MONTRÉAL –1235 mots – Temps de lecture : 5 minutes.  En toute fin d’après-midi jeudi, le site ‘Seeking Alpha’ reprenant une dépêche de l’agence Reuters, rapportait que le contructeur aérospatiale américain Boeing (NYSE-BA) avait déposé auprès de l’US Department of Commerce et de l’International Trade Commission (ITC), une plainte contre l’avionneur québécois Bombardier (TSX–BBD.B).
Ainsi l’avionneur de Seattle demande aux deux instances gouvernementales américaines de faire enquête sur les subventions accordées au programme de biréactés commercial de 100-130 places CSeries de Bombardier, sur la tarification de ces appareils et, aussi, d’agir contre les pratiques d’affaires de l’entreprise montréalaise.
Le texte de la requête de Boeing précise que ‘Bombardier has embarked on an aggressive campaign to sell CSeries aircraft into the U.S. market at absurdly low prices – less than $20 million for airplanes that cost $33 million to produce, based on publicly available information’…’Notably, it is selling the aircraft into the United States at prices that are millions lower than those charged in Canada – the very definition of dumping’.
Il stipule aussi que ‘Substantial government subsidies have enabled Bombardier’s predatory pricing of the CSeries, which competes directly with American-made 737-700 and 737 MAX 7 airplanes’…‘The CSeries has received extensive government support totaling more than $3 billion so far. Bombardier launched the program in 2005 with hundreds of millions of dollars from the Canadian, Quebec and UK governments, and it has received additional government support every step of the way, including $2.5 billion in 2015 from the Government of Quebec’.
Ce geste de Boeing s’inscrit à au moment où Delta Air Lines est sur le point de recevoir son tout premier CSeries et que Bombardier essaye à nouveau de vendre son biréacté de 100 places au transporteur américain United Continental.
Nous nous souviendrons qu’en janvier 2016, Boeing avait réussi à placer 40 Boeing 737-700 au transporteur de Chicago puis 25 737-700 supplémentaires au mois de mars de la même année, après une chaude lutte contre Bombardier et son CSeries.
Au mois d’avril suivant, au prix de réductions importantes, Bombardier décrochait du transporteur aérien d’Atlanta, en Géorgie, Delta Air Lines, la commande ferme pour 75 CS100 accompagnée d’options portant sur 50 CSeries supplémentaires qui pourront être aussi bien des CS100 ou des CS300.
Le Boeing 737-700 et son successeur, le 737MAX7 au prix catalogue respectif de 83,4 et 92,2 millions de dollars américains se comparent en termes de capacités de passagers au Bombardier CS300.
Il faut replacer l’action de Boeing dans un contexte plus large. Ainsi en octobre 2015, Bombardier reçut un milliard de dollars américain du gouvernement du Québec sous forme d’une participation de 49,5 pour cent dans le programme CSeries et qu’au mois de février dernier, Ottawa a consenti un prêt de 372,5 millions de dollars canadiens à l’entreprise pour le développement de l’avion d’affaires Global 7000 et du biréacté de cent places CSeries.
Ces aides gouvernementales ont d’ailleurs poussé le Brésil a déposé en février 2017, une plainte contre le Canada auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ironiquement, vingt ans plus tôt, c’était le Canada qui amenait le Brésil devant l’OMC pour ses aides alléguées à l’avionneur de Sao José dos Campos, Embraer, pour ses jet régionaux ERJ-135/140/145. Les deux constructeurs aéronautiques seront trouvés coupables d’avoir reçu des subventions inappropriées.
Pour l’instant, Boeing ne s’est pas prononcé s’il porterait la cause devant l’OMC comme il l’a fait avec Airbus à plusieurs reprises.
En avril 1977, l’américaine Eastern Airlines, sixième plus important transporteur aérien au monde accepte l’offre du constructeur européen de louer pour un dollar par mois, quatre biréactés Airbus A300B4.
Il faut se souvenir qu’Airbus fondée en 1970 n’avait pour client de son unique modèle, l’A300, Air France et Lufthansa, compagnies aériennes nationales de deux des membres fondateurs du consortium et Korean Air. Les ‘Whitetails’ d’A300 s’accumulaient alors sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Blagnac alors qu’Airbus avait livré jusqu’alors un grand total de 30 appareils dont 13 en 1976, depuis la première livraison à Air France en mai 1974.
Le secteur de la construction d’avions de ligne était alors dominé par les américaines Boeing, McDonnell Douglas et Lockheed qui contrôlait 90% de la production du monde libre.
Mais cette commande d’Eastern Airlines qui fleuretait déjà avec la faillite, a mis au monde le constructeur européen en lui donnant une crédibilité qu’il n’avait pas encore. Le transporteur de Miami avant sa faillite en mars 1989 alignera pas moins de 34 Airbus A300B4. Airbus avait alors livré 528 avions de ligne dont 105 en 1989.
À cette époque, ni les dirigeants de Boeing, ni ceux de McDonnell Douglas ou ceux de Lockheed, ni même les élus à Washington n’avaient compris ce qui s’était passé. Un redoutable concurrent venait d’éclore après les échecs de la Caravelle, du Concorde, du BAC111, du Trident ou du VC-10. Personnelement, je sentais déjà que les choses ne seraient plus aussi faciles pour les constructeurs américains alors Airbus allait jouer à fonds une stratégie de prix coupés confortée par un infaillible soutien financier et politique étatique.
Dans les années 1980, lorsque, fort de son succès dans l’automobile, le Japon a eu des velléités de se lancer dans la construction d’avions de ligne, Washington a réagi et Boeing a confié en sous-traitance la confection du fuselage du Boeing 777 et a limité, l’industrie aérospatiale du pays du Soleil-Levant, au rôle de fournisseur de l’avionneur de Seattle.
En 2017, Boeing qui a beaucoup souffert de la concurrence et des tactiques d’Airbus et qui a vu se retirer du marché de l’aviation civile ses compatriotes McDonnell Douglas et Lockheed, ne peut rester impassible.
Qui aurait cru qu’Airbus s’accaparerait la moitié du marché en termes d’avions même si, en valeur, sa part demeure en deçà de la moitié.
La prochaine étape pour les dirigeants de Boeing sera de, peut-être, déposer une plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Washington.
Mais que personne ne s’affole. Bien que Boeing s’y est adressé depuis les années 1980 pour y dénoncer les pratiques déloyales d’Airbus et les faire cesser et, en dépit, de l’accord de 1991, la part de marché d’Airbus n’a fait qu’augmenter.
Néanmoins, Boeing ne peut rester impuissant devant tout constructeur jouissant de soutien direct de l’État car ‘Chat échaudé craint l’eau froide’.
À la clôture des bourses nord-américaines, ce vendredi, le cours de l’action de Boeing (NYSE-BA) avait grimpé de 0,86% à 184,83 dollars américains tandis que celui de Bombardier (TSX-BDD-B) avait reculé de 4,0% à 2,11 dollars américains.
Boeing 737MAX7 | Bombardier CSeries CS100 | Bombardier CSeries CS300 | |
Capacité | 110 (1 classe standard) | 135 (1 classe standard) | |
125 (1 classe dense) | 150 (1 classe dense) | ||
126 (2 classes) | 108 (2 classes mixtes) | 130 (2 classes mixtes) | |
149 (1 classe, extra capacité) | 160 (1 classe, extra capacité) | ||
Espace pour les jambes | 81cm(31)(1 classe standard) | 81cm(31)(1 classe standard) | |
76cm(30’)(1 classe dense) | 76cm(30’)(1 classe dense) | ||
92cm(36’) et 82cm(32’)(2 classes mixes) | 92cm(36’) et 82cm(32’)(2 classes mixes) | 92cm(36’) et 82cm(32’)(2 classes mixes) | |
76cm(30’)(1 classe, extra capacité) | 71cm(28’)(1 classe, extra capacité) | 71cm(28’)(1 classe, extra capacité) | |
Longueur | 33,6m | 35,0m | 38,7m |
Envergure | 35,9m | 35,1m | 35,1m |
Hauteur | 12,5m | 11.5m | 11,5m |
Longueur de la cabine | 24,13m | 23,7m | 27,5m |
Largeur de la cabine | 3,53m | 3,28m | 3,28m |
Hauteur de la cabine | 2,20m | 2,11m | 2,11m |
Volume de la soute | 27,3m3 | 23,7m3 | 27,5m3 |
Poids maximum au décollage | 73303kg | 58987kg | 65317kg |
Vitesse de croisière | Mach 0,79 842km/h | Mach 0,78 828km/h | Mach 0,78 828km/h |
Rayon d’action maximum | 7038km | 5463km | 5463km |
Plafond | 12497m | 12497m | |
Moteur | CFM LEAP-1B | Pratt & Whitney PW1500G(18900lb-21000lb-23300lb) | Pratt & Whitney PW1500G(21000lb-23300lb) |
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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