Plusieurs raisons peuvent expliquer la mévente actuelle du CSeries de Bombardier.
La qualité et les performances, qui certainement dépasseront les promesses, de l’avion ainsi que de son moteur Pure Power de Pratt & Whitney n’en sont pas une.
Il est en de même de la réputation de Bombardier auprès des transporteurs, particulièrement les américains comme SkyWest, Mesa, Delta Connection, Endeavour Air, Expresse Jet, Comair qui ont acheté par centaines des CRJ.
Il reste néanmoins la question fondamentale que je me pose depuis longtemps et je ne suis pas le seul: ‘Existe-t-il un marché pour un 100 places et même pour un 130 places ?’
Et même si ce besoin existe, les compagnies aériennes seront-elles prêtes à aligner un deuxième type d’appareils, aux cotés de leurs membres des familles A320 ou 737, pour le couvrir compte tenu des dépenses en formation des pilotes et techniciens ainsi qu’en stocks de pièces de rechange qu’elles occasionneraient.
Par contre, il ne faudrait pas sous-estimer l’impact de la constante montée en capacité des flottes de monocouloirs qui se traduit par le fait qu’alors que 1152 Boeing 737-700 (128 à 149 places) ont été commandés contre 4864 Boeing 737-800 (160 à 175 places et 189 dans la version classe unique) entre 1997 et maintenant, seulement 60 Boeing 737MAX7 (126 à 149 places) ont trouvé preneur contre 1615 737MAX8 (162 à 175 places et 200 dans la version classe unique) qui entreront en service en 2017. Même Southwest Airlines se tourne vers le 737-800 après avoir aligné une flotte exclusivement constituée de 737-700 et a passé commande de 30 737MAX7 contre 170 737MAX8.
Mais en aucun cas, il ne faut passer sous silence, la volonté d’Airbus d’empêcher l’entrée de tout nouveau-venu dans le marché lucratif des Single Aisle.
En 1977, sept ans après sa création et cinq ans après le vol de son premier avion, l’A300, Airbus accumulait encore les White Tails sur le tarmac de Toulouse-Blagnac.
Le ciel était alors sillonné par les avions de ligne signés Boeing, McDonnell Douglas et Lockheed qui occupaient 90% du marché occidental aux cotés desquels évoluaient quelques dizaines de Caravelle et de Mercure français et de BAC One-Eleven, de Trident et de VC-10 britanniques.
Puis au fil des années, Airbus a usé d’une stratégie de conquêtes contre les trois avionneurs américains par des méthodes diverses variant des prix cassés rendus possibles par des aides gouvernementales quasi-illimitées aux pressions politiques et économiques pour ne pas dire plus, visant à éliminer du marché du marché aéronautique civil, Lockheed et son L-1011 TriStar puis McDonnell Douglas avec ses MD-80, MD-87, MD-88, MD-90, MD-95 et MD-11.
Airbus fait maintenant de même contre le CSeries par une politique de rabais massifs que Boeing doit aussi appliquer dans une moindre mesure car lorsque Boeing, sous la direction de Philip Condit, a renoncé à vendre à perte ses avions, il s’est fait rattraper par Airbus à la fin des années 1990.
Le constructeur européen n’entend pas voir un troisième constructeur entrer sur le marché des monocouloirs et ainsi souhaite protéger sinon augmenter sa part dans ce marché où il jouit actuellement d’une légère avance avec son A320neo sur le 737MAX, ce dernier ayant été lancé plusieurs mois plus tard.
Selon le Boeing Current Market Outlook 2014-2033, la flotte mondiale de monocouloirs passera de 13580 à 29500 appareils de 2013 à 2033. Durant la même période, la demande se chiffrera à 25680 monocorridors d’une valeur de 2560 milliards de dollars américains. En comparaison, seulement 2990 jets régionaux seront requis d’une valeur de 100 milliards de dollars.
La famille A320 n’est de prime jeunesse hormis pour ce qui est des moteurs Pure Power ou Leap56 de l’A320neo qui devrait entrer en service au quatrième trimestre 2015. Le monocouloir européen est déjà largement amorti sans tenir compte des aides gouvernementales visibles et invisibles. Ainsi il n’en est que plus facile pour Airbus de couper le prix de ses A320 de plus de moitié pour saper les ventes non seulement du Boeing 737 mais aussi du CSeries sur un marché où le prix est le facteur déterminant du choix. À l’opposé, sur le marché des gros porteurs où les performances des appareils conditionnent la décision d’achat, Boeing conserve 60% du marché en valeur grâce aux best sellers que sont les 777 et 787.
Ironiquement, Airbus a repris au CSeries, son moteur Pure Power de Pratt & Whitney, naturellement dans une version plus puissante, pour propulser au choix avec le CFM Leap56, la dernière déclinaison de son A320, l’A320neo.
Diplômé universitaire en histoire, journalisme et relations publiques, en 1993, Philippe Cauchi amorce une carrière de journalisme, analyste et consultant en aérospatiale. En 2013, il fonde avec Daniel Bordeleau, le site d’information aérospatial Info Aéro Québec.
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