MONTRÉAL – Par un communiqué émis vers 14h00, ce mardi, le gouvernement fédéral du Canada du Libéral Justin Trudeau annonçait enfin son intention de remplacer la flotte de chasseurs de l’Aviation royale canadienne. Il reprenait les propos tenus lors la conférence de presse qui se déroulait alors, au Centre national de la presse à Ottawa réunissant Harjit Singh Sajjan, ministre de la Défense nationale, Judy Foote, ministre de Services publics et Approvisionnement Canada, Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique et le Général Jonathan Vance, chef d’état?major de la Défense.
Une fois encore, il est déplorable de souligner, l’absence d’analyse de cette nouvelle par la presse québécoise et l’inexistence de réaction de la part du milieu associatif hormis celle de l’Association des industries aérospatiales du Canada (AIAC).
De toute évidence, en dépit des rumeurs, le gouvernement Trudeau nous a pris de court avec cette amorce du remplacement des 77 CF-18 Hornet encore en service sur les 138 exemplaires livrés entre 1982 et 1988. Le gouvernement Libéral de Pierre-Elliot Trudeau avait opté en 1980 pour le biréacté de McDonnell Douglas au détriment du monoréacté General Dynamics F-16 Falcon.
Ainsi Ottawa lancera en 2017 selon le texte du communiqué ‘un appel d’offres ouvert et transparent pour remplacer la flotte existante de chasseurs CF-18. Grâce à cet appel d’offres, le gouvernement obtiendra le bon chasseur pour nos femmes et nos hommes en uniforme – au bon prix – tout en maximisant les retombées économiques pour les Canadiens’.
Mais entretemps, pour répondre au vieillissement de la flotte actuelle de CF-18, le gouvernement Trudeau va entreprendre des négociations avec Boeing pour l’acquisition de dix-huit chasseurs bombardiers F-18E/F Super Hornet mais n’annonce aucun échéancier, ni coût prévu.
Le F-18 Super Hornet est en production depuis 1994 et loin du sommet de 2010 avec 50 appareils, seulement 24 appareils sortiront en 2016 des installations de Boeing à Lambert Field à Saint-Louis, dans le Missouri. En service au sein de l’US Navy et la Royal Australian Air Force et sélectionné récemment par le Koweït, plus de 676 F-18E/F Super Hornet et F-18G Growler, sa version de guerre électronique, ont été livrés depuis 1996. Selon les prévisions du Teal Group, la production du F-18E/F/G devrait se maintenir jusqu’en 2020 compte tenu du carnet de commandes actuel.
Dans ce contexte, il devrait aisé de trouver des positions sur la chaine du Super Hornet pour satisfaire les besoins du Canada et d’obtenir un bon prix vu que les coûts de ces appareils sont bien maitrisés. Ceci devrait faciliter les négociations surtout qu’aux dires de Boeing, une bonne partie de la logistique et de l’entrainement des F-18E/F reprend ceux des CF-18 en service au sein de l’Aviation royale canadienne.
Le texte du communiqué semble souligner que les Super Hornet serviront essentiellement aux engagements du Canada envers le North American Aeropace Defense Command (NORAD) pour la protection aérienne du continent nord-américain aux côtés des États-Unis ‘Une flotte moderne de chasseurs est essentielle pour défendre le Canada et la souveraineté du Canada, surtout dans le Nord du pays. Elle est une contribution essentielle au partenariat avec notre plus important allié, les États?Unis, et à la protection du continent que nous partageons’. De toute évidence, le gouvernement canadien ne les destine pas à des missions de première frappe outre-mer comme l’envisageait le gouvernement Conservateur de Stephen Harper avec les F-35.
A la lecture minutieuse du communiqué, le Canada explorerait aussi la possibilité d’utiliser, sur une base temporaire, des F-18E/F de l’US Navy qui seraient ensuite retournés.
En outre, le Canada explorera immédiatement la possibilité d’acquérir 18 nouveaux chasseurs Super Hornet pour compléter la flotte de CF18 jusqu’à ce que la flotte de remplacement permanente soit livrée. Le gouvernement entamera des discussions avec le gouvernement des États?Unis et Boeing pour l’utilisation provisoire de ces chasseurs.
Avant d’aller de l’avant, le gouvernement se réserve le droit de décider si les États?Unis et Boeing sont capables de fournir la flotte provisoire à un coût, dans un délai, à un niveau de capacité et à une valeur économique acceptables pour le Canada.
Puis l’an prochain, Ottawa lancera, aux dires du gouvernement, ‘un appel d’offres ouvert et transparent pour remplacer la flotte existante de chasseurs CF-18’. Par cet exercice, ‘le gouvernement obtiendra le bon chasseur pour nos femmes et nos hommes en uniforme – au bon prix – tout en maximisant les retombées économiques pour les Canadiens’.
De la sorte, le gouvernement Trudeau repousse loin dans le temps, le choix final du remplacement des CF-18. Il la repousse en fait loin lors de son deuxième mandat si naturellement, il est réélu ce qui rendrait plus facile d’opter alors pour le F-35 décrié par Justin Trudeau depuis sa déclaration sans équivoque, au cinquantième jour de la campagne électorale, le 20 septembre 2015 à Halifax, en Nouvelle-Écosse, ‘We will not buy the F-35 fighter jet’.
Position qu’il réitéra le 7 juin dernier, en réponse aux critiques des membres de l’Opposition à la Chambre des Communes, il rétorqua que le F-35 ‘Does not work and is far from working’.
La décision d’Ottawa, mardi, de continuer de contribuer au financement du programme Joint Strike Fighter laisse croire que le F-35 ne sera nullement mis de côté lors de l’appel d’offres de 2017. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement, les entreprises aérospatiales canadiennes ont déjà bénéficié pour plus d’un milliard de dollars de commandes alors que seulement un peu plus de 200 F-35 ont été assemblés. D’ici 2023, de 170 à 180 F-35 devraient être produits annuellement.
Ainsi, l’an prochain, suite à l’appel d’offres du gouvernement canadien, le F-35, le seul chasseur de cinquième génération disponible sur le marché devrait se retrouver aux côtés du Boeing F-18E/F Super Hornet, du Dassault Rafale, de l’Eurofighter Typhoon et du Saab Gripen NG.
L’option d’utiliser pour une période déterminée de F-18E/F de l’US Navy pourrait, certes, mener à une commande définitive de Super Hornet mais aussi rendrait plus aisée, celle du F-35 puisque l’Aviation royale canadienne ne se retrouverait pas avec deux types d’avions différents au sein de sa flotte d’avions de combat. Il est vrai que l’Australie après avoir passé commande de cent F-35A a décidé d’acquérir un total de 24 F-18E/F et de 12 F-18G dont tous les Super Hornet sont en service ainsi qu’un certain nombre de Growler aux côtés des F-18A/B dans l’attente des F-35.
Une fois encore, le processus de remplacement des CF-18 décidé par le gouvernement Trudeau ressemble plus à un moyen de respecter la promesse électorale pour ne pas dire bassement électoraliste du 20 septembre 2015.
Sans cette déclaration du candidat Trudeau, le gouvernement Libéral aurait pu simplement poursuivre le travail effectué par le gouvernement Conservateur ou, depuis longtemps, aller de l’avant avec un appel d’offres dont le gagnant qui aurait très bien pu être le F-35. Il faut souligner qu’en plus de l’US Air Force, de l’US Marine Corps et de l’US Navy, la Royal Navy, la Royal Danish Air Force, la Royal Netherlands Air Force, la Japan Air Self-Defense Force et Heyl Ha’avir ont reçu leur premier exemplaire du F-35.
En étirant encore le processus d’acquisition des CF-18, le gouvernement Libéral favorisera le F-35 car celui-ci aura le temps de mûrir et de s’affirmer comme le chasseur de son époque tandis que le Super Hornet aura besoin de commandes additionnelles pour être encore en production au tournant des années 2020 ce qui risque d’être aussi le cas pour le Typhoon et dans une moindre mesure pour le Rafale.
Ces délais ne devront pas empêcher le gouvernement Trudeau de s’atteler sous peu au remplacement des avions de transport et ravitailleurs en vol Airbus CC-150 Polaris et des hélicoptères utilitaires de transport tactique (HUTT) Bell Helicopter CH-146 Griffon s’il est encore au pouvoir dans quatre ans ce qui est fortement probable.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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