Les retards du CSeries déclenchent la suppression de 1700 emplois.
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Alors qu’on apprenait que Bombardier allait supprimer 1700 emplois, dont 1100 dans la région de Montréal, Pierre Beaudoin et Guy Hachey se dirigeaient vers Davos où ils participent à la réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos. Pendant ce temps l’action de catégorie B de Bombardier a poursuivi sa chute à la Bourse de Toronto.
Au lendemain de cette annonce inattendue, à la sortie d’une réception donnée par la première ministre Pauline Marois, Pierre Beaudoin a donné quelques explications sur ces mises à pieds. Il a d’abord expliqué que ces 1700 postes ne seront pas tous maintenu afin d’être comblés lorsque les ventes d’avions se porteront mieux. Un certain nombre d’entre eux, il n’a pas précisé combien, seront supprimés définitivement en raison d’une réorganisation du travail qui devrait engendrer des gains de productivité. C’est ce qui explique que presque tous les secteurs de l’entreprise seront touchés, même ceux qui n’ont rien à voir avec le CSeries. Les seules usines épargnées semblent être de Belfast en Irlande du Nord, qui fabrique les ailes en composite du CSeries et du Lear 85 ainsi que celle de Queretaro au Mexique, qui fabrique le fuselage en composite du Lear 85. Ajoutons qu’une opération semblable est en cours depuis l’an dernier à la division Bombardier Transport. À long terme, Pierre Beaudoin est convaincu que son entreprise créera de nouveaux emplois, mais ce ne sera pas les mêmes emplois que ceux qu’on élimine présentement. Ce n’est pas exactement ce que la première ministre souhaitait entendre…
Il n’en demeure pas moins que le report de l’entrée en service du CSeries a très certainement servi de déclencheur pour cette opération de dégraissage car le nouveau délai dans l’entrée en service du CSeries, qui pourrait atteindre un an, risque de transformer une situation difficile en situation périlleuse. Lorsque Bombardier a lancé officiellement son projet d’avion CSeries, en 2008, la compagnie a fait un choix et quelques paris. Le choix, c’était de laisser tomber ses avions régionaux à réaction, les CRJ, qui étaient devenus très difficiles à moderniser au profit d’une nouvelle génération d’avions ultra moderne, le CSeries. Le CRJ 1000 avait en effet atteint la limite de ce qui pouvait être fait pour moderniser cet avion régional dont l’origine a été le CRJ 100 qui a effectué son premier vol en 1991. Le fuselage des CRJ était trop étroit et l’emplacement de moteurs à l’arrière du fuselage rendait difficile leur remplacement par une nouvelle génération de moteurs comme les PW 1000. Le diamètre de ceux-ci est plus large et leur poids est plus important, ce qui les rend difficile à attacher à la queue d’un avion. Bombardier allait donc laisser les CRJ décliner tout doucement pour les remplacer par les CSeries.
Le principal pari, qui vient d’échouer, c’était de synchroniser le déclin des CRJ avec la montée des CSeries. Ce déclin devait être progressif de façon à maintenir un niveau de revenu suffisant pour pouvoir financer développement du nouvel avion. De plus Bombardier espérait transférer progressivement ses employés d’une production à l’autre sans avoir à faire de mises à pied massives. La crise financière qui débute à la fin de 2008 a fait dérailler ce plan. Les ventes d’avions d’affaires et d’avions régionaux à réaction ont chutées brutalement ce qui a obligé Bombardier à s’endetter plus que prévu pour développer le CSeries et sa nouvelle gamme d’avions d’affaire. La compagnie continuait quand même d’espérer pouvoir transférer progressivement ses employés d’une production à l’autre, ce que le report de l‘entrée en service du CSeries vient de rendre impossible.
L’annonce du report de 7 à 12 mois des premières livraisons du CSeries, annoncé le 16 janvier dernier, aurait dû déclencher une grosse cloche d’alarme chez les analystes, mais personne n’a vu venir les mises à pied annoncées cette semaine. L’usine de Mirabel, qui sera très touchée par les mises à pied, compte 2500 employés. On y assemble à la fois les CRJ et les CSeries. Dans le cas des CRJ, le rythme de production actuel devenait insoutenable. L’usine a livré 26 CRJ en 2013 soit 12 de plus qu’en 2012 mais elle n’a reçu que 30 commandes nettes. Au 30 septembre dernier il restait moins de 3 ans de production dans le carnet de commandes, ce qui est peu. Plusieurs compagnies aériennes nord-américaines doivent commander des avions régionaux dans l’année qui vient, dont Air Canada qui veut remplacer ses vieux Embraer 190, mais quelle sont les chances de succès des CRJ ou du CS100 face aux Embraer E2, remotorisé avec la même famille de moteurs très économique de Pratt & Withney que le CSeries. La réponse des compagnies aériennes viendra dans les mois qui viennent mais la direction de Bombardier connaît peut être déjà la réponse.
L’autre partie de l’usine de Mirabel fabrique le CSeries. Il y a présentement 10 avions en production, dont 3 sont destinés aux premiers clients et ils ne pourront être livrés qu’après la certification. Du côté des avions d’essais, le FTV3 (Flight test vehicule 3) est presque complété et il s’ajoutera prochainement aux deux premiers avions d’essais qui sont déjà en opération. Les deux autres suivront dans les mois qui viennent, puis ce sera les deux CS300. La seule façon de maintenir en activité la chaîne de production du CSeries et de conserver le personnel qui y travaille aurait été de mettre en chantier un plus grand nombre d’avions destinés aux premiers clients. La chose aurait été théoriquement possible puisque les problèmes du CSeries semblent être liés aux logiciels de l’avion qui devront faire l’objet d’une mise à jour, mais pas à l’avion lui-même. Toutefois construire plusieurs CSeries de plus aurait impliqué des déboursé importants effectués au cours de 2014 mais pour lesquels aucuns revenus ne sera encaissé avant la fin de 2015, au mieux, ou en 2016 au pire. L’arrêt de la production était incontournable afin de protéger les liquidités de l’entreprise.
Quant à ces liquidités, il faut bien admettre qu’elles deviennent de plus en plus minces et le report possible de possiblement un an va aggraver la situation financière de l’entreprise. L’analyste Peter Arment de Sterne, Agee & Leach de New York, cité par l’agence de nouvelle Bloomberg, affirme que Bombardier gruge ses marges de crédit au rythme de 200 millions de dollars par trimestre. Si c’est le cas, le coût de développement du CSeries pourrait grimper de 800 millions par année. Bombardier dispose encore de facilités de crédit qui, selon les analystes avoisineraient les 3 milliards de dollars US. Toutefois les banques exigent que ce niveau ne tombe pas sous les 2 milliards, ce qui laisse environ un milliard pour mener à bien le développement du CSeries, un montant un peu juste. Bombardier ne veut pas dire quelles économies résulteront des 1700 suppressions de postes, mais, en supposant que le coût moyen de ces emplois soit de 100,000 $ par année chacuns, Bombardier pourrait économiser annuellement 170 millions.
À Davos, Pierre Beaudoin affirmait mardi que son entreprise disposait des ressources nécessaires pour mener à bien la mise au point du CSeries. Il a précisé qu’il ne serait pas nécessaire d’emprunter ou d’émettre des actions cette année mais il devra sans doute le faire en 2015 puisque certaines facilités de crédit arrivent à échéance. Dans les circonstances actuelles une économie de 170 millions par année ne règle rien mais elle est néanmoins la bienvenue.
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Daniel Bordeleau
22 janvier 2014
daniel.h.bordeleau@infoaeroquebec.net
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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