MONTRÉAL – 1006 mots – Temps de lecture : 4 minutes. À quelques heures de l’annonce d’une décision du gouvernement américain quant à la plainte du constructeur aérospatial américain Boeing (NYSE-BA) déposée auprès de l’US Department of Commerce et de l’International Trade Commission (ITC) contre l’avionneur québécois Bombardier (TSX–BBD.B), il est bon de replacer cette action dans un contexte historique, ce que personne n’a osé faire.
Tous les commentateurs ont centré la demande d’enquête de Boeing sur les subventions accordées par les gouvernements canadien, québécois et britannique au programme de biréactés commercial de 100-130 places CSeries de Bombardier et sur la tarification de ces appareils.
D’ailleurs, le texte de la requête de Boeing précise que ‘Bombardier has embarked on an aggressive campaign to sell CSeries aircraft into the U.S. market at absurdly low prices – less than $20 million for airplanes that cost $33 million to produce, based on publicly available information’…’Notably, it is selling the aircraft into the United States at prices that are millions lower than those charged in Canada – the very definition of dumping’.
Il stipule aussi que ‘Substantial government subsidies have enabled Bombardier’s predatory pricing of the CSeries, which competes directly with American-made 737-700 and 737 MAX 7 airplanes’…‘The CSeries has received extensive government support totaling more than $3 billion so far. Bombardier launched the program in 2005 with hundreds of millions of dollars from the Canadian, Quebec and UK governments, and it has received additional government support every step of the way, including $2.5 billion in 2015 from the Government of Quebec’.
Mais c’est là passer à côté des raisons profondes des actions de Boeing sur le dossier de la commande ferme de 75 CS100, accompagnée d’options portant sur 50 CSeries supplémentaires qui pourront être aussi bien des CS100 ou des CS300 du transporteur aérien d’Atlanta, en Géorgie, Delta Air Lines, numéro deux au monde avec des recettes de 40 milliards de dollars américains en 2015.
Néanmoins, la phrase clef de la requête de Boeing est : ‘The U.S. industry has been the victim of this exact strategy before, as subsidies to Airbus enabled it to push McDonnell Douglas and Lockheed from the market, and capture 50 per cent global market share, destroying countless high-paying, skilled U.S. jobs in the process’.
De toute évidence pour Boeing, Bombardier reproduit la même tactique utilisée dans les années 1970 par Airbus, alors naissante et à la recherche désespérée de clients. Et l’avionneur américain est loin d’avoir tort ne voulant pas victime à nouveau des mêmes tactiques car le motif profond de sa démarche est là .
Il faut absolument se rappeler qu’en octobre 2015, Bombardier, au bord du gouffre financier, reçut un milliard de dollars américain du gouvernement du Québec sous forme d’une participation de 49,5 pour cent dans le programme CSeries et qu’au mois de février suivant, Ottawa a consenti un prêt de 372,5 millions de dollars canadiens à l’entreprise pour le développement de l’avion d’affaires Global 7000 et du biréacté de cent places CSeries. En novembre 2015, la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CPDQ) prenait 30% du capital de Bombardier Transport en échange d’un milliard et demi de dollars américains.
Boeing rapproche, avec raison, les manœuvres actuelles de Bombardier avec celles d’Airbus dans les années 1970 et même après.
En avril 1977, l’américaine Eastern Airlines, sixième plus important transporteur aérien au monde accepte, à l’étonnement de tous les acteurs du secteur, l’offre du constructeur européen de louer pour un dollar par mois, quatre biréactés Airbus A300B4.
Il faut se souvenir qu’Airbus, fondée en 1970, n’avait pour client de son unique modèle, l’A300, qu’Air France et Lufthansa, compagnies aériennes nationales de deux des membres fondateurs du consortium et Korean Air. Les ‘Whitetails’ d’A300 s’accumulaient alors sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Blagnac alors qu’Airbus avait livré jusqu’alors un grand total de 30 appareils dont 13 en 1976, depuis la première livraison à Air France en mai 1974.
Le secteur de la construction d’avions de ligne était alors dominé par les américaines Boeing, McDonnell Douglas et Lockheed qui contrôlaient 90% de la production du monde libre.
Mais cette commande d’Eastern Airlines qui fleuretait déjà avec la faillite, a mis au monde le constructeur européen en lui donnant une crédibilité qu’il n’avait pas encore même si la rentabilité était encore loin d’être en vue. Le transporteur de Miami avant sa faillite en mars 1989 alignera pas moins de 34 Airbus A300B4. Airbus avait alors livré 528 avions de ligne dont 105 en 1989.
À cette époque, ni les dirigeants de Boeing, ni ceux de McDonnell Douglas ou ceux de Lockheed, ni même les élus à Washington n’avaient compris ce qui s’était passé. Un redoutable concurrent venait d’éclore après les échecs de la Caravelle, du Concorde, du BAC111, du Trident ou du VC-10. Personnellement, je sentais déjà que les choses ne seraient plus aussi faciles pour les constructeurs américains alors qu’Airbus allait jouer à fonds une stratégie de prix coupés confortée par un infaillible soutien financier et politique étatique.
En 2017, Boeing qui a énormément souffert de la concurrence et des tactiques d’Airbus et qui a vu se retirer du marché de la construction d’avions civils ses compatriotes McDonnell Douglas et Lockheed, ne peut rester en vain impassible.
Boeing qui doit encore recouper les près de 23 milliards de dollars américains que lui a coûté le programme du révolutionnaire Boeing 787 Dreamliner, ne peut demeurer impuissant devant tout constructeur jouissant de soutien direct de l’État.  Un soutien qui permettra le lancement du CS500 qui ne saurait tarder et qui entrera pleinement dans les plates-bandes du 737MAX.
À la clôture des bourses nord-américaines, ce lundi, le cours de l’action de Boeing (NYSE-BA) avait reculé de 0,84% à 254,29 dollars américains tandis que celui de Bombardier (TSX-BDD-B) avait reculé de 4,0% à 2,14 dollars canadiens. Le 28 avril dernier, le lendemain du dépôt de la plainte auprès de l’ITC, l’action de Boeing se transigeait à 184,83 dollars américains et celle de Bombardier à 2,11 dollars canadiens.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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