Dassault Aviation se retire pour le remplacement des F-18 des Forces armées canadiennes mais pas les français.
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Le 6 novembre 2018, la Presse Canadienne et Reuters nous apprenaient que le constructeur aéronautique de Mérignac, en France renonçait à participer à l’appel d’offres visant au remplacement des 138 chasseurs bombardiers biplaces supersoniques McDonnell Douglas F-18 Hornet (98 F-18A monoplaces et 40 F-18B biplaces) de l’Aviation royale canadienne commandés en 1980 et livrés entre 1982 et 1988.
Cette étonnante décision survint un peu plus d’une semaine après la publication par le gouvernement fédéral des exigences de l’Aviation royale canadienne (ARC) ou en anglais Royal Canadian Air Force (RCAF) pour ce nouvel avion de chasse, et d’une ébauche de mécanisme qui doit mener au choix du modèle et de son fabricant, au début des années 2020.
L’appel d’offre (RFP Request for Proposal) portera sur l’acquisition de 88 avions de combat d’un montant de 16 milliards de dollars canadiens ou 12,2 milliards de dollars américains et requerra le dépôt des soumissions pour le mois de mai 2019 avec comme objectif des premières livraisons en 2025.
Avec le retrait de Dassault Aviation, quatre avions de combat devraient se retrouver en lice pour le remplacement des F-18 de l’Aviation royale canadienne :
Le LockheedMartin F-35A Lightning II, le seul avion de combat avec le F-22 Raptor de cinquième génération dont le premier vol remonte au 15 décembre 2006 et l’entrée en service au 2 août 2016 au sein de l’US Air Force. Le chasseur bombardier furtif avait la faveur du gouvernement fédéral canadien précédent, celui du Conservateur Stephen Harper.
Le Boeing F-18E/F Super Hornet, un avion totalement diffèrent du F-18A/B/C/D dont le vol inaugural remontait au 29 novembre 1995 et l’entrée en service en 1999 au sein de l’US Navy
L’Eurofighter Typhoon dont le premier vol eutlieu le 27 mars 1994 et l’entrée en service en août 2004. Fondé en 1986, le consortium Eurofighter réunit la franco-germano-espagnole Airbus Defence and Space avec 46%, la britannique BAE Systems avec 33% et l’italienne Leonardo (anciennement Finmeccanica) avec 21%. Le Typhoon est représenté au Canada par Airbus.
Le Saab JAS39E/F Gripen qui s’est envolé pour la première fois le 9 décembre 1988 et est entré en service en juin 1996.
Mais pour moi, la décision de Dassault Aviation de ne pas proposer son chasseur-bombardier Rafale dans le cadre de la compétition visant au remplacement des McDonnell Douglas F-18A/B Hornet de l’Aviation royale canadienne (ARC-RCAF) n’est pas vraiment étonnante. Le Canada a une longue tradition d’achats d’avions de combat américains avec les North American F-86 Sabre en 1950, les McDonnell F2H Banshee en 1955, puis les Lockheed F-104 Starfighter en 1961, les McDonnell F-101 VooDoo en 1963 et les F-18 en 1982. Mais aussi il faut tenir compte de la proximité entre les militaires américains et canadiens et les problèmes de partage d’information et de données avec les États-Unis en cas d’un choix d’un système de combat non-américain. Mais le retrait ne signifie pas malheureusement pour autant que la France et l’Europe lâchent prise.
Pour ma part, je suis peu surpris du retrait de l’avionneur de Mérignac car depuis au moins le printemps dernier, Dassault Aviation s’est faite très discrète au Canada contrairement à une autre. En 2017, lors du Salon du Bourget contrairement à l’édition 2015, Dassault Aviation n’organisa pas pour la presse canadienne un briefing sur le Rafale. L’absence de Dassault Aviation fut encore plus flagrante lors du salon annuel canadien de la défense qu’est CANSEC tenu au mois de mai 2018, au Centre EY, aux abords de l’aéroport international d’Ottawa (YOW). Lors d’éditions précédentes, les membres de l’équipe Rafale, constituée de Dassault Aviation, de Thales et de MBDA, étaient omni présents et leur offre bien visible.
Mais ce retrait de Dassault Aviation qui, il fait le dire n’avait aucune chance de placer son Rafale, fait partie à mon avis d’une stratégie de conquête française bien plus large et calculée.
Il faut en tout premier lieu comprendre le système français. L’industrie aérospatiale française est un tout où les hommes et les femmes sont issus du même sérail, ont fréquenté les mêmes écoles, se sont côtoyés, ont travaillé ensemble alors qu’ils occupaient des postes au sein des officines de l’État, du gouvernement, des forces armées, des centres de recherche et naturellement de l’industrie. Le tout est orchestré au plus haut niveau : de l’Élysée, siège du Président, de Matignon, celui du Premier ministre, du Quai d’Orsay, siège du Ministère des affaires étrangères et de l’Hôtel de Brienne, siège du Ministère de la défense. Tous ses hommes et ses femmes travaillent dans la même direction.
Donc le retrait de Dassault Aviation laisse la place entière à Airbus dont le chiffre d’affaires est presque 14 plus grand que celui de Dassault Aviation : 4,8 milliards d’Euros (5,57 milliards de dollars américains) contre 67 milliards en 2017 (76,15 milliards de dollars américains).
Mais il ne faut pas être dupe, car Dassault ne disparaitra pas pour autant. Pendant longtemps la question se posa sur l’avenir de Dassault Aviation sur le marché de la construction d’avions de combat face aux ambitions d’Airbus Military Aircraft et de l’Allemagne avec son Eurofighter Typhoon.
Les inquiétudes au sujet du futur de Dassault Aviation sont maintenant du passé. Dassault Aviation et Airbus sont maintenant intimement liés dans le projet d’avion de combat du futur que Macron a su imposer à la chancelière fédérale de l’Allemagne, Angela Merkel ,alors que la Luftwaffe fleuretait avec l’idée d’acquérir le Lockheed Martin F-35 Lightning II pour remplacer ses chasseurs bombardiers à capacité nucléaire Panavia Tornado, rendus à bout de souffle. Fruit de la mise en commun des ressources de British Aircraft Corporation (BAC), de MBB et d’Aeritalia, le Tornado construit à 992 exemplaires effectua son vol inaugural en 1974 et entra en service en 1979. Le 14 juillet 2017, le jour même où Emmanuel Macron recevait en grandes pompes le président des États-Unis, Donald Trump, pour assister sur les Champs-Élysées au défilé militaire du 14 juillet, le président français persuadait Angela Merkel d’embarquer dans le projet d’Airbus et de Dassault Aviation d’avion de combat futur, un avion de papier, au détriment du LockheedMartin F-35A Lightning II, déjà opérationnel depuis juillet au sein de l’US Marine Corps.
Mais par son sauvetage, en septembre 2017, du programme C Series de Bombardier pris dans la tourmente suite aux différents avec Boeing mais surtout à cause de l’obstination de la direction de Bombardier de se lancer sur le marché d’Airbus et de Boeing et un carnet de commandes famélique, l’avionneur européen est maintenant en territoire conquis au Canada ou presque.
L’élection des Libéraux de Justin Trudeau y est pour quelque chose. Le gouvernement Trudeau, alors désespéré, aurait cédé aux demandes d’Airbus qui lorgne à mon avis, de toute évidence, les importants contrats de l’Aviation royale canadienne. Côté aviation commerciale, Airbus eut son heure de gloire au Canada pendant une vingtaine d’années alors qu’au milieu des années 1980, les transporteurs aériens Canadian International puis Air Canada, sous la férule de Pierre Jeanniot, à la grande surprise de tous, abandonnèrent Boeing et McDonnell Douglas pour opter massivement en faveur d’Airbus. Mais les choses ont heureusement changé car même si Air Transat est vendue aux produits Airbus et son choix récent de l’A321neoLR en témoigne bien, WestJest est depuis sa fondation fidèle au monocouloir Boeing 737 et a opté pour le 787 pour ses premiers bicouloirs et qu’Air Canada est revenu chez le constructeur de Seattle après vingt ans chez Airbus en portant son dévolu successivement sur le Boeing 777 puis le 787 et plus récemment le 737MAX.
Coté aviation militaire, Airbus avait déjà jeté son dévolu sur le Canada, il y a déjà plusieurs années. En mai 2015, dans une entrevue avec Simon Jacques, président d’Airbus Defense & Space, Canada, lors du Salon Cansec 2015, la table était mise. Airbus avait de grandes visées au Canada : fournir au Canada son futur aéronef de recherche et de sauvetage (ARSVF-Projet de remplacement d’aéronefs de recherche et de sauvetage à voilure fixe ou FWSAR-Fixed-Wing Search and Rescue Aircraft Replacement Project), le futur chasseur bombardier de la RCAF en remplacement des McDonnell Douglas F-18 Hornet, celui des ravitailleurs en vol Airbus CC-150 Polaris, celui des avions de patrouille maritime Lockheed CP-140 Aurora (P-3 Orion), de satellites de communications militaires (MilSatCom) ainsi que le remplacement des Radarsat.
Les Libéraux de Justin Trudeau, une fois au pouvoir, au pouvoir, Airbus allait savourer sa première victoire par l’octroi, contre toute attente, dès le 1erdécembre 2016, à son C295, du contrat ARSVF-FWSAR. Il faut dire que j’avais commencé, dès 2005, à couvrir ce programme visant au remplacement des vieux De Havilland Canada CC-108 Caribou dont le favori était le biturbopropulsé Leonardo (anciennement Alenia) C-27J.
Airbus n’y va pas avec le dos de la cuillère. Depuis l’annonce du Love-In Airbus Bombardier en septembre 2017, Airbus est partout, ses représentants sont invités partout : Forum innovation aérospatiale 2018 d’Aéro Montréal, CANSEC 2018, Colloque sur la défense d’Aéro Montréal, le Sommet de l’aérospatiale canadienne de l’AIAC. La présence d’Airbus ne se limite pas aux stands mais aussi aux présentations quand ses responsables ne sont pas les orateurs d’honneur. Sans oublier, les points de presse et les visites d’officines de l’état dont la rencontre du futur patron d’Airbus, Guillaume Fleury, et du nouveau ministre de l’Économie du Québec, Patrick Fitzgibbon, en octobre dernier.
Même si le choix du futur chasseur de la RCAF devrait se porter tout logiquement sur le F-35A, Airbus entretient de très grands espoirs quant au renouvellement des tankers face au Boeing KC-46A Pegasus et des avions de patrouille maritime face au Boeing P-8A Poseidon et des satellites de communications militaires face à ceux de Boeing et de LockheedMartin.
L’annonce, le 4 décembre 2018, d’une alliance entre LockheedMartin et Airbus avec pour objectif la promotion du ravitailleur en vol Airbus A330MRTT, aidera certainement la cause d’Airbus au Canada, l’avionneur américain offrant le F-35 et le constructeur aéronautique européen Airbus, l’A330MRTT.
Néanmoins, un retour au pouvoir à Ottawa d’un gouvernement Conservateur suite aux élections d’octobre 2019 changerait heureusement la donne.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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