La certification : un long et minutieux processus.
Par Daniel Bordeleau
La certification d’un avion s’amorce dès la mise en chantier du projet et se termine par une série d’essais en vol. C’est à cette dernière phase que sera prochainement soumis le CSeries de Bombardier. Ces essais mèneront à l’émission d’un certificat de navigabilité par Transport Canada. Un processus non dénué de risques…
Le CSeries est sur le point de prendre son envol. Le jeudi 18 juillet, on a allumé les moteurs Pratt&Withney 1500G du FTV1, le premier CSeries d’essais. Si on se fie à la façon dont les choses se passent habituellement chez Boeing ou Airbus, le premier vol aurait dû suivre une dizaine de jours plus tard. Toutefois, un communiqué publié par Bombardier le 24 juillet nous a informé que dans le cas du CSeries, il faudra attendre quelques semaines de plus avant que l’avion ne soit en mesure de décoller.
La certification
Pour qu’un avion de ligne puisse voler entre deux pays, il doit posséder un certificat de navigabilité reconnu par ces pays. L’émission et la reconnaissance de ces certificats sont soumises à des règles qui découlent d’accords internationaux. En vertu de ces accords, le certificat canadien sera automatiquement reconnu par les autorités américaines et européennes. Les pays qui n’ont pas signé ces accords, dont certains très importants comme la Russie et la Chine, vont également reconnaître le certificat canadien, mais le processus n’est pas automatique. Info Aéro Québec en a discuté avec Phil Cole, vice-président, développement des affaires, de Marinvent, une entreprise de Saint-Bruno-de-Montarville spécialisée dans la formation du personnel d’essais en vol et dans la certification d’équipements aéronautiques.
La certification débute dès la conception d’un avion avec la préparation d’un plan soumis à Transport Canada. L’avionneur y décrit le type d’avion qu’il prévoit construire et énumère les exigences qu’il s’engage à respecter. Chaque pièce doit être certifiée avant d’être installée et l’avion lui-même doit l’être également par la suite. Phil Cole explique que ce processus est largement délégué par Transport Canada aux manufacturiers et à des entreprises spécialisées comme Marinvent, qui deviennent des représentants appelés DAC (Délégué à l’approbation de conception). L’entreprise de St-Bruno a notamment mis au point le logiciel que Bombardier utilise pour faire un suivi minutieux de ce processus de certification. Chaque étape doit être documentée en détail et vérifiée par une personne autorisée, qui doit signer les documents officiels. L’approbation finale d’une pièce, et à plus forte raison de l’avion, est toujours donnée par les fonctionnaires de Transport Canada, après une vérification effectuée par du personnel spécialisé. Une partie de ces vérifications se déroule lors d’essais en vol auxquels participent les techniciens de Transport Canada. Phil Cole juge que ce processus est rigoureux et qu’il fonctionne bien.
Les essais en vol
Les essais en vol ne sont pas une formalité qui s’apparenterait à une balade dans une automobile neuve par un beau dimanche après-midi. C’est un processus complexe qui présente des risques réels comme le montrent les accidents survenus cours des dernières années. Le 21 juillet dernier, un Sukhoi Superjet 100 s’est écrasé à Reykjavik en Islande, lors du test d’un système d’atterrissage automatique. Plus dramatique, en avril 2011, un avion d’essais Gulfstream G-650, sur lequel on simulait une panne d’un des deux moteurs lors du décollage, s’est écrasé causant la mort de ses quatre occupants. Un Challenger 604 de Bombardier a subi un sort semblable le 10 octobre 2000, ce qui a causé la mort de deux de ses trois occupants.
Le premier vol d’un avion est encadré de façon très stricte par les règlements de Transport Canada, qui doit d’abord donner son autorisation après avoir pris connaissance du plan d’essais en vol. La zone survolée par l’avion doit être approuvée par le ministère et les conditions météorologiques doivent correspondre aux normes de vol VFR. Pas question, donc, de décoller lorsque se développent des conditions orageuses, de turbulences importantes ou de cisaillement du vent.
Le premier avion d’essais CSeries, le FTV-1 (Flight Test Véhicule 1), est équipé pour faire face à tous les accidents possibles, comme le stipulent les règlements de Transport Canada : glissière d’évacuation d’urgence, équipement de sécurité pour l’équipage, comprenant des masques à oxygène, des lunettes antifumée, des combinaisons de vol en Nomex résistant au feu, des casques, des gants, des bottes de vol, des parachutes ajustés adéquatement, etc. L’équipage et l’équipe au sol doivent également avoir reçu une formation appropriée, dont une partie a été donnée par Marinvent.
L’intérieur du premier avion d’essais ne ressemble en rien à ce que sera l’avion régulier. L’équipement d’essais du CSeries, conçu par la compagnie hollandaise Fokker Elmo, comprend une multitude de sondes de tout genre reliées à des ordinateurs par des kilomètres de câbles électriques. L’information recueillie est transmise à l’équipe au sol en temps réel. Lors de ces vols, l’avion d’essais est toujours accompagné d’un autre avion, un Global 5000, dont l’équipage a la responsabilité de filmer toutes les manœuvres.
Les étapes menant au premier vol
Quelques jours avant l’allumage des moteurs, on a testé l’unité de puissance auxiliaire (APU) qui fournit l’électricité nécessaire à leur démarrage. À la suite de la mise en marche des moteurs principaux, on a vérifié différents systèmes, tels que les circuits hydrauliques et pneumatiques de l’avion.
Après avoir augmenté progressivement la poussée des moteurs, les pilotes commenceront les essais de roulage et de freinage. L’avion roulera de plus en plus vite sur la piste et on ira jusqu’à lever le nez de l’appareil avant de le ramener au sol. Il arrive parfois que cette opération se termine par un véritable décollage prématuré lorsque l’avion se montre plus fringant que prévu.
Lors des premiers vols, les pilotes se montrent très prudents. Ils doivent d’abord apprendre à manœuvrer l’avion, car les simulateurs de vols ne sont pas encore suffisamment au point pour prévoir toutes les situations. Ce sont les vols d’essais qui permettront de finaliser leur programmation.
Conformément aux exigences de Transport Canada, les manœuvres d’essais en vol croîtront en complexité et en dangerosité. On vérifiera d’abord la vitesse et l’altitude maximum que l’avion peut atteindre. On établira également la vitesse de décrochage. On examinera le comportement de l’avion dans des situations de dérapage. On vérifiera les conséquences d’un déplacement du centre de gravité en vol, au décollage et à l’atterrissage. On simulera enfin une panne d’un des moteurs au moment du décollage. Phil Cole explique que toutes ces manœuvres sont délicates, parfois dangereuses mais nécessaires à la mise au point de l’avion. Elles nécessitent une bonne planification ainsi que des nerfs d’acier de la part de l’équipage.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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