue à un groupe d’investisseurs, comprenant la famille Bombardier. Sommes-nous sur le point de voir une opération semblable se réaliser?
La mort du numéro 3 mondial
Depuis dix ans, Bombardier Inc. était constitué de deux divisions autonomes et de tailles voisines, comme le montre le tableau ci-contre, tiré de la fiche d’information destinée aux investisseurs de Bombardier. L’an dernier, Bombardier Aéronautique, avec des ventes de 9,4 milliards de dollars américains, pouvait prétendre être le troisième manufacturier d’avions civils au monde, derrière Airbus et Boeing. (Et pour ceux qui se poseraient la question, les revenus d’Embraer étaient de 6,2 milliards de dollars américains l’an dernier, dont près de 20 % provenaient de ses ventes dans le secteur militaire.)
Cette transformation va scinder Bombardier Aéronautique en quatre divisions autonomes qui vont se rapporter directement au président du groupe, Pierre Beaudoin. Dans les faits, le troisième manufacturier d’avions civils au monde vient donc de s’éteindre. Pour compléter le tableau, ajoutons que Bombardier Transport ne sera pas touché par cette restructuration et qu’il demeurera sous la direction de Lutz Bertling. Cette division deviendra le pilier central de Bombardier.
Pourquoi donc une transformation aussi radicale? En quoi permettra-t-elle de régler les problèmes de Bombardier Aéronautique?
Un rapide coup d’œil au tableau précédent permet de constater que le problème se concentre dans un seul secteur : les avions commerciaux. La performance de Bombardier y est pitoyable depuis plusieurs années. À Farnborough, il ne s’est vendu aucun avion régional alors qu’Embraer recevait 158 commandes et options pour ses avions E2. Autre exemple, quand Bombardier n’engrangeait que 10 commandes de Q400 et options, ATR, le principal concurrent de Bombardier dans ce secteur, recevait 130 commandes et options. Quant au CSeries, avec ses 71 commandes et options, c’est mieux que l’année dernière alors qu’aucun appareil n’avait été vendu, mais c’est insuffisant pour assurer le succès commercial du projet.
Les avions d’affaires vont très bien fort heureusement, même si aucune vente n’a été annoncée à l’occasion du salon de Farnborough. Dans ce secteur, Bombardier, avec des ventes de 5 milliards de dollars américains l’an dernier, occupe le deuxième rang des manufacturiers d’avions d’affaires, pas très loin derrière Gulfstream et largement en avance sur les Falcons de Dassault. (Embraer est un joueur minuscule dans ce marché…). La gamme d’avions d’affaires de Bombardier a été presqu’entièrement renouvelée, ou le sera bientôt. Son président, Éric Martel, qui reste en poste, peut se permettre de voir l’avenir avec optimisme.
Cette réorganisation envoie également le signal que les résultats financiers du deuxième trimestre de 2014, qui seront publiés le 31 juillet prochain, seront probablement mauvais. Au premier trimestre, l’utilisation des flux de trésorerie a été de 915 millions pour l’ensemble de la compagnie, dont 545 millions pour la division aéronautique à elle seule. Comme le montre le deuxième graphique, tiré d’une présentation de Bombardier aux analystes financiers, la situation s’est détériorée considérablement depuis l’an dernier. Cette situation n’est pas due uniquement aux retards du CSeries; la principale raison est la mévente de tous les avions commerciaux de Bombardier. Lorsqu’un client achète un avion, il doit verser une avance dès la signature du contrat et ces avances de quelques millions de dollars contribuent à améliorer les liquidités de l’entreprise. L’effondrement presque complet du marché des avions régionaux, aussi bien les CRJ que les Q400, a fortement contribué à la détérioration des liquidités de Bombardier. Pire encore, la division Transport a connu elle aussi des difficultés qui l’ont empêchée d’épauler la division Aéronautique.
Demain les Chinois?
Après la restructuration, qui s’étalera sur plusieurs mois, Bombardier sera constitué de quatre divisions semblables sur le plan juridique et organisationnel. En plus de l’actuelle division Bombardier Transport, les nouvelles divisions seront Bombardier Avions d’affaires, Bombardier Avions commerciaux ainsi que Bombardier Aérostructures et Services d’ingénierie. Même la gestion financière de ces divisions est autonome et ce n’est que lorsqu’il faut procéder à des emprunts ou à des émissions de titres que Pierre Alary, vice-président principal et chef de la direction financière du groupe, prend les choses en main. La réorganisation va donc supprimer un palier administratif et une partie des 1 800 suppressions de postes proviendra de cette simplification.
Chaque division de Bombardier est organisée comme une entreprise indépendante, avec ses usines, ses bureaux et son administration propre. Il y aura donc beaucoup de déménagements dans les mois qui viennent. Bombardier Avions d’affaires s’installera vraisemblablement à Ville Saint-Laurent où sont déjà situés ses bureaux et ses usines. Les installations de Mirabel qui fabriquent les CRJ et où l’on développe le CSeries accueilleront vraisemblablement le siège social de Bombardier Avions commerciaux. La nouvelle usine qui abritera les chaînes d’assemblage du CSeries comporte d’ailleurs un étage de bureaux où il sera possible d’installer le personnel additionnel. Il faudra voir ce qui adviendra de l’usine de Toronto où sont assemblés les avions d’affaires Global et les Q400. Va-t-on déménager les Q400 à Mirabel dans l’usine des CRJ? On pourrait en profiter pour augmenter le rythme de production des Global pour lesquels les délais de production sont très longs. Bombardier Aérostructures et Services d’ingénierie sera vraisemblablement basé à Ville Saint-Laurent, à proximité du centre de recherches de Bombardier Aéronautique et des usines qui fabriquent des pièces en composite pour le CSeries.
Cette simplification ouvre également d’autres portes qui pourraient mener à une transformation beaucoup plus radicale de l’entreprise. Il devient beaucoup plus facile de vendre une division dont on veut se départir… Il est certainement trop tôt pour conclure, comme le font de nombreux analystes, que les Chinois sont sur le point d’acheter la nouvelle division des avions commerciaux. Il est toutefois certain qu’une telle transaction pourrait maintenant se réaliser plus facilement et plus rapidement. Est-ce que ce serait une catastrophe? Pour la fierté nationale et pour l’orgueil de la famille Bombardier, oui sans doute. Pour l’emploi dans les régions de Montréal et de Toronto, pas nécessairement. L’exemple de la compagnie suédoise Volvo AB qui a été rachetée en 2010 par la compagnie chinoise Zhejiang Geely montre que les Chinois ne sont pas tous des vampires qui s’empressent uniquement de vider leurs acquisitions de leurs technologies. Geely a réinvesti massivement dans Volvo, ce que Ford, le précédent propriétaire, n’a jamais voulu faire, et Volvo a retrouvé le chemin de la croissance en plus de pénétrer le marché chinois.
Une des nouveautés intrigantes de cette réorganisation, c’est la création de la division Bombardier Aérostructures et Services d’ingénierie qui va sans doute récupérer les usines de Belfast, qui fabriquent les ailes du CSeries et du Lear 85, l’usine de Queretaro, qui produit le fuselage du Lear 85, ainsi que les usines de St-Laurent, qui fabriquent des pièces comme le poste de pilotage et le fuselage arrière des CSeries. La nouveauté est que cette division va pouvoir commercialiser plus facilement ses services auprès des autres avionneurs, comme Airbus qui est déjà un client de Bombardier. La chose pourrait même être facilitée par la vente de la division des avions commerciaux puisque Bombardier cesserait d’être un concurrent. Bombardier Aérostructures et Services d’ingénierie pourrait peut-être devenir un Spirit canadien. C’est moins glorieux que d’être le troisième manufacturier d’avions civils au monde, mais ce pourrait être plus payant.
Daniel Bordeleau
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
Commentaires