La rumeur de la cession d’hélicoptériste Sikorsky de Stratford, au Connecticut, par le groupe UTC ressurgit cette semaine.
Le géant de Hartford, au Connecticut dont le chiffre d’affaires a atteint $65 milliards de dollars américains en 2014 regroupe dans le secteur aérospatial qui représente 55% du total de ses ventes, les moteurs de Pratt & Whitney, les hélicoptères Sikorsky et les équipements Hamilton Sundstrand et Goodrich chapeautés par UTC Aerospace Systems et dans le secteur de la construction qui s’accapare des 45% restants, les ascenseurs Otis et les systèmes de climatisation Carrier.
Ce n’est pas la première fois que cette rumeur refait surface mais elle prend cette fois-ci une toute autre couleur après le départ en novembre dernier du président de UTC, le québécois Louis Chênevert, en poste depuis 2008 et son remplacement par Gary Hayes, jusqu’alors directeur financier du groupe. De formation différente, le premier, diplômé de HEC Montréal en gestion de la production et le second, économiste et expert-comptable, ils ne partageaient pas la même vision quant à l’avenir de Sikorsky Aircraft qui a rejoint UTC en 1929.
Même si Sikorsky n’occupe que 7% du marché des hélicoptères civils en termes d’unités livrées en dépit de ses hélicoptères haut de gamme S-76D et S-92 derrière Airbus Helicopters (44%), Bell Helicopter (21%), AgustaWestland (16%).
L’hélicoptériste américain se retrouve par contre en pôle position sur le marché militaire avec 21% des livraisons suivi de Russian Helicopters (19%), Boeing (14%) et Airbus Helicopters (11%).
Sikorsky Aircraft reste le fournisseur numéro un du Pentagone. Seulement en 2014, l’U.S. Air Force lui a passé commande de 109 HH-60V Pave Hawk au coût de 8 milliards de dollars, l’US Marine Corps lui a octroyé le contrat de développement et de construction des futurs ‘Marine One’ avec son S-92, au montant de 3,2 milliards pour 23 machines et l’U.S. Army lui a remis 500 millions pour le développement du démonstrateur SB-1 Defiant avec Boeing dans le cadre du Joint Multi Role Technology Demonstrator visant le remplacement des H-60 Hawk et des AH-64 Apache.
En 2006, l’U.S. Marine Corps opta pour le CH-53K King Stallion pour le remplacement de ses CH-53E. Portant sur la construction de 156 machines, ce contrat pourrait s’élever à 18 milliards de dollars d’içi 2021. Israël, grand utilisateur du prédécesseur du CH-53K, attendrait la mise en vol de l’appareil avant d’en passer commande.
Si le H-60 Hawk a fait la prospérité de Sikorsky, cette source va se tarir alors que le Pentagone a amorcé le processus de remplacement de cet hélicoptère polyvalent en service au sein de l’US Army, de l’US Air Force, de l’US Navy, de l’US Marine Corps, de l’US Coast Guard et de l’US Customs Service.
L’avenir de Sikorsky sera déterminé par le Joint Multi-Role (JMR) Technology Demonstrator qui oppose son SB-1 Defiant au V-280 Valor de Bell Helicopter. À la coule, se retrouve un marché d’une valeur de plus de 100 milliards de dollars pour le remplacement des diverses versions du H-60 Hawk et de l’AH-64 Apache.
Lors des cinq dernières années, Sikorsky a remporté 18 des 42 milliards de dollars octroyés par le Pentagone pour des programmes d’hélicoptères. Boeing occupe le second rang avec 11,7 milliards par ses ventes de CH-47 Chinook et d’AH-64 Apache suivi de Bell/Boeing avec 11,6 milliards pour le V-22 puis de Bell Helicopter. Mais la part relative du cheval de bataille de Sikorsky, le H-60 Hawk décliné en version transport de troupes, transport sanitaire, transport VIP, recherche et sauvetage, infiltration et exfiltration, mission anti-sous-marine, a vu sa part du budget hélicoptères glisser de 45 à 35% entre 2010 et 2014.
L’hélicoptériste de Stratford évolue sur le marché militaire dont la croissance semble plombée par la réduction des budgets de la défense. En 2014, 52% de ses ventes provenaient du Pentagone et 20% des clients militaires internationaux, laissant 28% aux clients civils.
Même si 2004 à 2013, le secteur connut une croissance annuelle moyenne de 7,9% et un saut de 66% entre 2008 et 2012 le futur ne s’annonce pas aussi prometteur alors que le marché civil devrait progresser.
De plus le rendement de Sikorsky s’élèverait à seulement 6% en 2014 selon Capital Alpha Partners alors qu’il est de l’ordre de 15% pour les autres composantes d’UTC.
Avec des ventes de $7,5 milliards de dollars américains en 2014, Sikorsky Aircraft reste loin derrière Pratt &Whitney avec 14,5 milliards et UTCAS avec 14,2 milliards.
Néanmoins, séparée de UTC, Sikorsky figurerait au classement Fortune 500.
Pour des raisons fiscales et politiques, Sikorsky Aircraft sera vraisemblablement mise sur le marché boursier par UTC et deviendra ainsi une entreprise indépendante à l’image de Huntington Ingalls Shipbuilding après sa séparation de Northrop Grumman.
Mais qui pourrait s’intéresser à acquérir Sikorsky Aircraft ?
Les hélicoptéristes européens Airbus Helicopters et AgustaWestland pourraient être tentés par l’opération de manière à leur ouvrir toutes grandes les portes du Pentagone mais leurs ressources financières ne leur permettraient pas une telle acquisition.
La logique justifierait un réalignement des hélicoptéristes américains que cette cession de Sikorsky Aircraft rendrait réalisable. Nous nous souvenons de la malheureuse obstruction du Department of Justice au rachat des activités civiles de McDonnell Douglas Helicopters par Bell Helicopter en 1999. Le constructeur de Mesa tomba alors dans les mains d’une société hollandaise et changea de nom pour MD Helicopters avant sa reprise par Patriarch Partners de Lynn Tilton en 2005.
Un rachat des activités militaires de Sikorsky par Boeing accompagné de celui des activités civiles par Bell Helicopter serait judicieux. Ainsi le H-60 Hawk et le CH-53K renforceraient le pôle Military Rotorcraft de Boeing ayant déjà au catalogue le bi-rotor lourd CH-47 Chinook et les hélicoptères d’attaque AH-6 Little Bird et AH-64 Apache. Les bi-turbines de moyen gabarit haut de gamme civils S-76D et SuperMidsize S-92 rejoindraient la gamme de Bell Helicopter aux côtés des Bell 505, 206L, 407GTx, 429, 412EPI et 525.
Une telle réorganisation des hélicoptéristes américains serait souhaitable face à la concurrence croissante des deux mastodontes européens que sont Airbus Helicopters et AgustaWestland et bientôt, celle de Russian Helicopters.
Mais qui dit qu’une entreprise du secteur aérospatial non impliquée dans les voilures tournantes ne pourrait pas se manifester. Lockheed Martin s’est bien essayé au monde de l’hélicoptère dans les années 1960 avec l’AH-56 Cheyenne qui sera annulé en avril 1969 pour cause de non respect du cahier des charges avant d’y réussir depuis les années 1980 avec la navalisation des Sikorsky SH-60 et des Westland Merlin.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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