MONTRÉAL – Bombardier a maintenant mené à bien le plan de refinancement annoncé en février dernier. Fort de ces 3,118 milliards de dollars américains, le nouveau président, Alain Bellemare, et le nouveau président du conseil d’administration, Pierre Beaudoin, peuvent maintenant s’attaquer à d’autres problèmes, et ceux-ci ne manquent pas.
Une dette refinancée
Bombardier, le 13 mars dernier, a procédé à deux émissions de billets de premier rang d’un montant total de 2,25 milliards de dollars américains. Le produit de ces émissions s’ajoute à celui de l’émission d’actions de catégorie B qui rapportera 868 millions de dollars américains une fois autorisée par l’assemblée générale des actionnaires, le 27 mars prochain.
Le refinancement est constitué de deux émissions de billets de premier rang. Un premier lot de ces billets, d’une valeur de 750 millions, viendra à échéance en septembre 2018 et porte un taux d’intérêt de 5,50 %. Le reste, d’une valeur de 1,5 milliard, viendra à échéance en mars 2025 et porte un taux d’intérêt de 7,50 %.
Ces taux sont beaucoup plus élevés que celui des billets qu’ils remplacent qui n’était que de 4,25% et qui arriveront à échéance en 2016. C’est probablement convenable pour une compagnie qui fait face à plusieurs inconnues, comme le montant des ventes futures du CSeries et l’émergence d’une concurrence accrue dans le secteur du transport ferroviaire.
Hitachi débarque en Europe
La priorité d’Alain Bellemare n’est pas le CSeries. La certification des deux appareils semble progresser normalement et l’entrée en service du CS 100 est proche. Fin de 2015 ou début de 2016, peu importe. La véritable priorité, c’est la réorganisation qui s’opère actuellement dans le secteur du transport ferroviaire. N’oublions pas que la moitié des revenus de Bombardier proviennent de ce secteur. L’an dernier, les ventes dans ce secteur ont atteint 9,6 milliards de dollars américains.
En Europe et en Asie, le mouvement de concentration s’accélère chez les manufacturiers de matériel de transport ferroviaire. Le mouvement a d’abord été lancé par la compagnie allemande Siemens, qui s’est portée acquéreur de la compagnie de signalisation ferroviaire Invensys Plc en 2012. L’an dernier la compagnie chinoise CSR a fait l’acquisition de son concurrent CNR pour devenir le plus grand fabricant mondial de matériel ferroviaire, avec des ventes de quelque 26 milliards de dollars américains.
L’an dernier la compagnie française Alstom a accepté de vendre ses activités dans le secteur l’énergie à GE et elle procédera prochainement à l’achat des activités de signalisation ferroviaire de cette dernière. Alstom vend 70% de ses activités au géant américain afin de se recentrer sur le développement de ses activités manufacturières dans le secteur du transport par rail.
Finalement la compagnie japonaise Hitachi vient de faire l’acquisition de la compagnie de signalisation italienne Ansaldo STS et du manufacturier d’équipement ferroviaire AnsaldoBreda. Le montant de la transaction avoisinera les 2 milliards de dollars américains lorsque toutes les actions en circulation auront été rachetées. Rappelons qu’Hitachi fabrique une partie des trains à grande vitesse Shinkansen au Japon depuis 1964. Ajoutons également qu’Hitachi vient d’installer le siège social mondial de ses activités ferroviaires à Londres en plus d’obtenir quelques beaux contrats en Grande-Bretagne et d’y ouvrir une usine d’assemblage.
Le marché européen du transport ferroviaire est sans doute le plus lucratif au monde, mais il ne supportera pas quatre gros joueurs locaux plus un dragon chinois. Que peut faire Bombardier ? Des acquisitions ? Il est déjà très tard, les entreprises intéressantes ont déjà été acquises, et Bombardier n’en n’a pas les moyens de toute façon.
Des partenariats ? On se demande bien lesquels sont encore possible. Il resterait bien un partenariat avec CSR, avec qui bombardier possède déjà deux co-entreprises en Chine, mais les autorités européennes risquent d’y opposer leur veto. Un tel partenariat serait vraisemblablement considéré comme une menace à une saine concurrence. Il reste encore une possibilité : vendre Bombardier Transport à un de ses concurrents.
Recentrage sur l’aérospatial
La vente de Bombardier Transport représenterait un profit de plusieurs milliards de dollars, ce qui permettrait de recentrer les activités de la compagnie dans le secteur aéronautique et de réduire le niveau d’endettement; 1,5 milliard emprunté à 7,5 % ne constitue certainement pas une aubaine.
Dans le secteur aéronautique les priorités sont nombreuses. Que doit-on faire de Learjet ? Faut-il relancer la mise au point du Lear 85, ou, plus radicalement, mettre la compagnie en vente ? Alain Bellemare affirmait récemment au magazine Flight International qu’il n’avait pas encore eu le temps de réfléchir suffisamment à l’avenir de Learjet. Ce qui semble certain, par contre, c’est que toutes les options sont sur la table; les rumeurs inquiétantes se multiplient d’ailleurs à Wichita, où la compagnie est installée. Et si Learjet devait être vendue, qu’adviendrait-il du centre d’essais en vol qui y est installé et qui joue un rôle important dans la certification du CSeries ?
D’autre part, des décisions quant à l’avenir des avions régionaux doivent être prises. Faut-il moderniser les CRJ 700, 900 et 1000 ou laisser le champ libre à Embraer et à Mitsubishi ? Il serait sans doute possible, comme pour les nouveaux avions d’affaires Global 7000 et 8000, de transposer dans les avions régionaux les technologies mises au point pour le CSeries. Bombardier pourrait peut-être utiliser une version plus puissante du moteur Passport développé par GE pour les nouveaux avions Global afin de remplacer les vieux CF34 des CRJ.
Bombardier pourrait également relancer sa politique d’acquisition. Rappelez-vous que la croissance de Bombardier est le produit d’une série de grandes acquisitions : Canadair, Short Brothers, Learjet, Adtranz et pourquoi pas, bientôt, Sikorsky ?
Pourquoi pas Sikorsky ?
Il y a plusieurs années, alors qu’il était président de la Division aéronautique, Pierre Beaudoin m’expliquait qu’un des problèmes de Bombardier était de ne pas avoir développé un secteur militaire fort, faute d’appui de la part du gouvernement fédéral. Boeing, Airbus et Embraer ont tous des secteurs militaires importants, qui vivent grâce aux largesses de leurs gouvernements.
Les activités militaires sont plus profitables et elles permettent de faire payer aux clients gouvernementaux les coûts de développement des nouvelles technologies, par la suite transposées dans les produits civils. Le meilleur exemple est celui des commandes de vol électriques, utilisées depuis longtemps dans le secteur militaire. Boeing, Airbus et Dassault ont fait migrer cette technologie dans leurs produits civils sans aucun problème alors que ce fut un cauchemar pour Bombardier et pour Embraer.
Pour ceux qui trouvent que Sikorsky est une trop grosse bouchée, rappelons que l’an dernier, Bombardier Transport a enregistré des ventes de            9,6 milliards de dollar américains, alors que Sikorsky, une filiale d’UTC, enregistrait des revenus de 7,5 milliards.
Bombardier possède deux atouts puissants dans sa manche. Alain Bellemare, le nouveau président et chef de la direction de Bombardier, était précédemment président d’UTC Propulsion & Aerospace Systems. Le gène des acquisitions fait partie de son ADN, ce qui lui a permis de mener à bien celle de Goodrich, une des plus grosses transactions de l’histoire financière américaine. Deuxième atout, Lutz Bertling, le président de Bombardier Transport, précédemment président et chef de la direction du Groupe Eurocoptère, maintenant Airbus Hélicoptères, a fait doubler le chiffre d’affaires de l’entreprise au cours de son mandat.
Bombardier a réussi à développer un petit secteur militaire. Le Dash 8 et le CL 415 ont été convertis en avions de patrouille maritime; le Global 5000 sert de plateforme pour les avions de surveillance britannique Astor et pour l’ELI-3360 développé actuellement par Israel Aerospace Industrie; le Chalenger 605 a été choisi par Boeing comme plateforme pour son nouvel avion de surveillance maritime. Malgré ces petites percées, Bombardier demeure un joueur mineur dans le secteur militaire.
Devenir un manufacturier d’équipement militaire important sans aide gouvernementale est très difficile. L’achat de Sikorsky permettrait cependant à Bombardier d’entrer dans ce secteur par la grande porte.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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