MONTRÉAL –  Nombre de mots : 974 – Temps de lecture : 6 minutes.
Moins de 72 heures après la grande mise en scène de la grande conférence de presse à l’hôtel Reine Elizabeth de Montréal réunissant Alain Bellemare, pdg de Bombardier, Dominique Anglade, ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation du Québec et Romain Trapp, d’Airbus Helicopters Canada puis des retrouvailles émouvantes d’Alain Bellemare et de Tom Enders, pdg d’Airbus, sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Blagnac devant un A320 et un CSeries, et à quelques heures de la visite triomphale du patron d’Airbus à Montréal, nombreux sont ceux qui réalisent la vraie nature de cette noce transatlantique.
Ils ne sont nullement dupes en réalisant qu’il s’agit là purement et simplement du don du programme CSeries au constructeur européen Airbus ou, en d’autres mots, d’une prise de contrôle, à coût zéro, par l’avionneur subventionné européen du programme CSeries financé par les contribuables québécois.
Par cet accord, Airbus Industrie obtient 50,01% de CSeries Aircraft Limited Partnership (CSALP) sans avoir à débourser un sou. Jusqu’à présent, le programme CSeries a été exploité par la Société en commandite CSeries (SCACS) dont le capital est détenu par Bombardier et Investissements Québec à hauteur d’environ 62 % et 38 % respectivement.
De plus, l’avionneur européen se voit attribuer quatre des sept sièges du conseil d’administration de la nouvelle entité, laissant deux à Bombardier et un à Investissements Québec et, de surcroît, nommera le président du Conseil.
De plus, Airbus ne prend aucun risque dans la transaction.
Mieux encore. Si les choses se déroulaient bien Airbus pourra décider de racheter les parts du gouvernement du Québec et d’Investissements Québec et ainsi prendre le contrôle complet du programme CSeries. Mais si les choses tournent autrement, le consortium européen ne versera pas un sou et pourra se retirer de l’aventure à sa guise. Une transaction Win – Win pour Airbus, seulement.
Certes, il faut quand même reconnaître que si les choses vont bien, le gouvernement du Québec réalisera un profit sur la revente de sa participation. Une faible consolation pour un programme qui faisait la fierté d’un peuple. Mais c’est cela la politique des Libéraux provinciaux du premier ministre Philippe Couillard à un an des prochaines élections.
Mais rien n’est gratuit dans ce bas monde.
Bombardier s’engage même à investir dans les prochaines années en lieu et place d’Airbus. Fait le faire!
Certes, sans le soutien des équipes de ventes d’Airbus, le programme CSeries n’allait nulle part alors que les deux dernières importantes commandes remontent, quand même, à plus d’un an : celles de Delta Air Lines et d’Air Canada. Rappelons qu’il s’est agi dans les deux cas de ventes de feu, les prix accordés ayant été si bas.
De plus, l’avenir de la gamme CSeries et même de celle de la division Bombardier, Avions commerciaux se retrouveront désormais à la merci de la direction d’Airbus.
Airbus n’aura aucun intérêt à développer vers le haut la gamme CSeries avec des éventuels CS500 et CS700 qui empièteraient de toute évidence sur sa gamme A320. De plus, il y a des limites à rallonger un jet commercial à 5 sièges de face comme le CSeries. Avez-vous déjà volé dans un CRJ900 ou CRJ1000? On croirait que la dernière rangée n’arrivera jamais.
Quant au reste des modèles de la gamme des avions commerciaux de Bombardier, quel avantage Airbus peut-il y trouver à la pérenniser ? À la rigueur, le biturbopropulsé de transport régional Q400 pourrait être intégré à la gamme ATR dont Airbus possède 50%, l’autre 50% étant aux mains de l’italienne Finmeccanica. Si l’assemblage du Q400 est toujours réalisé aux ateliers de Bombardier à Downsview en banlieue de Toronto, son fuselage, ses ailes et son empennage ne sont plus produits au Canada.
Pour ce qui est des bi réactés de transport régional CRJ700/900/1000, assemblés à Mirabel au nord de Montréal, des déclinaisons rallongées du CRJ200, lancés à la fin des années 1980 et propulsés par des moteurs General Electric CF34 d’une technologie toute aussi ancienne, semblent loin des préoccupations de l’avionneur européen. À plus forte raison, alors qu’entrera en service en 2018, l’E-Jets-E2 d’Embraer, version remotorisée avec des Pratt & Whitney Pure Power des E-Jets.
Alors hormis la chance de mettre la main sur un programme concurrent et d’en avoir les destinées dans ses mains, l’autre objectif d’Airbus dans cette transaction transatlantique est d’obtenir les bonnes grâces d’Ottawa dans l’octroi des importants contrats militaires à venir.
Pour Airbus, la manne est les remplacements prochains par l’Aviation royale canadienne
Des Airbus CC-150 Polaris
Des Lockheed CP-140 Aurora (P-3 Orion)
Des satellites de communication et de Radarsat.
Surtout que l’avionneur américain Boeing offrira certainement respectivement le KC-46A Pegasus et le P-8 Poseidon.
Heureusement, il restera à Bombardier et au Québec, la division Avions d’affaires, la vache à lait de l’entreprise, qui d’ailleurs, aurait besoin de sang neuf, les Challenger 650 datant du début des années 1980 et les Global 5000 et Global 6000, du début des années 1990.
Au lieu de tenter d’affronter Boeing et Airbus sur le marché du plus de cent places, Bombardier aurait bien mieux fait de se concentrer là où il savait faire : les jets d’affaires et les avions de transport régional. Il aurait été plus judicieux d’investir dans le renouvellement des Challenger 650 et des CRJ que de lancer le CSeries maintenu en vie par une importante injection de fonds publics avant d’en faire don à Airbus.
Si vendredi matin, dès 7h30, devant l’audience de la Chambre de commerce du Montréal Métropolitain et le gratin des mondes politique et aéronautiques locaux, Alain Bellemare présentera Tom Enders comme le Chevalier blanc, dans quelques années, il s’avérera, peut-être le fossoyeur de la division Avions commerciaux de Bombardier.
Le chiffre des ventes du CSeries dans les années à venir en décidera.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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