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Se sont tenus la semaine dernière, soit mardi et jeudi, les 9 et 11 mars 2021, de 11h04 à 13h06, en distanciel, des séances du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie du Parlement du Canada, portant sur l’industrie aérospatiale au Canada.
Sous la gouverne de madame Sherry Romando, députée Libéral du comté de Longueuil – Charles-Lemoyne, se sont exprimés des représentants des associations, des syndicats, des entreprises manufacturières et des transporteurs aériens.
La première intervention fut réalisée par la présidente-directrice-générale d’Aéro Montréal depuis sa fondation en 2016, madame Suzanne Benoit. Cette dernière depuis ses bureaux au centre-ville de Montréal brossa un tableau de la situation actuelle du transport aérien dans le monde et de l’industrie aérospatiale du Québec. Elle souligna que les achats d’avions commerciaux avaient chuté de 60% et que le trafic aérien mondial ne reviendra au niveau avant pandémie pas avant 2023-2024. Elle souligna que la place du Canada sur le marché mondial de l’aérospatiale avait souffert ayant glissé, ces dernières années, du 5 au 9ième rang.
Petit détail particulier, fait troublant, deux maquettes ornaient le bureau d’où témoignait madame Benoit, une représentant un ATR-42 concurrent direct du Q400 de Longview Aviation Capital et anciennement de Bombardier et l’autre un Rafale de Dassault, un temps, le prétendant français au remplacement des F-18 Hornet des Forces armées canadiennes.
Deux jours plus tard lors de la deuxième séance du comité, ce fut au tour des industriels de s’exprimer.
Le bal fut ouvert par nul autre que, vous ne le croirez jamais, le président d’Airbus Canada, Philippe Balducchi. Il faut dire que depuis le Love-In Airbus-Bombardier et Enders-Bellemare et la cession du CSeries à l’avionneur franco-germano-espagnol, le président d’Airbus Canada semble s’être proclamé le porte-parole de l’industrie aérospatiale du Québec et même du Canada.
D’une allure relaxe, col ouvert et sans cravate, Philippe Balducchi livra un témoignage qui ne fut rien de moins qu’un ‘sale pitch’ dans les règles, un panégyrique du constructeur franco-germano-espagnol et de ses produits.
Sa demande de financement au profit de l’industrie inclut pour lui le financement du CS500, version rallongée du CSeries, je devrais dire A220.
Monsieur Balducchi conclut son intervention en qualifiant de ‘risible et surprenant’ le manque de soutien de l’industrie aérospatiale par le gouvernement canadien.
Il est vrai que venant d’Airbus, il est habitué à un soutien total de l’État. En plus de 50 ans d’existence, Airbus a absorbé des centaines de milliards de dollars d’aides gouvernementales de toutes sortes. Le programme A380 aura absorbé, à lui seul, au bas mot 20 milliards de dollars américains. Le nouvel hélicoptère d’Airbus Helicopters, le H160, a été lancé grâce à une commande sans appel d’offres de l’Armée de terre française. Il en est de même de toutes les commandes en matière de systèmes aérospatiaux du gouvernement français.
Finalement, notons au passage, parmi les maquettes en arrière-fonds, celle de l’A330MRTT qu’Airbus souhaite vendre aux Forces armées canadiennes au détriment du Boeing KC-46A Pegasus déjà adopté par l’US Air Force, Heyl Ha Avir et la Japan Air Self-Defense Force (JASDF).
Ce fut ensuite au tour de monsieur Dwight Charrette, président d’Airbus Helicopters Canada. Ayant été à l’école Airbus, sa présentation fut une ode aux produits de l’hélicoptériste européen. Il présenta son entreprise comme un manufacturier canadien d’hélicoptères avec moins de 200 employés aux installations de Fort Érié, en Ontario. Il n’en est rien. Airbus Helicopters dans ses installations ontariennes, procèdent à des activités de fabrication de pièces et de peinture et de maintenance d’hélicoptères. À titre de comparaison, Bell Helicopter Textron Canada à Mirabel, en banlieue nord de Montréal, compte environ 1300 employés qui procèdent à l’assemblage final de tous les hélicoptères civils de l’hélicoptériste texan. Proclamant qu’Airbus Helicopter occupait la première place mondiale sur le marché des hélicoptères civils, il omit de mentionner que ce marché ne représente que 20% du total.
Monsieur Charrette en profita pour accuser le gouvernement fédéral canadien d’avoir favorisé Bell Helicopter lors de derniers appels d’offres portant sur l’acquisition d’hélicoptères. Il semble oublier que la flotte de la Gendarmerie royale du Canada est constituée uniquement d’Airbus Helicopters. Mais surtout il passa sous silence que la France aussi bien au sein de ses forces armées que de la Gendarmerie, la Police Nationale, la Police des frontières, n’aligne pas un seul hélicoptère conçu et construit par un hélicoptériste autre qu’Airbus Helicopters. Pas un seul Bell Helicopter ou Sikorsky ou Boeing ou MD Helicopters ou Robinson Helicopters.
Airbus fut représenté pour la troisième fois par monsieur Henri Brouillard, président de Stellia Canada, filiale du consortium européen. Là encore, monsieur Brouillard livra à l’auditoire, un ‘sale pitch’ auxquels les français nous ont habitué et que j’ai entendu à tant de reprises lors des nombreux salons aéronautiques et conférences de presse auxquels j’ai assistés.
Depuis le Love-In Airbus-Bombardier, Enders-Bellemare, d’octobre 2017, encouragé par les gouvernements de Québec et d’Ottawa, le paysage de l’industrie aérospatiale au Québec a bien changé.
Bombardier s’est éclipsé au fur et à mesure de ces cessions d’actifs : le don du CSeries à Airbus, la vente de Bombardier Business Aircraft Training à CAE, celle de la famille Q400 à Longview Aircraft, une filiale de Viking Air et celle de la gamme CRJ à Mitsubishi Aircraft.
Certes, CAE s’est faite plus présente mais sans l’ombre d’un doute Airbus s’est imposé sur la scène médiatique canadienne et certainement politique.
Sans ambages, le président d’Airbus Canada agit en porte-parole non seulement de l’industrie aérospatiale du Québec mais aussi du Canada.
Airbus et ses sbires de fournisseurs exclusifs que sont Thales et Safran agissent en territoire conquis.
L’Association des industries aérospatiales du Canada (AIAC) aussi bien qu’AéroMontréal lors de leurs évènements ne semblent que favoriser les représentants d’Airbus, de ses filiales et fournisseurs.
Car il faut bien replacer Airbus dans l’industrie aérospatiale française. Elle se positionne en roi et maître voulant même mettre sous sa coupole Dassault Aviation, le spécialiste des avions de combat, en souhaitant s’adjuger la maîtrise du programme Future Combat Aircraft System (FCAS) destiné à développer un successeur aux Rafale de Dassault et Typhoon d’Eurofighter et pour tenter de concurrencer le F-35 américain.
Airbus choisit ainsi ses fournisseurs sur leur base géographique en favorisant contre toute logique technologique ou économique, les entreprises françaises comme Thales et Safran, allemandes ou européennes. Nul ne peut oublier la montée aux barricades du gouvernement français de Jacques Chirac devant la possibilité d’équiper son nouvel avion de transport militaire, l’Airbus A400M, par des turbines de Pratt & Whitney Canada.
Les entreprises du secteur aérospatiales français sont très liées aux officines du pouvoir en France. Leurs cadres proviennent des mêmes grandes écoles et circulent de cabinets ministériels aux agences règlementaires aux forces armées aux diverses entreprises. Elles se sont même regroupées en Amérique du nord au sein de la North American French Aerospace Network (NAFAN) dont les bureaux sont sis sur la rue McGill College, au centre-ville de Montréal. Les responsables des entreprises aérospatiales françaises établies au Québec se réuniraient tous les mois pour établir leur stratégie d’ensemble.
Il faut dire que l’industrie aérospatiale du Québec s’est laissée porter par la sirène du cent places de Bombardier, né au Salon de Farnborough de 1998 sous le nom de BRJ-X pour devenir le CSeries finalement lancé au Salon de Farnborough de 2008 après des faux départs et des hésitations bien justifiées.
Après ce cuisant échec qui était prévisible depuis le début, l’industrie se retrouve sans programme phare hormis une version rallongée de l’A220 qu’Airbus tente par tous les moyens de se faire financer par Québec et Ottawa en dépit d’un contenu québécois et canadien assez faible.
Au lieu de d’exiger, une fois encore, des sempiternelles aides de toutes sortes, les représentants associatifs de l’industrie aérospatiales canadienne et québécoise devraient présenter des projets fédérateurs.
Voici une liste :
Un remplaçant à l’archaïque bizjet Challenger 650 de Bombardier qui pourrait être propulsé par deux réacteurs de Pratt & Whitney Canada
Un successeur aux Model 407 et 412 de Bell Helicopter qui seraient équipés de turbines de Pratt & Whitney et peut-être penser ressusciter un successeur à l’hélicoptère haut de gamme VIP, le Model 430.
Mais aussi s’intéresser aux grands programmes aérospatiaux américains en projet ou en développement.
S’intéresser fortement aux programmes en gestation chez Boeing Commercial Airplane Group, le New Mid-size Airplane (NMA) successeur des 757 et 767 et Future Small Airplane (FSA) qui vise au développement d’un remplaçant du 737, déjà vendus à plus de dix milles exemplaires. Ces deux programmes représenteront des ventes de plusieurs milliers d’avions de ligne au rythme d’au moins 600 annuellement. Imaginez si le Québec pouvait place pour 5 millions de dollars d’équipements et de pièces sur chaque appareil. Boeing achète déjà pour trois milliards de dollars de biens et services au Canada, année après année contre environ un milliard pour son conçurent européen. Nombre d’entreprises québécoises travaillent déjà avec des maîtres d’œuvre américains.
Le Québec aérospatial devrait aussi porter son attention au programme de l’US Air Force visant au successeur des F-22A Raptor, le Next-Generation Air Dominance (NGAD).
Des entreprises aérospatiales au Québec ont su relever de tel défi tout récemment.
Il y a quelques années, le motoriste Pratt & Whitney Canada a placé ses turbines sur les Bizjets Super MidSize Cessna Citation Latitude ainsi que sur les fantastiques avions d’affaires à cabine large et long rayon d’action haut de gamme G600 et G700 de Gulfstream Aerospace. L’équipementier HerouxDevtek en plus de fournir l’US Air Force et l’US Navy depuis des lustres en pièces de rechange pour les atterrisseurs des F-4, F-15, F-16, B-1B, P-3, E-3, C-141 et C-5, effectue la refonte complète des trains d’atterrissage des B-52, E-3, KC-135 et C130. Il équipe de ses atterrisseurs les Lockheed Martin C-130J Super Hercules, Sikorsky CH-53K King Stallion et Boeing CH-47F Chinook et MQ-25 Stingray. L’entreprise de Longueuil fabrique les trains d’atterrissage du plus gros avion de ligne en production, le 777X avec les atterrisseurs les plus massifs au monde.
Il est temps pour l’industrie aérospatiale du Québec de se ressaisir et de ne pas tomber sous le joug d’Airbus, Thales, Safran et leurs fournisseurs.
Il serait temps pour les industriels locaux de l’aérospatial de se regrouper et de faire connaître leur point de vue contrairement à ce qui n’a pas été fait lors du différent Boeing – Bombardier portant sur le CSeries. À l’époque, aucun fournisseur local n’a osé souligner l’importance de la sous-traitance avec Boeing et les autres avionneurs, motoristes et équipementiers américains.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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