Le ministre de la Défense nationale du Canada, monsieur Harjit Sajjan, a relancé récemment le processus d’acquisition du nouveau chasseur de l’Aviation royale canadienne qui remplacera nos actuels McDonnell Douglas CF-18. Le gouvernement a décidé de repartir à zéro. Le Lockheed Martin F-35A Lightning II, le moins cher des trois F-35 offerts, a été choisi sans concours par le précédent gouvernement. Mais a-t-il encore une chance d’être retenu? Rien n’est moins certain.
Un processus plus solide
Monsieur Sajjan, lors de plusieurs entrevues récentes, a été très clair sur le processus qui serait suivi pour choisir ce remplaçant. Le ministère de la Défense nationale va d’abord rédiger un document définissant clairement ses besoins. Le ministre a insisté sur la nécessité pour le Canada de respecter les engagements pris dans le cadre des accords du NORAD et de l’OTAN.
Une fois les besoins définis, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement prendra le relais et préparera une DDP – Demande de proposition. (en anglais, RFP, Request For Proposal). La partie la plus importante de ces travaux sera la préparation d’une grille d’évaluation des propositions permettant de classer les concurrents et de choisir le vainqueur. C’est là que va se jouer le sort du F35A.
Les concurrents probables sont le F-35A Lightning II de Lockheed Martin, le F-18E/F Super Hornet de Boeing, le Rafale de Dassault Aviation, l’Eurofighter Typhoon d’Airbus Defence and Space et le JAS 39 Gripen NG de Saab.
Les deux missions
L’avion qui remplacera nos actuels F-18 aura deux missions bien différentes. Dans le cadre des accords du NORAD, le Canada a besoin d’un intercepteur permettant d’arrêter d’éventuels envahisseurs provenant de Russie ou de Chine. Il faut un avion agile, pouvant parcourir rapidement de grandes distances dans le Grand Nord. Dans le cadre des accords de l’OTAN, des missions de l’ONU et des autres missions comme l’actuelle campagne contre l’État-Islamique, le Canada a plutôt besoin d’un chasseur bombardier pouvant approcher du territoire ennemi sans être repéré et pouvant lancer avec précision de grandes quantités de bombes.
Tous les avions proposés peuvent accomplir adéquatement ces deux missions. Par contre certains, comme le Typhoon et le Gripen, sont de meilleurs intercepteurs alors que d’autres, comme le F-35A et le F-18E/F sont de meilleurs bombardiers. Le ministère de la Défense nationale devra choisir sa priorité et la grille d’évaluation reflétera ce choix.
La furtivité
La furtivité est l’avantage principal des F-35. Cette capacité d’approcher d’un objectif avec de moindres probabilités d’être détecté rapidement est très importante pour un chasseur bombardier qui doit attaquer des pays bien équipés en radars comme la Russie ou la Chine. Par contre cette caractéristique est-elle aussi importante pour un intercepteur dans le Grand Nord canadien ?
L’avantage des F-35 en matière de furtivité est toutefois contrebalancé par un inconvénient majeur. Pour être furtif, l’avion doit conserver ses missiles à l’intérieur du fuselage. Si les missiles sont attachés aux ailes, comme c’est le cas pour ses concurrents, la furtivité disparaît. Les F-35 ne peuvent ainsi emporter que quatre missiles comparativement à une dizaine pour les autres avions proposés. C’est un inconvénient majeur aussi bien pour les missions de bombardement que pour les missions d’interception.
Cette faiblesse est toutefois compensée par la grande précision de bombardement des F-35. Ces avions sont équipés de nombreux senseurs reliés à des ordinateurs de bord extrêmement puissants. Les F-35 peuvent diriger leurs missiles avec plus de précision et ils peuvent partager l’information recueillie lors de l’attaque avec les autres avions de leur groupe ainsi qu’avec leur base. À ce chapitre, aucun de ses concurrents ne peut l’approcher.
Moteurs, Altitude, Vitesse et agilité
Traditionnellement, les avions équipés de deux moteurs étaient considérés comme plus sécuritaires. En cas de panne d’un des moteurs, ils avaient la possibilité de regagner leur base à l’aide de l’autre moteur. Les F-35 et le Gripen ne possèdent qu’un seul moteur, ce qui pourrait leur faire perdre quelques points au classement.
Depuis la deuxième guerre mondiale, les experts considèrent que les meilleurs intercepteurs sont les avions qui sont les plus rapides et les plus agiles. Est-ce toujours le cas quand les combats rapprochés deviennent rares ? Les avions actuels tirent leurs missiles à plusieurs kilomètres de distance, et ce sont eux qui font l’essentiel du travail.
Le plafond pouvant être atteint a également été considéré comme un facteur important. Un intercepteur qui vole plus haut aurait plus de chance d’abattre son ennemi. Selon l’organisme Defense Watch, les F-35, lorsque leur mise au point sera terminée, devraient pouvoir voler à 60,000 pieds ce qui est très bon. Par contre le Typhoon peut monter à 65,000 pieds.
Selon la même source, le F-35 n’est pas très rapide. Il ne peut voler qu’à Mach 1,6 comparativement à Mach 2 pour le Typhoon et le Gripen, Mach 1,8 pour le F-18E/F et le Rafale. Certains de ses opposants sont beaucoup plus rapides : Mach 2,8 pour le Mig-31 russe et Mach 2,4 pour le J-15 chinois. Le F-35 ne serait pas non plus un champion en termes d’accélération ou d’agilité.
Un coût important
Le coût exorbitant du F-35A est la raison principale pour laquelle le premier ministre Trudeau a semblé écarter cet avion dans son discours d’Halifax. M. Trudeau a même parlé d’économies possibles de plusieurs milliards de dollars sur 40 ans. Cette affirmation repose sur certaines études qui tentent de calculer le coût total d’utilisation de cet avion sur la durée de vie prévue de l’appareil. Ce coût total inclut l’acquisition, l’entretien, le carburant ainsi que les salaires des pilotes et des techniciens qui l’entretiendront.
Lorsque son prédécesseur, M. Harper, a annoncé l’achat de 65 F-35A en juillet 2010, il prévoyait un coût d’acquisition de 9 milliards et des frais d’entretien de 7 milliards, pour un coût total de 16 milliards. En 2012, le vérificateur général a toutefois conclu que ces coûts se chiffreront plutôt à 45,7 milliards. Certains analystes ont par la suite critiqué cette estimation qu’ils jugeaient encore trop conservatrice.
Quelques études américaines et canadiennes se sont penchées sur le coût total d’utilisation du F-35A. Il s’agit toutefois d’un exercice périlleux puisque cette estimation inclut des variables impossibles à prévoir pour d’aussi longues périodes. Mentionnons entre autres :
Comme ce calcul n’a jamais été effectué pour les concurrents du F-35, il est impossible de se servir de ces résultats pour faire des comparaisons. Par contre ces travaux nous permettent de réfléchir au coût réel de ces systèmes d’armements et de s’interroger sur leur pertinence.
Les chiffres disponibles
L’an dernier, les clients de Lockheed Martin ont payé 96 millions de dollars américains pour chaque F-35A qui leur a été livré. Le Pentagon exige toutefois que ce coût diminue à 80 millions d’ici la fin de la décennie, soit 111 millions de dollars canadiens au taux de change actuel. C’est beaucoup moins que les 138 millions par avion que prévoyait dépenser le gouvernement Harper en 2010, mais c’est encore beaucoup plus cher que les appareils concurrents. Si le Canada devait acheter cet avion, il devrait donc s’attendre à devoir payer une facture de 5,2 milliards de dollars américains, soit 7,2 milliards de dollars canadiens.
Le prix des concurrents du F-35 varie d’environ 50 millions de dollars pour le Gripen à quelque 65 millions pour le Typhoon. L’économie possible varie donc de 15 à 30 millions par avion. Le choix le plus économique, le Gripen de Saab, coûterait 3,25 milliards de dollars américains pour 65 avions, soit 4,5 milliards de dollars canadiens; le F-18E/F au prix unitaire de 63 millions de dollars américains couterait 4,1 milliards de dollars américains soit 5,7 milliards canadiens et le Typhoon coûterait pour sa part 5,8 milliards de dollars canadiens. L’économie possible sur le coût d’achat varie donc de 1,4 à 2,7 milliards de dollars canadiens.
Les experts du ministère de la Défense nationale devront décider de l’importance relative de chacune de ces caractéristiques et leur accorder une valeur dans leur feuille de pointage. Une fois ces critères définis clairement, le choix final devient un banal exercice mathématique.
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