La semaine dernière mon ami Gérald Fillion, animateur de l’émission RDI-Économie, me posait la question suivante : Le train électrique de la Caisse de dépôt, le REM ou Réseau électrique métropolitain, sera-t-il développé par Bombardier ou par une entreprise chinoise ? La question semble justifié puisque la Caisse n’a pas d’obligations en ce qui concerne un niveau minimum de contenu québécois et que les entreprises chinoises ont récemment remporté quelques contrats importants aux États-Unis grâce à des prix beaucoup plus bas que ceux de la concurrence. Fort heureusement, la Caisse affirme que le prix ne sera pas l’élément le plus important de sa grille d’évaluation des propositions.
Les contrats
Le coût total du projet est évalué à 5,5 milliards de dollars qui se répartissent en deux volets qui donneront lieu à deux appels de propositions distincts. Le premier volet, dont la valeur est estimée à 4 milliards, comprend la construction des gares, des nouveaux tronçons et à la rénovation des tronçons actuels. C’est ce que la Caisse appelle le volet IAC, soit Ingénierie Approvisionnement et Construction. Le second volet, le MRSEM, comprend l’achat du Matériel Roulant, des Systèmes et des services d’Exploitation d’entretien régulier et de Maintenance à long terme. La valeur de ce contrat est évaluée à 1,5 milliard.
Depuis le mois de juin, le processus de qualification des candidats est en cours, et ils seraient nombreux affirme un porte parole de la Caisse. On demande à ces entreprises de faire la preuve qu’elles sont compétentes dans ce genre de projets et qu’elles possèdent une solidité financière suffisante pour les mener à bien. Elle devront également être approuvé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) de façon à s’assurer qu’elle n’ont pas été compromises dans des affaires de fraude ou corruption. En octobre, la Caisse choisira trois soumissionnaires pour chacun des deux volets et leur demandera de préparer des devis chiffrés. Ceux-ci devront présenter leur propositions avant la fin de l’année, de façon à ce que les deux soumissionnaires retenus puissent lancer les travaux dès le mois de mai prochain. La Caisse a dit clairement que le prix ne serait pas le principal critère d’évaluation, ce qui ne veut toutefois pas dire que ce soit un aspect secondaire. Une grille d’évaluation détaillée est en préparation.
Le système idéal
Plusieurs entreprises chinoises, françaises, allemandes, japonaises, coréennes et même canadiennes maîtrisent bien la technologie du train sans conducteur. Le porte paroles de la Caisse, Jean-Vincent Lacroix, nous a mentionné quelques exemples qui ont retenus l’attention des experts de la Caisse. Celui qui revient le plus souvent est la Canada line, une des trois lignes du Sky train de Vancouver. Ce segment du Sky train a été mis en service en 2009 en prévision des jeux olympiques de 2010. Cette ligne a été construite par SNC-Lavallin, qui en assurera l’exploitation et l’entretien pendant 35 ans. Pour le matériel roulant, le contrat a été accordé à la compagnie coréenne Rotem, une filiale du groupe Hyundai. Monsieur Lacroix affirme que le taux de fiabilité de la Canada line a été de 99 %.
Un autre exemple que la Caisse cite est celui du métro de Dubai qui a été construit par la compagnie japonaise Mitsubishi. Cette entreprise est également en voie de construire la ligne numéro 6 du métro de Sao Paulo au Brésil. Le dernier exemple cité par le porte paroles de la Caisse est le métro de Singapour. Bombardier et son partenaire chinois Changchun Bombardier Railway vehicules Co. terminent présentement la livraison de 264 voitures entièrement automatisées pour cette ligne d’une longueur de 42 kilomètres et qui traverse le centre-ville.
À Paris, Alstom s’est associée à la filiale française de la compagnie allemande Siemens pour construire la nouvelle ligne numéro 14 qui est entièrement automatisée. Siemens France a également automatisé l’ancienne ligne numéro un qui longe les Champs Élysés, et elle a été retenue pour automatiser d’autres lignes au cours des années qui viennent. Plusieurs autres entreprises peuvent également prétendre obtenir ce contrat comme Hitachi qui vient de s’installer en Grande Bretagne et de racheter la compagnie italienne Amsaldo STS qui se spécialise dans ce genre d’équipements. Et, il y a aussi le géant chinois CRRC qui fait peur à tout le monde en raison de son énorme taille.
Les chances de victoire de Bombardier
Il est très difficile d’évaluer les chances de chaque candidat. Un facteur clé sera d’évaluer la fiabilité des systèmes proposés. Les experts de la caisse porteront une attention toute particulière au nombre de pannes subies par les systèmes semblables déjà installés et à leur durée.
À Paris, en janvier dernier, à 16h55 un vendredi, la ligne numéro un du métro qui longe les champs Élysés, récemment automatisée par Siemens, a été victime d’une panne qui a durée 16 heures. Un banal routeur dans une des stations a envoyé des informations incohérentes à l’ordinateur central et celui-ci, ne comprenant pas ce qui se passait, a coupé le courant sur l’ensemble de la ligne conformément à son programme. 41 rames qui transportaient des milliers de voyageurs se sont arrêtées, certaines dans des tunnels. Il a fallu 2h30 pour évacuer tout les passagers et le service n’a repris que le lendemain matin.
Le cas du métro de Paris n’est pas unique. En 2015, une des ligne du Skytrain, construite par Bombardier, a également été victime d’une panne qui a durée plusieurs heures. Chaque fois, l’opérateur doit mettre en service à grand frais un service d’autobus de remplacement. Un cauchemar que la Caisse veut éviter, d’où une attention toute particulière à la fiabilité. Peu importe le fabricant, tout les systèmes tombent en panne un jour ou l’autre. Toutefois certains systèmes tombent en panne plus souvent que d’autres.
Il en va de même de la qualité générale des rames. Au Canada, nous avons fréquemment entendu parler des problèmes de qualité des tramways que Bombardier fabrique pour Toronto ainsi que des problèmes de fiabilité de certains trains de banlieue livrés aux États-Unis. Mais les autres manufacturiers ont aussi leurs problèmes de contrôle qualité. En France Alstom a fait l’objet de nombreuses plaintes et il en va de même pour Siemens en Allemagne. Trouver un champion de la qualité ne sera pas facile. Dans ce domaine, le secteur ferroviaire semble très loin derrière celui de l’aviation où le contrôle de qualité est beaucoup plus efficace. À ce chapitre, Bombardier ne part peut-être pas en queue de peloton, mais il ne part pas gagnant non plus.
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
Je ne peux m’empêcher de penser que les dés sont pipés en faveur de Bombardier. C’est que la Caisse est à la fois juge et partie. En effet cette dernière possède une part importante des actions de Bombardier Transport, la compagnie à laquelle elle demande de soumissionner. Dans mon esprit cela implique nécessairement une accès privilégié aux besoins de la Caisse. Personne ne peut me convaincre du contraire. Et j’oserais même dire que tout le monde le sait. C’est à mon avis la raison pour laquelle Bombardier devra partager le gâteau avec ses concurrents au risque de poursuites pour concurrence déloyale. Je parle comme si le contrat avait déjà été octroyé à Bombardier. C’est que pour moi c’est une évidence qu’il en sera ainsi. Mais ce n’est qu’une opinion personnelle et je reste ouvert à toute suggestion me démontrant que je suis dans l’erreur de voir les choses de cette manière.