Le 25 février dernier, le transporteur aérien Republic Airways, qui exploite les filiales Republic Airlines et Shuttle America, annonçait qu’elle se plaçait sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites de façon à pouvoir se réorganiser. La compagnie déclarait avoir des dettes se chiffrant à 2,98 milliards de dollars américains et des actifs évalués à 3,56 milliards. C’est également une mauvaise nouvelle pour Bombardier à qui le transporteur aérien a passé une commande ferme de 40 avions C Series et qui fait partie des créanciers.
Le président de l’entreprise, Bryan Bedford, par l’entremise d’un communiqué de presse, explique que : “Over the last several months, we’ve attempted to restructure the obligations on our out-of-favor aircraft – made so by a nationwide pilot shortage – and to increase our revenues. It’s become clear that this process has reached an impasse and that any further delay would unnecessarily waste valuable resources of the enterprise. Our filing today is a result of our loss of revenue during the past several quarters associated with grounding aircraft due to a lack of pilot resources, combined with the reality that our negotiating effort with key stakeholders shows no apparent prospect of a near term resolution.”
Republic est une compagnie de transport régional qui exploite 242 avions ; des Embraer 145, 170 et 175, ainsi que des Bombardier Q400. La compagnie effectue quotidiennement 1,300 liaisons entre 110 de villes de l’est, du centre et du sud des États-Unis vers les grands aéroports internationaux de Chicago, New York, Washington, Houston, Miami etc. Ces vols sont effectués principalement pour le compte de trois grands transporteurs: American Eagle, Delta Connection et United Express.
Un modèle d’affaires particulier
Le modèle d’affaires de Republic Airways repose sur trois piliers : Une flotte d’avions homogène et peu coûteuse, des employés payés aux salaires les plus bas possibles et des contrats de services à prix fixes avec ses trois principaux clients. Ce modèle d’affaires a permis à la compagnie d’être profitable par le passé, mais les choses ont changées au cours des dernières années.
Pour augmenter sa rentabilité, Republic est en voie de remplacer ses Embraer ERJ 145, pouvant transporter 45 passagers, et ses Bombardier Q-400, pouvant en transporter 71, par des Embraer ERJ 175. Ces nouveaux avions peuvent transporter 80 passagers et sont plus économiques à exploiter.
Ces avions sont loués à des entreprises de crédit-bail, ce qui constitue un des problèmes de Républic. Les contrats de location pour ses avions les plus anciens, et en voie de remplacement, ne sont pas encore terminés et il lui faut trouver un moyen d’y mettre un terme à peu de frais. Le processus de réorganisation lui permettra de demander aux tribunaux d’y mettre un terme. Au passage, Republic demandera vraisemblablement l’annulation de sa commande ferme pour 40 avions CS300 qui a été passée à Bombardier le 25 février 2010.
Des pilotes trop coûteux ?
Le communiqué de presse de Republic attribue une grande partie de ses problèmes actuels à une pénurie de pilotes qui l’aurait empêché de remplir ses obligations contractuelles envers ses principaux clients. Delta a en effet entamé une poursuite contre Républic affirmant que cette dernière a été incapable d’offrir tous les vols prévus au contrat vers ses aéroports de correspondance. Ce manquement aurait réduit le nombre de clients de Delta, ce qui aurait entraîné une réduction des ventes de billets de plusieurs millions de dollars. Republic demandera certainement aux tribunaux d’annuler également cette poursuite.
Le principal problème de Republic, c’est que, jusqu’à l’automne dernier, la compagnie manquait de pilotes en raison du faible salaire offert aux pilotes débutants. Le salaire de départ n’était que de 23 dollars américains l’heure, ce qui était conforme à la convention collective en vigueur depuis quelques années. Pour un tel niveau de salaire, il y a effectivement une importante pénurie de pilotes. Republic qui emploie plus de 2000 pilotes, en perdait chaque mois une quarantaine qui s’envolaient vers des employeurs moins radins. Elle arrivait à recruter une trentaine de nouveaux pilotes chaque mois, mais il lui en manquait encore dix. Dans la convention collective signée en novembre dernier avec le Syndicat international des Teamsters, Républic a accepté d’augmenter le salaire de départ de ses pilotes à 40 dollar l’heure, ce qui devrait réduire la pénurie dont sa plaint la compagnie.
Toutefois de nouvelles règles imposées par la FAA (Federal aviation administration) en 2013 posent encore un problème à Republic. Suite à l’écrasement du Q-400 de la Colgan Air Regional près de Buffalo, qui a entraîné le décès de ses 50 passagers et membres d’équipage, un comité du Congrès a tenu des audiences spéciales sur la meilleure façon d’améliorer la sécurité aérienne. L’enquête menée par la FAA avait démontré que le capitaine de l’avion manquait de formation et qu’il souffrait d’épuisement professionnel en raison d’horaires de travail trop lourds.
Les congressistes ont donc exigé que la FAA augmente le nombre d’heures de vol requis avant de pouvoir devenir pilotes professionnels et que leur nombre d’heures de travail soit limité. La FAA a donc fait passer le nombre d’heures de vol nécessaire à l’obtention d’une licence de pilote commercial de 250 heures à 1500 heures. Évidemment, plus vous augmentez les exigences préalables, plus les compagnies doivent également augmenter le salaire initial proposé aux pilotes.
Ces nouvelles exigences vont se traduire par une augmentation des coûts de fonctionnement de Republic de 150 millions de dollars par année. La compagnie souhaite évidemment récupérer cette somme auprès de ses clients en renégociant ses contrats de services. Les négociations en cours avec Delta, United et American seraient toutefois dans une impasse et Republic demandera sans doute aux tribunaux de revoir les termes de ces contrats.
Une tuile de plus pour Bombardier
Rappelons que Republic a été le premier client nord-américain du C Series. À l’époque ces avions étaient destinés à sa filiale à bas coût Frontier Airlines. En 2013, Republic a revendu cette filiale, mais sans que le contrat d’achat de C Series soit transféré au nouveau propriétaire. Or, selon Bryan Bedford, les autres filiales de Republic n’avaient aucun besoin d’un avion aussi gros.
Par la suite, la stratégie de Bryan Bedford a été de s’accrocher à cette entente en espérant revendre ces C Series à profit. La chose semblait facile étant donné que la compagnie d’Indianapolis a obtenu un prix extrêmement bas pour sa commande. Monsieur Bedford prévoyait que ce prix augmenterait à l’approche de la certification, surtout si l’avion obtenait le succès commercial escompté. Or ce succès commercial se fait toujours attendre et Bombardier a dû couper ses prix encore plus. Aujourd’hui le CS300 se vend probablement moins cher que l’excellent prix obtenu par Bryan Bedford en 2010 ce qui rend la revente des avions impossible. La faillite va vraisemblablement permettre à Republic de mettre fin à cet engagement gênant. D’ailleurs, Republic a déjà cessé de verser les avances prévues au contrat.
C’est une tuile de plus pour Bombardier, mais pour les gens qui suivent la compagnie de près, ce n’est pas une surprise. Depuis deux ans, toutes les questions posées à la direction de Bombardier à ce sujet sont restées sans réponses. Il reste à voir combiens d’autres contrats fragiles comporte le carnet de commandes du C Series. Les regards se tournent maintenant vers la Russie. En juin 2013, la compagnie Ilyushin Finance Co. a signé une commande ferme pour 32 appareils CS300 et pris des options sur 10 avions de plus. Suite à la chute de la valeur du rouble, Ilyushin Finance a laissé entendre qu’elle n’aurait peut-être pas les moyens de prendre livraison de ces avions. Le ciel au-dessus du C Series est vraiment très sombre.
Sources : Bloomberg business et Dow Jones Newswires
Après des études en science politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut d’études politiques de Paris, Daniel Bordeleau a entamé une carrière de journaliste qui s’étale sur plus de 35 ans. Il a travaillé principalement pour la Société Radio-Canada où il est d
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