Figure 1: Cycle du battage médiatique 2014 (source: site internet de Gartner®)
L’entreprise américaine de recherche dans les technologies avancées, Gartner®, a développé une approche intéressante pour représenter les différentes phases d’attention médiatique accordé à une technologie émergente : le cycle du battage médiatique (« Hype »). Cette attention des médias est capitale dans la mesure où de nombreuses décisions d’affaire seront basées sur les informations propagées. En voici les principales idées.
Le cycle du battage médiatique pour l’année 2014 est présenté ici, tel qu’extrait du site internet de l’entreprise[1]. Par définition, le cycle identifie cinq phases. Tout d’abord, lors du lancement d’une technologie, les premières études (théoriques) ne peuvent pas anticiper les contraintes que la technologie rencontrera et tendent donc à surévaluer son potentiel. Par la suite, les médias s’emparent de l’information et usuellement, pour la rendre accessible au public et en augmenter l’impact, amplifient encore les retombées attendues. Sur la base du potentiel et des gains économiques estimés, la technologie est développée par de nombreux précurseurs (des grosses entreprises aux « start-up ») qui découvrent alors de nombreux problèmes lors de l’implémentation. Face aux difficultés, plusieurs abandonnent. Les plus persévérants trouvent des solutions et profitent des bénéfices de la technologie, bénéfices souvent bien moindre qu’anticipés. Sur la base de ces succès et de la confiance grandissante dans les gains réalisables, la technologie pénètre le marché et atteint son potentiel réel.
Ces différentes phases peuvent être illustrées sur ces cas pratiques, tel que l’utilisation des matériaux composites avancés (fibres de carbone et résine époxy) pour des pièces structurelles dans l’aéronautique.
Bien qu’ils aient été utilisés dans l’aéronautique depuis le milieu des années 1980 (sur le Boeing 737 par exemple), à partir de 2005, les matériaux composites sont apparus comme la technologie qui allait révolutionner l’aéronautique, principalement grâce aux gains de poids théoriques apportés par les matériaux de nouvelle génération. En effet, en se basant sur les propriétés intrinsèques du matériau, des gains de poids de plus de 50% étaient annoncés. Plusieurs personnes à l’époque sont allé jusqu’à prédire des avions commerciaux entièrement en matériaux composites (C. Grant[i]). Bien que cela soit le cas depuis plusieurs années pour l’aviation de loisir (Raytheon, Cirrus ou Cobalt), il semble désormais très peu probable que cela se réalise un jour pour l’aviation commerciale où les contraintes de fonctionnement et de certification sont plus sévères.
Dans la réalité, une fois arrivé à maturité, en prenant en compte toutes les contraintes de conception, de sécurité/certification et de fabrication, la réduction de poids réelle est plutôt entre 10 et 20% (Fuselage du Boeing 787 par exemple). Ces chiffres restent intéressants pour de grosses structures telles que les ailes, mais sont peu attractifs pour plusieurs composantes auxiliaires.
Ainsi, tous les nouveaux modèles d’avions militaires et commerciaux (Boeing 787, A350 XWB) mais aussi de plus en plus d’avions d’affaire (C-Series par exemple) utilisent des ailes en composites. Toutefois, au niveau du fuselage, l’industrie semble encore hésiter entre les deux technologies (aluminium ou composite). En effet, pour cette structure, le gain de poids tend à être compensé par une augmentation des risques et des coûts. Par conséquent, pour le nouveau Boeing 777X, il a été décidé de remplacer l’aluminium par du composite pour les ailes, mais pas pour le fuselage.
Pour une entreprise intéressée, la difficulté est d’évaluer à quel moment s’impliquer dans le développement de la technologie (ou d’abandonner). Habituellement, les précurseurs sont avantagés s’ils se rendent jusqu’à la phase de maturité. En effet, à ce moment-là , ils auront acquis une expertise très importante qui leur permettra d’être très efficaces dans l’implémentation de la technologie, ce qui leur donnera un avantage compétitif significatif. De plus, ils auront parfois eu la possibilité d’influencer les règles et la législation entourant l’utilisation de la technologie (en adaptant ces règles à leurs intérêts). Toutefois, survivre à travers le cycle complet demande des ressources financières importantes et une confiance dans la technologie et ses retombées. De fait, de nombreux participants abandonnent en chemin.
Une entreprise plus prudente (ou aux ressources plus limitées) pourrait décider de s’impliquer une fois la technologie arrivée à maturité. Cette approche est très peu risquée et très peu coûteuse. Toutefois, arrivée au plateau de productivité, la technologie n’apporte plus réellement d’avantage concurrentiel et permet uniquement de rattraper le marché.
L’approche « gambler » observée à quelques reprises consiste à acquérir une entité précurseur qui n’a plus les moyens de poursuivre la course, principalement dans la phase de désenchantement. Cette méthode permet d’acquérir à moindre coût les connaissances (propriété intellectuelle et brevets), mais aussi l’équipement nécessaire pour poursuivre l’aventure et profiter des retombées économiques.
Quoiqu’il en soit, il est souvent risqué de se lancer dans la course lors du « buzz ». Il est alors soit trop tôt, soit trop tard. Il sera bien plus judicieux d’attendre que la technologie ait fait ses preuves et reprendre le développement à la fin de l’étape de désenchantement, lorsque les premiers produits basés sur cette technologie arrivent sur le marché et livrent la marchandise (même si elle est limitée), tout en anticipant les gains potentiels une fois la technologie perfectionnée.
Il est certain que le développement d’une technologie est une toujours activité risquée et dispendieuse, mais est-ce réellement possible de s’en passer? L’industrie regorge d’exemples de Nokia et Kodak qui n’ont pas développé la technologie qui leur aurait permis de rester dans la course!
[1] http://www.gartner.com/newsroom/id/2819918
[i] « Speaking out : Composite structural design and manufacturing », C. Grant, High-Performance Composites, July 2007
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