Le 20 décembre dernier, le journal financier Financial Times de Londres révélait la prise de contrôle prochaine par le conglomérat américain Textron qui possède déjà entre autres l’hélicoptériste Bell Helicopter de Fort Worth, au Texas, et l’avionneur Cessna Aircraft de Wichita, au Kansas, du constructeur d’avions Beechcraft de Wichita, au Kansas.
La nouvelle fut confirmée par deux communiqués de presse émis le 26 décembre dernier, l’un par Textron et l’autre par Beechcraft.
Le conglomérat basé à Providence, au Rhode Island, prenait le contrôle du constructeur de Wichita pour 1,4 milliard de dollars américains.
En 2013, l’avionneur fondé en 1932 par Walter Beech et son épouse Ann Mellor Beech à Wichita affichera un chiffre d’affaires de 1,8 milliard de dollars américains avec la construction d’avions légers mono et bimoteur à piston, d’avions d’affaires biturbopropulsés, d’aéronefs turbopropulsés destinés aux ‘missions spéciales’, de monoturbopropulsés d’entraînement militaire et d’attaque au sol mais aussi par le soutien technique et le service après-vente de plus de 36000 avions encore en service dans son propre réseau de maintenance et réparation et dans celui de représentants autorisés. Ainsi 53% de ses revenus proviendront de la construction d’aéronefs civils et de versions dérivées attribuées aux ‘Special Missions’, 31% du service après-vente et 16% de la vente des avions militaires T-6 et AT-6
En 2012, l’avionneur qui portait encore le nom d’HawkerBeechcraft livra 157 avions civils et 47 aéronefs militaires et durant les trois premiers trimestres de 2013, 139 avions civils et 30 aéronefs militaires.
Ce rachat de Beechcraft et son rapprochement avec Cessna changera le paysage du marché de la construction d’affaires qui, après une décennie d’euphorie, subit durement les contrecoups de la crise financière de 2008 amorcée par la faillite de la banque d’affaires new-yorkaise Lehman Brothers. En dépit de l’apparition de nombreux constructeurs dans le créneau des ‘Very Light Jets’ ou ‘Jets de poche’ et de la disparition de la plupart peu après, le club des constructeurs d’avions d’affaires se réduisit au fil des ans.
Toutefois ce mouvement n’est pas nouveau car nous nous souviendrons du départ du secteur de la construction d’avions d’affaires de Lockheed avec l’arrêt de la production de son JetStar en 1978 et de Rockwell International, précédemment North American Aviation, avec son Sabreliner en 1981.
En 1985, Mitsubishi se retirait du marché des jets d’affaires en vendant les droits de fabrication du MU-300 Diamond à Beechcraft qui deviendra le Beechjet 400 puis le Hawker 400. En 1990, Learjet de Wichita, au Kansas, passait dans le giron de Bombardier. En 1993, ce fut au tour de l’anglaise British Aerospace de quitter le secteur en cédant à Raytheon, la gamme BA125 qui deviendra le Hawker 800. En 2001, Gulfstream intégrait la gamme des avions d’affaires d’Israel Aerospace Industries (IAI) par l’achat de Galaxy Aerospace.
Malgré tout, les grands de l’aéronautique commerciale ont fait leur place dans ce marché en offrant des déclinaisons VIP de leurs jets civils. En 1996, Boeing entrait dans le secteur en créant la coentreprise Boeing Business Jets avec General Electric et en inventant le ‘business liner’ avec des versions affaires de son 737. Airbus suivra le mouvement en 1999 avec Airbus Corporate Jets commercialisant l’A319 en version VIP et Sukhoi, en 2011 avec Sukhoi Business Jets proposant le SuperJet 100 en version ‘business’.
En 2000, le constructeur aéronautique brésilien Embraer se lançait à son tour dans la construction de jets d’affaires par l’offre, au début, de versions affaires de ses jets de transports régionaux et Honda fonda en 2006 Honda Aircraft destiné au développement et à la construction du HA-420 HondaJet.
Toutefois en 2013, le marché de la construction d’avions d’affaires est dominé par cinq constructeurs avant le rachat de Beechcraft par Textron.
Livraisons de turboprops et jets d’affairesTrois premiers trimestres de 2013 | En unités | En valeur |
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Gulfstream Aerospace | 103 | $5,296,900,000 |
Bombardier Avions d’affaires | 120 | $4,801,100,000 |
Dassault Falcon | 41 | $1,906,700,000 |
Cessna Aircraft | 290 | $Â Â 958,966,720 |
Embraer Executive Jets | 66 | $Â Â 801,210,000 |
Beechcraft | 139 | $Â Â 715,141,700 |
Boeing Business Jets | 5 | $Â Â 285,500,000 |
Airbus Corporate Jets | 3 | $Â 261,000,000 |
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Source : GAMA.
En consolidant les chiffres de Cessna et Beechcraft pour les trois premiers trimestres de 2013, la nouvelle entité se classerait au quatrième rang en terme de chiffres d’affaires, pas si loin derrière Dassault Falcon mais toujours loin des poids lourds que sont Gulfstream Aerospace et Bombardier Avions d’affaires.
LivraisonsTrois premiers trimestres de 2013 | En unités | En valeur |
 |  |  |
Gulfstream Aerospace | 103 | $5,296,900,000 |
Bombardier Avions d’affaires | 120 | $4,801,100,000 |
Dassault Falcon | 41 | $1,906,700,000 |
Cessna Aircraft – Beechcraft | 429 | $1,674,108,420 |
Embraer Executive Jets | 66 | $Â Â 801,210,000 |
Boeing Business Jets | 5 | $Â Â 285,500,000 |
Airbus Corporate Jets | 3 | $Â Â 261,000,000 |
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Source : GAMA
Le rapprochement de Cessna et de Beechcraft surtout depuis que ce dernier a mis fin à la production de ses jets d’affaires de la gamme Hawker tombe sous le sens comme nous l’avons souligné dans un article paru sur ce site le 21 décembre intitulé ‘Textron achèterait Beechcraft’.
Cessna Beechcraft alignera une gamme civile comprenant six monomoteurs à pistons, un bimoteur à pistons, deux monoturbines, trois biturbines et dix jets d’affaires dont deux en développement. S’y ajouteront deux monoturbines militaires, un dédié à la formation en vol et l’autre à l’attaque au sol et un biréacté d’attaque au sol en développement.
Par contre la nouvelle entité née du rapprochement de Cessna et de Beechcraft dont les activités principales seront localisées à Wichita au Kansas n’entrera que marginalement, pour l’instant, en compétition avec Bombardier et nullement avec celles de Dassault Falcon et de Gulfstream Aerospace, les deux concurrents de l’avionneur de Dorval.
En italiques : aéronef en développementEntre parenthèses :
Livraisons (2012 -trois trimestres 2013) |
Cessna | Beechcraft | Bombardier Learjet | Bombardier Challenger | Bombardier Global |
Aviation générale |  |  |  |  |  |
Monomoteur à piston | 162 Skycatcher(19 – nd) |  |  |  |  |
 | 172 Skyhawk (140-66) |  |  |  |  |
 | 182 Skylane JT-A /182T Turbo Skylane(67-39) |  |  |  |  |
 | 206 Stationair / 206H Turbo Stationair (56-28) |  |  |  |  |
 | 400 TTx(0-7) |  |  |  |  |
 |  | Bonanza G36 (12-26) |  |  |  |
Bimoteur à piston |  | Baron G58 (26-23) |  |  |  |
Aviation d’affaires |  |  |  |  |  |
Monomoteur à turbine | 208 Caravan (11-7) |  |  |  |  |
 | 208B Grand Caravan EX (96-66) |  |  |  |  |
Biturbine à turbine |  | King Air C90GTx(25-16) |  |  |  |
 |  | King Air 250 (22-25) |  |  |  |
 |  | King Air 350i/350ER (38-43) |  |  |  |
Biréactés légers | Citation 510 Mustang(38-13) |  |  |  |  |
 | Citation M2 |  |  |  |  |
 | Citation 525A CJ2+(19-9) |  |  |  |  |
 | Citation 525B CJ3(21-9) |  |  |  |  |
 | Citation 525C CJ4(44-23) |  | Learjet 40XR(24-0)
Learjet 70 |
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Biréactés moyens | Citation 560 XLS+(31-18) |  | Learjet 45XR(15-1)
Learjet 75 |
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 | Citation 680 Sovereign(22-5) |  | Learjet 60/60XR(15-8) |  |  |
 | Citation Latitude |  | Learjet 85 |  |  |
Biréactés SuperMidSize | Citation 750 X(6-0) |  |  |  |  |
 | Citation Longitude |  | Challenger 300(48-42)
Challenger 350 |
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Biréactés à cabine large |  |  |  | Challenger 605(34-24) |  |
 |  |  |  |  |  |
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Biréactés à cabine large à long et très long rayon d’action |  |  |  |  | Global 5000 |
 |  |  |  |  | Global 6000 (55-45 incluant Global 5000) |
 |  |  |  |  | Global 7000 |
 |  |  |  |  | Global 8000 |
Source : GAMA – Beechcraft – Bombardier – Cessna.
Sur le créneau des jets d’affaires bi-réactés légers, Cessna et Bombardier se retrouvent en compétition avec d’un côté le Citation CJ4 et de l’autre le Learjet 40 bientôt remplacé par le Learjet 70, certifié le 12 décembre dernier. Sur ce créneau,  en 2012, Cessna reste largement en tête des ventes. Il s’agit d’avions accueillant entre 7 et 9 passagers et coûtant de 9 à 11 millions de dollars.
Sur le marché des jets d’affaires moyens, chaque constructeur propose trois appareils dont un en développement chez Cessna et deux chez Bombardier récemment certifiés. Le Citation XLS+ se situe face au Learjet 45 bientôt remplacé par le Learjet 75 certifié par la FAA le 14 novembre dernier. Le Citation Sovereign affronte le Learjet 60XR bien que le premier affiche un prix plus élevé. Le Citation Latitude qui devrait entrer en service en 2015, au prix approximatif de $ 15 millions, le premier jet de Cessna à cabine large, sera en compétition avec le Learjet 85, le premier Learjet tout composite lui aussi en développement. Cette catégorie représente des aéronefs accueillant de 8 à 12 passagers, pouvant parcourir jusqu’à 2900NM et valant entre 13 et 18 millions de dollars.
Sur le créneau des SuperMidSize, deux Citations s’y retrouvent face au Challenger 300 bientôt remplacé par le Challenger 350. Le Cessna Citation X qui est le jet d’affaires le plus rapide n’offre pas une cabine aussi large que le Challenger 300. Quant au Citation Longitude, en développement et prévu entrer en service en 2017, il possèdera la même large cabine que le Citation Latitude jumelé à un rayon d’action de plus de 4000NM au prix catalogue de $26 millions. Dans cette catégorie, les avions transportent de 8 à 12 passagers sur des distances pouvant atteindre 3250 NM au prix unitaire variant de 22 à 25 millions de dollars.
Sur le créneau des jets d’affaires à cabine large et à long et très long rayon d’action qui représente le pain et le beurre de la division des avions d’affaires de Bombardier, Cessna est totalement absent en dépit de sa tentative de lancement du Columbus, un projet de jet d’affaires à cabine large, dévoilé en février 2008 mais mis de coté suite à la crise financière. Néanmoins, une fois les Citation Latitude et Citation Longitude en service, le constructeur de Wichita n’exclut pas de ressusciter le Columbus.
Durant les trois premiers trimestres de 2013, Bombardier a livré 69 avions dans cette catégorie dont les prix oscillent entre 30 et 58 millions de dollars. Ils accueillent de 10 à 19 passagers sur une distance pouvant franchir les 6163 NM dans le cas du Global 6000.
Dans les faits, Cessna Beechcraft campe actuellement sur les marchés des avions à moteurs à pistons, des bitrubopropulseurs et des jets légers et moyens.
Bombardier couvre les marchés des jets légers et moyens avec les Learjet, des jets SuperMidSize et à cabine large avec les Challenger et des jets à long et très long rayon d’action avec les Global. Par contre, l’avionneur canadien réalise la majorité de ses livraisons en terme d’unités et l’essentiel de ses revenus grâce aux jets d’affaires à cabine large et à ceux à long et très long rayon d’action.
Cessna Beechcraft et Bombardier se posent actuellement en compétiteurs essentiellement sur les marchés des jets d’affaires légers et moyens qui représentent le cœur des ventes du constructeur de Wichita et une part congrue de celle de l’avionneur de Dorval.
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Il est évident que dans un futur rapproché, la nouvelle entité Cessna Beechcraft sera tentée d’étendre sa gamme vers le haut. Le Cessna Longitude qui entrera en service en 2017 consistera en sa première incursion sur le marché des SuperMidSize dominé par le Challenger 300 et bientôt le Challenger 350 et où évoluent les Gulfstream 280 et Dassault 2000S depuis l’arrêt de production du Hawker 4000.
Cessna Beechcraft relancera certainement le Columbus qui marquera son entrée dans le marché des jets d’affaires à cabine large. La faiblesse du marché des jets d’affaires légers et moyens depuis la chute de Lehman Brothers et la montée en force de celui des jets à cabine large ne pourront que conforter Cessna à pénétrer ce marché.
Même si il existe des points de concurrence entre les gammes Cessna Beechcraft et Bombardier, les réels concurrents de l’avionneur canadien sont la française Dassault Falcon et l’américaine Gulfstream Aerospace.
Le nouveau Falcon 5X lancé en octobre dernier et le P42, le remplaçant du Gulfstream G450 dont le lancement serait imminent entrent directement en concurrence avec les produits phares de Bombardier et aussi très lucratifs.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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