MONTRÉAL – Le 4 décembre dernier, la chaire Raoul-Dandurand, en collaboration avec l’OACI, tenait un important colloque international intitulé Voler en sécurité – Les défis de l’aviation civile au 21e siècle. Les invités y ont passé en revue les menaces qui pèsent sur le transport aérien des voyageurs et des marchandises et ont proposé certaines solutions.
Monsieur Raymond Benjamin, le secrétaire général de l’OACI, a ouvert le colloque. Rappelons que dans moins d’un an, son mandat à l’OACI se terminera; son successeur sera élu en mars prochain et il entrera officiellement en fonction en août. Monsieur Benjamin a d’abord rappelé les cinq objectifs de l’organisme qu’il dirige :
La plus grande difficulté provient du fait que ces objectifs doivent être atteints dans un contexte de croissance rapide du trafic aérien mondial. L’année dernière quelque 3,3 milliards de voyageurs ont utilisé l’avion et l’OACI prévoit que ce nombre va doubler d’ici 2030. M. Benjamin a rappelé que le transport aérien demeurait le moyen de transport qui cause le moins de décès sur terre, mais il affirme qu’il serait tout à fait inacceptable que la croissance du trafic aérien s’accompagne d’une augmentation correspondante du nombre de victimes. Il faut donc abaisser encore plus le taux d’accidents mortels attribuables à ce mode de transport.
Dans le cas de la navigation aérienne, les nouvelles technologies engendreront des bouleversements complets au cours des prochaines années. M. Benjamin affirme qu’il est évident que chacun d’entre nous a du mal à expliquer au public que nous avons perdu un avion, le Malaysia 370, et que nous ne l’avons toujours pas retrouvé; que l’on peut retrouver un véhicule à travers le monde entier grâce à un GPS mais qu’un avion c’est plus compliqué…. C’est pourquoi l’OACI va soumettre à ses membres un projet de surveillance mondiale des avions commerciaux lors d’une réunion de ses membres en février prochain.
La sûreté du transport aérien pose des défis plus complexes. Le système actuel repose sur un contrôle complet de tout ce qui monte à bord d’un avion : bagages de soute, bagages à main, souliers, ceintures, etc. Raymond Benjamin affirme qu’avec le double de passagers, ce genre de système, qui est extrêmement gourmand en termes d’espace dans les aéroports, ne pourra pas survivre. Nous ne pourrons pas avoir un système qui multiplie simplement par deux le nombre de passagers à traiter. Il faut donc développer un système basé sur les risques, qui fera appel à des technologies beaucoup plus pointues ainsi qu’à des échanges d’informations entre les corps policiers et autres agences spécialisées dans la lutte contre le terrorisme. Plusieurs croient que les terroristes devraient être arrêtés avant même d’arriver à l’aéroport plutôt qu’au moment de l’embarquement. Plus difficile encore, cet objectif doit être atteint tout en augmentant la fluidité de la circulation à l’intérieur des aéroports grâce à l’utilisation de nouvelles technologies dont l’automatisation de la lecture des documents de voyages comme les passeports, les visas ou les billets d’avion.
L’aviation comme moteur économique est une autre préoccupation de monsieur Benjamin. Il affirme ne pas comprendre l’ignorance du public à cet égard, qui voit d’abord l’aviation comme une source de pollution plutôt que comme une composante essentielle de développement. Toutes les campagnes de publicité sur ce sujet se seraient soldées par des résultats mitigés. En ce qui concerne la protection de l’environnement, M. Benjamin rappelle qu’en octobre 2013, il a fallu 14 jours de négociations intensives pour sortir les négociations de l’impasse dans laquelle elles s’étaient engagées, en raison des différences de vues des participants à cet égard. M. Benjamin conclut : C’est mon sentiment personnel que je vous donne. La question est essentiellement politique et sociale, nous pouvons toujours trouver des solutions techniques. […] Notre engagement c’est de prouver que le secteur du transport aérien, industries et gouvernements réunis, est capable de trouver par consensus un système de réduction de la pollution attribuable à l’aviation.
En entrevue, le secrétaire général a apporté des précisions sur l’état d’avancement des travaux dans les grands dossiers sur lesquels portait sa conférence. Il a expliqué qu’il y avait unanimité parmi les 191 membres de l’OACI sur la sécurité. Le problème provient principalement, selon lui, du fait que tous les pays n’ont pas les moyens financiers de loger à la même enseigne. C’est le cas notamment des pays africains qui bénéficient d’un programme d’assistance spécial de l’OACI pour relever leur niveau de sécurité aérienne. Les préoccupations financières freinent également l’amélioration de la sureté dans de nombreux pays en voie de développement. Pourquoi acheter des appareils sophistiqués pour protéger les aéroports du terrorisme alors que la population du pays souffre de malnutrition et manque d’écoles? Or la multiplication des aéroports dans des pays en voie de développement pourrait permettre aux terroristes d’entrer dans le réseau du transport aérien là où la sécurité est la plus faible et, par la suite, de se déplacer dans le monde entier. Quant à la protection de l’environnement, M. Benjamin croit qu’une entente interviendra lors de la prochaine assemblée générale de l’OACI en 2016.
Les panels qui ont suivi ont permis de constater l’ampleur de la tâche qui attend l’OACI. Charles-Philippe David, titulaire de la chaire Raoul-Dandurand, a tracé un portait des zones actuelles de conflits. Il conclut que les conflits traditionnels entre États sont en baisse, mais que les conflits non traditionnels, comme celui de la Syrie, sont en augmentation rapide. Il a également analysé la place grandissante que l’aviation commerciale tenait dans ces conflits. Il en résulte que les avions commerciaux sont devenus un enjeu des conflits et qu’ils sont utilisés comme moyens pour atteindre des objectifs précis comme l’ont bien montré les attentats du World Trade Center et du Pentagone en 2001.
Son collègue Olivier Schmidt, chercheur au CÉRIUM de l’Université de Montréal, a poursuivi en expliquant comment les nouvelles technologies changeaient la nature des conflits auxquels nous faisons face. Quant aux moyens à mettre en œuvre pour endiguer cette menace, il faut demeurer réaliste : l’échange d’information et la constitution de bases de données de personnes à risques ne sont pas des outils infaillibles. Une erreur d’orthographe ou une mauvaise adresse peuvent suffire pour mettre ces systèmes en échec. Le recours à des techniques de profilage comme on le fait en Israël comporte également des faiblesses. Réduire le risque à zéro est donc un objectif irréaliste en plus de coûter très cher.
Il faut enfin noter le très intéressant exposé du docteur Karl Weiss sur la propagation des maladies infectieuses à travers le monde. Le docteur Weiss a tracé un portrait historique des grandes épidémies depuis la peste noire qui a dévasté le monde de 1347 à 1351. Il en ressort clairement que l’avion a pris le relais du bateau puis du chemin de fer comme véhicule de propagation, et ce, malgré les nombreuses précautions prises au cours des dernières années. L’exemple du virus H1N1 qui s’est répandu dans le monde en seulement 2 mois en 2009 est éclairant et inquiétant. C’est un aspect de la sécurité qui est malheureusement trop souvent ignoré.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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