OTTAWA –  1718 mots – Temps de lecture : 7 minutes. Mercredi matin dernier, les membres de la presse ont été invités à participer à une session à huis-clos afin de prendre connaissance de la nouvelle ‘Politique de défense du Canada’ du gouvernement Libéral de Justin Trudeau. À 11 heures, des présentations ont été données par un panel d’experts du ministère de la Défense nationale (MDN), suivi d’une période de questions.  À 12h50, devant quelques centaines d’officiers des Forces armées canadiennes (CAF) issus de l’Armée canadienne, de la Marine royale canadienne et de l’Aviation royale canadienne, une conférence de presse avec le ministre de la Défense nationale Harjit S. Sajjan, le ministre des Transports Marc Garneau et le chef de l’État-major de la Défense, Jonathan Vance a eu lieu à Cartier Square Drill Hall, dans le centre-ville d’Ottawa.
Un de points qui ont retenu l’attention a été l’engagement du gouvernement fédéral Libéral contenu dans cette nouvelle Politique de défense du Canada de porter à 1,4% d’ici le budget 2025-2026, la portion du PIB canadien dévolue aux dépenses militaires en portant à 32 milliards de dollars canadiens, les dépenses militaires canadiennes.
Budget du Ministère de la défense nationale
(En milliards de dollars canadiens) |
Pourcentage du PNB dévolu aux dépenses du Ministère de la défense nationale | |
2016-2017 | 18,908 | 0,96 |
2017-2018 | 20,683 | |
2018-2019 | 21,428 | |
2019-2020 | 21,714 | |
2020-2021 | 24,276 | |
2021-2022 | 25,315 | |
2022-2023 | 26,048 | |
2023-2024 | 29,879 | |
2024-2025 | 31,741 | 1,40 |
2025-2026 | 31,931 | |
2026-2027 | 32,673 | |
Total 10 ans | 265,688 | |
Total 20 ans | 553,030 | |
Source : Politique de défense canadienne.
Les pressions de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et du président des États-Unis, Donald Trump auraient-elles convaincu le Canada de faire sa part au sein de l’OTAN ? Pas si sûr.
Il faut souligner en tout premier que le Canada se classe parmi les ‘mauvais élèves’ de l’OTAN avec une part du PIB engagée dans les dépenses militaires de seulement 0,99% en 2015. Il se retrouve au 21ième rang sur 25 et côtoie ainsi, en fin de peloton, la Hongrie, la Slovénie et l’Espagne et très loin des États-Unis avec 3,61% et même du Royaume-Uni, 2,21% et de la France, 1,78%.
Même si le gouvernement fédéral tient promesse, en 2025-2026, seulement 1,4% du PIB canadien sera consacré à la défense, encore loin des 2% souhaités, avec raison, par l’OTAN et la Maison Blanche.
De surcroit, contrairement aux États-Unis, le budget de la défense du Canada inclus les dépenses reliées aux anciens combattants.
Pays | Pourcentage du PIB dévolu aux dépenses militaires parmi les pays de l’OTAN |
1.   États-Unis | 3,61% |
2.   Grèce | 2,38% |
3.   Royaume-Uni | 2,21% |
4.   Estonie | 2,16% |
5.   Pologne | 2,00% |
6.   France | 1,78% |
7.   Turquie | 1,56 % |
8.   Norvège | 1,54% |
9.   Lituanie | 1,49% |
10.Roumanie | 1,48% |
11.Lettonie | 1,45% |
12.Portugal | 1,38% |
13.Bulgarie | 1,35% |
14.Albanie | 1,25% |
15.Allemagne | 1,19% |
16.Danemark | 1,17% |
17.Pays-Bas | 1,17% |
18.République de Slovaquie | 1,11% |
19.République tchèque | 1,04% |
20.Hongrie | 1,01% |
21.Canada | 0,99% |
22.Slovénie | 0,94% |
23.Espagne | 0,91% |
24.Belgique | 0,85% |
25.Luxembourg | 0,44% |
Source : Donald Trump tells NATO to pay up: How much do NATO members spend on defence?, article d’Alice Foster, The Daily Express, le jeudi 25 mai 2017.
D’ici 2025-2026, et le passé en est garant, qui peut nous assurer que le 1,40% annoncé sera respecté ? Le budget fédéral du Canada depuis l’arrivée des Libéraux de Justin Trudeau en octobre 2015 s’est enfoncé dans des déficits abyssaux dont la fin n’est pas en vue. Aucune garantie n’a été donnée quant au financement des dépenses militaires supplémentaires découlant de l’atteinte du 1,4% en 20125-2026. Interrogé par plusieurs journalistes et ce, à plusieurs reprises, sur ce point, lors de la conférence de presse de mercredi, le ministre Garneau, venu à la rescousse de son confrère Harjit Sajjan, n’a jamais voulu répondre sur l’origine des fonds qui permettront cette hausse des dépenses militaires. Hausse des impôts ? Augmentation du déficit ? Les Libéraux en gardent le secret…
Qu’y a-t-il dans cette nouvelle Politique canadienne de la défense pour le Québec aéronautique ?
À première vue, il faut être réaliste, assez peu semble-t-il.
En tout premier lieu, aucune acquisition d’hélicoptères n’est projetée. Des rumeurs avaient couru sur l’achat d’hélicoptères d’attaques du type Boeing AH-64 Apache pour escorter les Boeing CH-147F Chinook des FAC et même d’un nombre supplémentaire de ces derniers. Il n’en sera rien.
Les AgustaWestland CH-149 Cormorants verront leur durée de vie rallongées alors que l’achat des VH-71A en provenance de l’US Marine Corps en augmenterait peut-être le nombre.
Quant au Bell Helicopter CH-148 Griffon, construits à Mirabel, au nord de Montréal et livrés dans entre 1992 et 1997, leur remplacement n’est pas envisagé. La filiale canadienne de l’hélicoptériste texan devra se contenter de les remettre à neuf et de les moderniser car le rôle d’escorte armée des CH-147F leur incomberait.
En second lieu, la question du remplacement des McDonnell Douglas F-18 Hornet reste entier. Une bonne nouvelle par contre, le gouvernement actuel comte les remplacer par 88 avions de combat et non pas seulement 65 comme l’envisageait le gouvernement Conservateur de Stephen Harper,
Dans la réponse sèche de Marc Garneau à ma question sur la question de l’achat d’un chasseur intérimaire, le Boeing F-18E/F Super Hornet, il rappela que le gouvernement canadien avait tout suspendu. Lors du dernier Salon CANSEC, Boeing devait présenter ses partenaires canadiens dans le cadre de l’acquisition par l’Aviation royale canadienne de dix-huit F-18E/F Super Hornet.
Choisir le F-18, permettrait au Canada, d’obtenir des retombées industrielles et technologiques (RIT) ou Industrial and Technological Benefit (ITB) aussi bien sur les programmes civils que militaires du constructeur de Chicago. Opter pour le F-35A dont la carrière est à ses débuts contrairement au Super Hornet, au Dassault Rafale et à l’Eurofighter Typhoon, offre des occasions d’affaires sur une production totale qui atteindra à terme certainement au moins les 4000 appareils contre au mieux 500 pour le Rafale et 700 pour le Typhoon. À titre de référence, le Lockheed Martin (originalement General Dynamics) F-16 Fighting Falcon a été construits à plus de 4500 exemplaires et le F-18, toutes versions confondues, à plus de 2000. Rappelons que le Canada a versé, discrètement, en mai dernier, un montant de 30 millions de dollars américains additionnels afin de maintenir son rôle de Tier3 au sein du Joint Strike Fighter Program.
Hormis le soutien logistique des futurs F-18E/F ou/et F-35A de la RCAF par L3Com et des contrats de simulateurs pour CAE, peu sera à la portée de l’industrie aérospatiale du Québec.
En troisième lieu, au chapitre des ravitailleurs en vol successeurs des Airbus A310 MRTT, deux avions s’affronteront : le Boeing KC-46A Pegasus choisi par l’USAF, les Japan Air Self Defense Forces et bientôt Hel Avir et l’Airbus A330 MRTT préféré par le Royaume-Uni, l’Australie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Singapour, la Corée du Sud, la France.
Dans les deux cas, dérivés de cellules de vieille technologie au crépuscule de leur carrière commerciale, ils feront l’objet de séries limitées. La production du KC-46A atteindra certainement les 400 exemplaires tandis que l’A330MRTT, guère plus de cent. Les cylindres et pistons des trains d’atterrissage des A330 sont fabriqués à Mirabel, au Québec chez MessierDowty.
Là , encore par le jeu des retombées industrielles et technologiques (RIT), des entreprises québécoises pourront se placer dans des programmes civils ou militaires de Boeing ou d’Airbus.
En quatrième lieu, le projet d’Aéronef multimissions canadien ou Canadian Multi-Mission Aircraft pour le remplacement des Lockheed CP-140 Aurora attirera une offre de la part de Boeing pour son P-8A Poseidon, une plateforme sans aucun autre équivalent au monde ainsi que de plusieurs intégrateurs dont L3Com avec ses installations de Mirabel pour des solutions plus modestes sur plateformes de jets d’affaires tels que le Gulfstream G550 ou le Bombardier Global 6000 aux capacités réduites par rapport au P-8A.
En cinquième lieu, l’achat de nouveaux CC-138 Twin Otter pour remplacer ceux en service dans le Grand Nord canadien créera de l’activité chez Pratt & Whitney Canada de Longueuil, chacun de ses aéronefs étant propulsés par deux turbopropulseurs PT6A.
Par contre, deux priorités de la politique de défense canadienne pourront favoriser le Québec :
L’investissement dans des systèmes d’instruction des équipages, et
L’acquisition des capacités spatiales destinées à accroître la connaissance de la situation et le ciblage, notamment : le remplacement du système RADARSAT actuel afin d’améliorer l’identification et le suivi des menaces ainsi que la connaissance de la situation en ce qui concerne la circulation régulière sur le territoire canadien; des capteurs capables d’identifier et de suivre des débris spatiaux pouvant menacer les systèmes spatiaux canadiens et alliés (surveillance de l’espace); des systèmes spatiaux qui étendront et amélioreront à l’échelle mondiale les communications tactiques par satellite à bande étroite et à large bande, y compris dans l’ensemble de la région de l’Arctique canadien.
Des entreprises localisées au Québec comme CAE dans la simulation, MDA dans les systèmes spatiaux, leurs fournisseurs et les universités et centres de recherche pourront en bénéficier.
Reste enfin la question, nulle part évoquée dans la Politique de défense du Canada, du remplacement des avions de transport VIP de l’Aviation royale canadienne, un des cinq CC-150 Polaris et les quatre vieux Bombardier CC-144 Challenger. L’acquisition d’une flotte mixte constituée de CSeries et de Challenger 650 favoriserait l’industrie locale.
Il est à souhaiter que le ‘Portail Croissance Sécurité Défense Québec’ annoncé dans la Stratégie québécoise de l’aérospatiale 2016-2026 dévoilée en mai 2016 dont la réalisation, la mise sur pieds et la gestion a été donnée d’office par le Ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation du Québec à Aéro Montréal permettra aux PME du Québec de tirer profit de cette manne fédérale en matière d’investissements dans la défense.
Néanmoins, les industriels québécois devraient aussi s’intéresser à deux programmes aéronautiques majeurs qui seront lancés sous peu :
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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