Un communiqué de presse émis par Bombardier en fin d’après-midi nous apprend que des négociations sont en cours avec la compagnie Republic Airways Holding. Bombardier a dépêché à Indianapolis, où se trouve le siège social de la compagnie, un de ses CSeries d’essais. La photo qui accompagne le communiqué montre qu’il s’agit du FTV4, qu’on voit stationné devant un hangar de Republic. Le communiqué de Bombardier promet que plus de détails seront rendus publics demain.
Il s’agit d’un développement majeur puisque Republic Airways est le plus important client du CSeries… et un des plus problématiques. Le 25 février 2010, la compagnie d’Indianapolis s’est engagée de façon ferme à acheter 40 monocouloirs CS300 et elle a pris des options d’achat sur 40 autres appareils. Rappelons toutefois que le 26 septembre dernier, la compagnie Macquarie AirFinance a également signé une entente d’achat ferme pour 40 avions auxquels s’ajoute 10 options d’achats. Le problème avec la commande de Republic, c’est que la compagnie affirmait récemment ne plus avoir besoin du CSeries.
En mai dernier, le président et chef de la direction de Republic Airways, monsieur Bryan Bedford, qui a négocié l’entente de 2010, affirmait au magazine Flightglobal qu’aucune décision ne serait prise au sujet de la commande passée par sa compagnie avant deux ans. Du même souffle, il a précisé que « nous ne parlons pas d’annuler la commande », mais comme la première livraison ne se fera pas avant la deuxième moitié de 2016, une décision sur l’usage qu’on fera de ces avions n’est pas urgente. Monsieur Bedford a précisé par la suite que le CSeries n’avait plus sa place dans le plan de développement de sa compagnie. Le président de Republic, en affirmant qu’il n’est pas question d’annuler la commande de CSeries, indique clairement son intention de revendre ces avions en réalisant un profit, et ce bénéfice pourrait même être substantiel car M. Bedford a très certainement négocié un excellent prix d’achat. Les CS300 commandés par Republic étaient initialement destinés à sa filiale Frontier Airlines, qui a été revendue en décembre dernier après avoir enregistré des pertes importantes. Republic Airways, ses filiales et ses compagnies associées exploitent une flotte composée d’Airbus A318, 319 et 320, d’Embraer ERJ 135, 140 et 145, d’EMB 170, 175 et 190 ainsi que de Bombardier Q 400.
Une transaction hautement confidentielle
Le prix de vente des avions de ligne continue d’être un secret aussi bien gardé que celui portant sur les finances du Vatican. Dans le cas du CS300, on connaît son prix officiel, 72 millions de dollars américains. En 2010, le prix officiel du CS300 était toutefois de 76 millions, selon le communiqué émis à l’époque par Bombardier aéronautique. Sauf que personne ne paie ce prix officiel, des escomptes étant offerts à tous les clients qui achètent plus d’un avion. Le montant de ces escomptes est ultra secret et il varie en fonction du nombre d’avions achetés et du moment de l’acquisition. Les premiers acheteurs d’un nouvel avion bénéficient d’un bien meilleur prix que les derniers et les prix sont meilleurs lorsque la concurrence est forte comme ce fut le cas ces dernières années pour les avions de ligne monocouloirs. Plusieurs analystes estiment que ces escomptes avoisinent les 20% à 30 %; certains ont même affirmé qu’ils pouvaient grimper à plus de 40% dans le cas des très grosses commandes ou durant les périodes de guerre de prix.
En 2010, Bryan Bedford disposait de trois excellents arguments pour faire baisser le prix de ses CS300 : Depuis son lancement en 2008, le CSeries n’avait accumulé que 50 commandes fermes; Republic n’était que le 4e client du nouvel avion et le premier en Amérique du Nord; la guerre de prix avec Airbus n’avait pas encore officiellement débuté, mais il était de notoriété publique que cet avionneur était sur le point de lancer la version Neo de son A320. Dans ce contexte on peut présumer que M. Bedford a obtenu un escompte avoisinant ou dépassant les 40%, ce qui se traduirait par un prix d’environ 45 millions de dollars américains par avion. Aujourd’hui, en supposant que les escomptes ne soient plus que de 25 %, le prix du CS300 serait de 54 millions, une différence de 9 millions à partager entre Republic et un éventuel acquéreur. Il reste encore une question sans réponse : combien d’avions Republic peut-elle vendre de cette façon? Les 40 avions qui font l’objet d’une commande ferme ne font aucun doute, mais qu’en est-il des 40 options? Le prix négocié pour la commande ferme s’applique-t-il également aux 40 options? En juillet dernier, le porte-parole de Bombardier avions commerciaux, Marc Duchêne, a refusé de répondre à cette question se bornant à dire « nous ne dévoilons pas le détail des transactions ». Monsieur Bedford peut donc vendre 40 CSeries à rabais et peut-être même 80.
Un problème grave pour Bombardier
Cette situation pose un gros problème à Bombardier par ce que ces CSeries ont probablement été vendus à perte. La meilleure solution serait évidemment de convaincre Brian Bedford qu’il se trompe et que les CSeries peuvent s’intégrer à ses projets d’expansion. C’est certainement ce que tente présentement Bombardier en envoyant un de ses précieux avions d’essais à Indianapolis. Quelles concession additionnelles Bombardier devra-elle faire pour atteindre ce but va certainement demeurer un secret très bien gardé pendant très longtemps. En cas d’échec des négociations en cours, Bombardier aura un très gros problème sur les bras. Les CS300 de Republic seront inévitablement bradés à des prix plancher et c’est autant de commandes, qui auraient pu être profitables, qui échapperont à Bombardier. Pour éviter cette situation, la solution la plus évidente serait de racheter ce contrat à Republic, et de déduire 40 commandes fermes et 40 options de son carnet de commandes; une pilule très pénible à avaler…
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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