La stratégie de commercialisation de Bombardier vient de prendre un virage important. Le discours vient de changer pour la première fois depuis le lancement officiel du CSeries, le 13 juillet 2008, durant le salon de Farnborough. Cette nouvelle stratégie a été énoncée par le président de Bombardier Avions Commerciaux, monsieur Fred Cromer, à l’occasion d’une entrevue accordée récemment au Wall Street Journal. M. Cromer et son équipe testeront cette nouvelle approche auprès des acheteurs lors du prochain salon du Bourget, ce mois-ci à Paris.
Une stratégie constante
Depuis le lancement du CSeries, le discours officiel de Bombardier a peu varié. La compagnie souhaitait occuper une petite niche négligée par les grands joueurs que sont Boeing et Airbus, celle des avions pouvant transporter de 100 à 150 passagers. Ce marché, selon les études de Bombardier, aurait été suffisamment important pour assurer le succès commercial des CS100 et CS300. Bombardier jurait sur la tête de tous les dieux ne pas vouloir construire d’avions plus gros et, surtout, affirmait-elle, ne voulait pas concurrencer directement Boeing et Airbus.
Le reste de l’histoire est connu; ni Boeing, ni Airbus n’ont mordu à cet hameçon. Au contraire ils ont réagi brutalement en lançant rapidement des versions rajeunies de leurs monocouloirs, les A320neo et les 737 MAX, en plus de couper considérablement leurs prix. Avec 5280 commandes fermes et options pour l’Airbus A320neo et 3890 pour le Boeing 737 MAX, les deux géants ont atteint leurs buts. Le CSeries n’a enregistré que 603 commandes fermes et options et risque de demeurer un avion marginal et Bombardier se retrouve trop lourdement endetté pour pouvoir développer d’autres produits pouvant menacer l’hégémonie des deux grands.
Fred Cromer s’installe aux commandes
Fred Cromer, un ancien président d’International Lease Finance Corporation (ILFC), a atterri à la présidence de Bombardier Avions Commerciaux le 9 avril dernier. Dans sa première entrevue, accordée au Wall Street Journal, il a énoncé la possibilité que Bombardier développe un CSeries plus gros, nommé pour l’instant CS500. «We’re seeing opportunities where a next version of this plane can be more of a reality», déclarait-il au journaliste Jon Ostrower. C’est un virage important par rapport aux affirmations de ses prédécesseurs. (Voir Info Aéro Québec, http://infoaeroquebec.net/un-cs500-vite-ca-presse-par-daniel-bordeleau/)
Le lendemain de la publication de cette déclaration, le service des relations publiques de Bombardier s’est empressé de tenter de dégonfler le ballon. Cette déclaration serait «purement spéculative» et Bombardier n’aurait aucun projet de CSeries plus gros. La seule priorité serait de compléter les CS100 et 300. D’accord, mais Fred Cromer est quand même le nouveau président de la division. On peut supposer qu’au cours de son entrevue d’embauche, on lui a demandé d’expliquer comment il comptait s’y prendre pour relancer les ventes moribondes du CSeries; on peut également supposer que sa réponse a été jugée suffisamment adéquate pour qu’on retienne sa candidature.
La logique de M. Cromer est excellente. Les transporteurs aériens préfèrent acheter des familles d’avions. Les compagnies ont besoin d’appareils petits, moyens et gros selon les destinations et selon les jours. Elles ont également besoin que leurs pilotes, leurs mécaniciens et le personnel de bord puissent passer facilement du plus petit au plus gros des appareils. C’est ce qui explique en partie l’énorme succès des familles de monocouloirs d’Airbus et de Boeing. Une famille de trois avions qui peut couvrir tous les besoins d’un transporteur a beaucoup plus d’attrait qu’une famille de deux appareils, qui néglige la portion la plus importante du marché, les 150 à 180 places, en version régulière.
Un moment crucial pour Bombardier
La présentation en vol au Salon du Bourget du CS300 et la présence au sol du CS100 pourraient convaincre quelques acheteurs hésitants. Plus important encore sera la consultation que Fred Cromer et son équipe mèneront auprès des acheteurs potentiels. Y aurait-il un marché intéressant pour un éventuel CS500? Un troisième avion entraînerait-il une augmentation des ventes du CS100 et du CS300 dans son sillage?
Le projet de création du CS500 risque toutefois de déplaire à une partie des milieux financiers qui souhaitent que Bombardier coupe dans ses dépenses de recherche et développement de façon radicale et se concentre sur la vente de ses produits existants. Selon ces analystes, il faudrait plutôt compléter le travail qu’Alain Bellemare a commencé à faire de façon impitoyable : couper les dépenses de production et d’administration.
L’histoire nous dit toutefois que c’est bien mal connaître Alain Bellemare. Celui-ci, lorsqu’il était président de Pratt & Withney Canada, ainsi que dans les fonctions qu’il a occupées par la suite, s’est montré implacable dans sa gestion des dépenses de production et d’administration, mais il a toujours protégé les budgets de R&D lorsque ceux-ci pouvaient donner naissance à de nouveaux produits rentables. Si Fred Cromer peut prouver que le CS500 sera payant, Alain Bellemare trouvera un milliard ou deux de plus pour réaliser le projet, quoi qu’en pensent les analystes financiers.
Le salon du Bourget pourrait constituer un point tournant pour le CSeries et pour Bombardier Avions commerciaux. Pour l’instant le CS500 n’est qu’une intuition de Fred Cromer, mais si les acheteurs se montrent intéressés, un véritable projet de troisième avion CSeries pourrait voir le jour avant la fin de l’année.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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